
Le scandale de la faim tient en quelques chiffres qui devraient indigner les consciences les plus "blasées" :
-
4 milliards de personnes vivent avec moins de 2$/jour, seuil de pauvreté fixé par l’ONU ;
-
Un milliard d’humains, avec moins de 1$/jour, souffrent de la faim. Ils étaient 850 millions en 2006. Pourtant l’engagement n°1 des objectifs du millénaire était de réduire ce nombre de moitié à horizon 2015. On en est loin.
-
19 millions d’enfants meurent chaque année de malnutrition. Et seuls 20% d’entre eux ont accès à une aide médicale ou humanitaire.
En regard de ces chiffres sur la souffrance des hommes, il convient d’avoir à l’esprit que :
-
9 milliards de dollars permettraient d’éradiquer la faim et 3 milliards la malnutrition dans le monde. Est-ce beaucoup ? Comparons ce chiffre.
3 milliards de dollars : c’est le montant de 3 jours de subventions aux agriculteurs occidentaux ;
16 milliards de dollars de bonus ont été versés, au 1
er trimestre 2009, par Goldman Sachs. Une somme colossale gagnée, en grande partie, par la spéculation sur les matières premières et produits agricoles.
Enfin, il nous faut dépasser les chiffres et voir ce que cela recouvre. Le milliard d’humains malnutris ne sont pas qu’une banale statistique. C’est aussi un milliard de ventres creux, de misère sociale, de souffrance physique et psychique et quelquefois de mort.
La faim n’est pas une fatalité. On peut identifier cinq causes principales dont les conséquences peuvent être aggravées par un libéralisme débridé ou par les guerres (Soudan, Afghanistan, Congo) :
-
La démographie galopante : la population mondiale a été multipliée par 6 depuis le début du 20
ème siècle (6,6 milliards en 2010 contre 1 milliard). Cette explosion démographique s’est accompagnée d’un énorme mouvement migratoire vers les villes. A titre d’exemple, en 1980 à Mumbai (Inde), un million de personnes habitait dans des bidonvilles. Aujourd’hui, elles sont près de 8 millions. Or, s’il est probable que la planète aura du mal à nourrir les 10 milliards d’humains projetés, il est certain qu’elle aura un mal fou à nourrir 3 milliards de citadins agglutinés dans des mégapoles de 10 ou 20 millions d’habitants.
-
L’explosion de la demande de céréales : on assiste à un changement des habitudes alimentaires notamment en Asie. La consommation de céréales a, par exemple, doublé en dix ans en Chine et on s’attend à un doublement, de nouveau, dans les dix ans à venir. Les hommes mangent aussi de plus en plus de viande rouge. Or, pour le même apport calorique, on détruit 7 fois plus de céréales et de soja en consommant de la viande rouge (3 fois plus pour de la volaille) qu’en mangeant du pain.
La production d’agro-carburant participe aussi à la flambée des prix par une "raréfaction" relative de l’offre. Rappelons que 30% de la production de maïs aux Etats-Unis sert à la production d’Ethanol. La tentation de substituer les champs de maïs, pour les agro-carburants, aux champs de blé ou de seigle est forte ; et l’impact sur les prix réels même si certains auteurs, dont Chalmin, en minorent l’impact.
-
Le sous-investissement dans l’agriculture locale : n’oublions pas que 80% des gens qui meurent de faim habitent les zones rurales. Or, on a, souvent, privilégié la culture intensive destinée à l’export et imposée par les marchés, au détriment des cultures vivrières. Faute de moyens pour résister, balayés par l’ouverture des frontières, qui fait qu’un kilo de riz est au même prix à Dakar que dans le supermarché new yorkais, les paysans des pays pauvres migrent en masse vers les villes.
-
Le changement climatique : il a deux effets majeurs. D’une part, les pluies erratiques et torrentielles détruisent les terres arables. C’est le cas par exemple dans le Deccan en Inde où 60% des surfaces cultivables ont disparu ces 20 dernières années dans certaines régions. D’autre part, l’accroissement du nombre de cataclysmes dans certaines zones pauvres (Haïti, Birmanie, Philippines…) réduit à néant l’épargne des habitants souvent constituée de biens fragiles (habitations, élevage, stocks agricoles…).
-
La libération des marchés : elle a pour corollaire la spécialisation. L’Egypte dans le coton, l’Argentine dans le blé… Or, cette spécialisation libérale dessert l’objectif d’autosuffisance qui passe par les cultures vivrières. Elle y ajoute deux autres effets pervers. Elle enrichit les intermédiaires (jamais les petits producteurs) et, les productions agricoles étant "implanifiables", attire la spéculation. Ainsi, le doublement soudain du prix des semences entraîne, souvent, la mort du fermier africain.
La faim, on l’a dit, n’est pas une fatalité. Comment faire pour desserrer
l’étau qui pèse sur les ventres d’un milliard de personnes et qui tue 19 millions d’enfants par an ? Comment en finir avec ce scandale ? Le réveil des consciences, de toutes les consciences, au Nord comme au Sud, est nécessaire. Il nous faut enfin entendre ces ventres qui crient famine. Sait-on que le nombre de pauvres a doublé en Inde depuis 1980 et que le nombre d’enfants qui y meurent de faim est supérieur à celui de toute l’Afrique réunie ? Mais ce réveil n’a de chance de changer le cours des choses que s’il conduit la communauté internationale à mener et financer, au travers par exemple d’un
Fonds Mondial contre la Faim et la Malnutrition sous l’égide de l’ONU, des mesures structurantes à long terme. Ce fonds que j’appelle de mes vœux aurait pour objectifs de :
-
favoriser l’évolution des droits de propriété dans les pays qui en sont dépourvus ;
-
encourager les regroupements coopératifs pour renforcer le pouvoir économique des petits exploitants ;
-
investir dans les cultures vivrières en autorisant un certain niveau de protectionnisme régulé ;
-
stabiliser les prix par la création de stocks publics ;
-
lancer des programmes créateurs de revenus annexes par des aides à la reforestation et à l’irrigation ;
-
régler le problème de l’accès à l’eau, en particulier des plus pauvres, par une gestion planifiée à long terme ;
-
encourager les Etats à prendre leurs responsabilités dans le développement des biotechnologies nécessaires à la survie de l’humanité ;
-
Décréter par le droit international que les denrées alimentaires ne sont pas des marchandises comme les autres.
La dérive libérale à l’œuvre dans le secteur agricole et la boulimie consommatrice en Europe, en Occident en général, mais aussi en Asie aboutiront, si l’on n’y prend garde, à la fabrique d’une "machine à affamer". Un milliard de ventres creux crient famine aujourd’hui. En cas d’inaction, combien seront-ils demain ?
Commentaires
Ajouter un commentaire