
La monnaie est un bien public, un lien social, une composante essentielle du vivre ensemble.
Sans monnaie fiable, la méfiance est partout, la barbarie est aux portes.
La monnaie ne tombe pas du ciel, elle est créée par le système bancaire. Les crédits consentis en sont la contrepartie. Pour que ces contreparties soient solides, il faut que le niveau de risque soit bas. En principe, la sécurité monétaire implique que les risques pris par les banques n’excèdent pas un pourcentage faible de leurs fonds propres. Bien sûr, il y a des cas où les garanties obtenues de l’emprunteur se révèlent insuffisantes. Il peut arriver qu’un projet industriel ne donne pas les résultats escomptés et entraîne une défaillance. Pour un banquier, c’est, si l’on peut dire, le risque du métier. Il est acceptable dans certaines limites.
Il est, en revanche, inacceptable que les banques se mettent à spéculer avec l’argent des déposants. Aucune activité marchande ne sert alors de contrepartie. Quand tout va bien, les banquiers sont contents, ils gagnent beaucoup d’argent et distribuent des bonus aux petits génies qui ont opéré dans les salles de marché. Mais, quand tout va mal, rien ne va plus. Les banques appellent l’Etat au secours et l’Etat, tôt ou tard, est bien obligé d’intervenir. S’il n’intervenait pas, les banques ne pourraient plus accorder de crédits et l’économie toute entière serait en panne. Les déposants, de surcroît, prendraient peur, ils se bousculeraient pour retirer leurs avoirs. Les faillites bancaires se multiplieraient. Le chaos serait total.
Pour avoir une idée précise de l’enjeu,
il faut distinguer clairement la création monétaire (générée par les crédits bancaires) et l’épargne déjà constituée. Les spéculations, ou même les arnaques, montées sur de l’épargne déjà constituée, n’ont pas d’effet macroéconomique. L’argent perdu par l’un passe dans la poche d’un autre. Il peut y avoir un coût social, un coût humain mais l’effet systémique est quasi nul. C’est différent si le « spiel » a été lancé à partir de dépôts bancaires. Et c’est encore plus grave si le « spiel » bénéficie d’un effet de levier. Le risque est alors multiplié par 5, par 10, par 20. L’effet systémique est au bout du chemin.
Pour éviter la catastrophe, il n’existe, me semble-t-il, qu’un seul moyen.
Les banques de dépôt doivent faire leur métier de banques de dépôt et rien d’autre. Ceux qui veulent exercer d’autres activités doivent agir dans le cadre d’autres institutions que l’on peut appeler « banques d’investissement » mais qui, en réalité, ne sont pas des banques : elles sont des sociétés financières qui, à la différence des banques proprement dites, peuvent prendre des risques à partir de l’épargne déjà constituée. Pour que la séparation soit claire et pour que l’effet de levier ne puisse s’appuyer sur des dépôts bancaires, il faudrait que les banques de dépôt - que j’aurais tendance à appeler « banques » tout court - ne soient pas autorisées à octroyer des crédits aux sociétés financières.
Le crédit, c’est une règle de base, ne devrait financer que des activités de l'économie réelle. Libre aux sociétés financières de prendre tous les risques qu’elles jugent utiles à condition d’opérer avec l’argent de leurs actionnaires et de leurs clients complété, si nécessaire, par de l’argent levé en bourse à partir d’une épargne déjà constituée.
Les Américains étaient déjà arrivés à cette conclusion lors de la crise qui a éclaté en 1929.
Le Glass-Steagall Act de 1933, a interdit aux banques de dépôt d’avoir des activités de banques d’affaires. Cette interdiction a hélas été levée en 1999. Le Président Clinton a reconnu, après coup, que c’était une erreur. Les conséquences, en tout cas, ont été lourdes et l’on n’a pas fini d’en payer le prix.
Pourquoi le Glass-Steagall Act a-t-il été abrogé ? Essentiellement, je crois, parce que les banquiers traditionnels ont voulu leur part de gâteau. Gagnant moins d’argent que les banquiers d’affaires, ils ont cherché à contourner la loi, notamment en créant des filiales qui, juridiquement, avaient le droit de faire n’importe quel métier. La mode, à l’époque, était à la dérégulation et les législateurs américains ont cru bon de redonner droit de cité aux banques dites universelles. Si le lobbying avait été moins intense, ils auraient pu ne rien changer et faire comprendre que les filiales, si elles rencontraient des difficultés, ne pourraient, en aucun cas, être secourues ce qui aurait d'ailleurs conduit à renforcer la séparation, non à la supprimer.
L’Histoire en a décidé autrement et les banques, pas seulement aux Etats-Unis mais dans le monde entier, ont multiplié
les innovations financières. Le principe était acceptable puisqu’il s’agissait de répartir des risques dans le marché mais les excès ont été tels qu’en 2008 le système tout entier a failli s’effondrer. Les Etats ont dû consacrer des sommes gigantesques pour sauver les banques et injecter du crédit dans l’économie. Aujourd’hui, tout se passe comme si rien n’avait été appris. Le "business as usual" est de retour.
Les banques gagnent beaucoup plus d’argent dans les salles de marché qu’en octroyant des prêts.
Les bons esprits parlent de
la nécessité d’ajuster les règles prudentielles afin de limiter la spéculation. Mais comment les règles prudentielles pourraient être efficaces si elles ne sont pas précisément adaptées à chaque ligne de métier pour ne pas dire à chaque produit ? Et comment pourraient-elles être adaptées en permanence à chaque ligne de métier dès lors que les circonstances ne cessent d’évoluer ?
Le gouverneur de la Banque d’Angleterre (BoE), Mervyn King, ne s’y trompe pas. A ses yeux, les réformes envisagées sont trop timides.
L’argent public, dit-il, ne doit, en aucune manière, servir de recours à la spéculation. Comme il a raison !
Nous avons connu, en vingt ans, une crise immobilière, une crise de l’Internet, puis une crise bancaire d’une ampleur sans précédent. Il vaudrait mieux éviter sa répétition et donc revenir, sous une forme bien entendu modernisée, au Glass Steagall Act : il faut séparer les banques de dépôts des banques d'investissement.
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