Une éclairante histoire de la science avec Yann Mambrini

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Sciences
Société
Yann Mambrini  ©Club des vigilants
Invité
Yann Mambrine

A l’heure où se diffuse une forme de défiance face à la science, quand ce n’est pas le déni de ses « résultats » (antivax, platistes…), il est salutaire d’entendre des personnes comme Yann Mambrini[i], physicien vulgarisateur passionné et passionnant. 

Au Club des vigilants, il nous a emporté dans une « histoire de la science » très éclairante. Son envie et son goût de nous faire partager la beauté et la puissance de la pensée scientifique et de susciter notre curiosité pour les mystères de l'univers étaient palpables[ii].

Son intervention nous a fait vivre l’histoire des changements de paradigmes liés aux trois grandes révolutions scientifiques, illustrant chacune avec des découvertes clefs et nous montrant (avec une vraie pomme) comment la science avait évolué et les connaissances s’étaient enrichis au fil du temps, par palier. De manière quantique en quelque sorte…( « il faut savoir que dans l'histoire de la science, les révolutions scientifiques ne sont pas continues et linéaires, elles sont elles aussi quantiques »).

Ensuite la séance de question réponses a été l’occasion d’aborder les mystères actuels de la physique, tels que l'énergie noire, les multivers et la question de la recherche d'une théorie unifiée de la gravitation quantique, Fermi, son paradoxe et les extra-terrestres ont bien sûr été évoqués ! Après l’avoir écouté la question se pose : quelle peut être la place de l’humanité dans un cosmos si immense et en expansion ?

La révolution grecque : la naissance de la « physique »

La période qui débute vers -600 avec l'école de Milet, notamment avec des figures telles que Anaximandre et Pythagore, est considérée comme le vrai début de la science. En grec, φύση (fýsi) signifie « nature » : c'est la première fois que l'homme cherche à expliquer les phénomènes naturels par des causes naturelles et non surnaturelles. 

Un personnage clef pour Yann Mambrini, parce qu’il montre la puissance de cette science, est Ératosthène. Celui qui a « mesuré » le rayon de la terre en utilisant la géométrie et l’observation, avec un simple bâton planté dans un puit le jour du solstice d’été à Assouan comme unique instrument ! Avec une pomme, le physicien nous raconte l’expérience qui a abouti à ce résultat universellement reconnu et qui constitue sans doute la vraie base de la recherche en physique. 
Son admiration est palpable : « un homme en plantant un bâton et en réfléchissant sur la géométrie comprend que la Terre est ronde, comprend qu'en mesurant l'angle, il a le rayon de la Terre sans jamais avoir fait le tour de la Terre. Donc ça c'est pour vous montrer la force de la science grecque ! […] Une fois qu’on a le rayon de la Terre, on peut avoir le rayon de la Lune parce qu'il y a des éclipses de Lune et on peut avoir ensuite la distance Terre Lune et on peut avoir même la distance Terre Soleil. Donc les Grecs avaient déjà calculé tout ça. Ils savaient déjà que dans le ciel ce sont des étoiles. Il y a déjà des écrits grecs là-dessus ».

La révolution copernicienne : passage à une vision héliocentrique du système solaire et « mathématisation » de la physique

Ses personnages clés sont Copernic, Kepler, Galilée et Newton. Cette révolution s'étend de 1550 à 1700 environ. Pourquoi aura-t-il fallu 150 ans pour que soit accepté le système héliocentrique de Copernic ? En fait son modèle, très beau, fait de déplacement des planètes en cercles, ne fonctionne pas parfaitement. Puis vient Kepler qui découvre que les planètes se déplacent sur des ellipses. Mais une ellipse, ce n’est pas beau, alors que « l'esthétisme est quelque chose de très important dans la théorie mathématique. Une bonne théorie souvent une théorie belle mathématiquement ». Heureusement, Kepler persiste, et il formule ses célèbres « lois », dont la première confirme la trajectoire elliptique des planètes autour du soleil. Puis vient Galilée, qui observe le mouvement de Mars et confirme le modèle héliocentrique elliptique.

Mais la vraie bascule vient avec Newton et ses équations. Sa loi de la gravitation permet d'expliquer aussi bien la chute des corps sur Terre que le mouvement des planètes autour du soleil. Mais d’abord il a une idée et ensuite interviennent les équations.
Il a « imaginé » que l'attraction de la Terre sur la Lune était la même que l'attraction de la pomme sur la terre. Sa pomme n'est pas l'intuition de l'attraction, mais l'intuition que c'est la même force de gravitation qui explique la chute de la pomme et la trajectoire de la lune. « La pomme tombe quand je la lance pour la même raison que la lune tourne autour de la terre. Car si je lance la pomme avec assez de vitesse elle ne retombera jamais plus sur terre. Cette vitesse est facile à calculer (il faut que la force à laquelle je lance la pomme soit plus forte que la force d’attraction qui la fait tomber : plus de 11km/s) ». Newton mathématise ainsi la gravitation en créant le calcul différentiel et les équations qui décrivent le mouvement des corps célestes. 

La physique devient mathématique, avec des équations pour expliquer les phénomènes physiques.

La révolution moderne (ou quantique) : électromagnétisme, physique quantique et relativité générale

Cette révolution débute avec Faraday, Maxwell et Hertz et se poursuit avec Planck et Einstein et s'étend à peu près de 1865 à 1940 avec la bombe nucléaire. Cette révolution est marquée par la physique quantique et la relativité, qui ont transformé notre compréhension de l'univers et de ses lois.... Et on revient sur la manière dont la science évolue : « une idée/un concept, une expérience, une mathématisation et une expérience pour prouver que les math ont raison ».

Faraday introduit le concept de champ électromagnétique.... Maxwell formalise ces idées en équations et montre que la lumière est une onde électromagnétique.... Planck introduit la notion de quantification de l'énergie pour résoudre le problème du corps noir.... Einstein étend ce concept en introduisant le photon et développe la relativité générale, qui décrit la gravitation comme une courbure de l'espace-temps. La relativité générale d'Einstein a été validée par l'observation de la déviation de la lumière des étoiles lors d'une éclipse solaire par Eddington....

Yann Mambrini nous raconte l’histoire étonnante de Faraday, « un personnage incroyable […] qui n’a jamais été à l'école ».  Employé par un relieur de livre à 14 ans celui-ci lui avait assigné la catégorie des livres scientifiques , et « en attendant que la colle sèche et bien il lisait les deux pages. Il tournait, il reliait et il lisait tous les livres scientifiques. Entre 14 ans et 18 ans, il a lu tous les livres scientifiques de l'époque juste en les reliant sans avoir aucune idée ». Puis il se fait recruter comme apprenti par Davy, physicien très connu qui donnait des cours à la Royal Society le prend comme apprenti. Et « Il a écrit un super livre où il explique comment une bougie se consume. Les livres de Faraday sont vraiment très bien écrits parce qu'il n’y a pas d'équation, parce qu'il n’est pas physicien, il n’est pas mathématicien. Il a le concept, le concept de champ. Et le concept de champ, c'est fondamental ».

Maxwell intervient ensuite en 1865 pour mettre ces idées en équations mathématiques. Et introduit le chiffre de la vitesse de la lumière pour expliquer la propagation des ondes.  Puis vers 1870 « Hertz arrive en tant qu'expérimentateur, il fait la fameuse expérience. : il a un récepteur, un émetteur, il bouge dans la pièce, il voit les étincelles qui apparaissent comme des vagues, il mesure la vitesse de propagation de l'onde électromagnétique avec son petit appareil. dans sa dans sa petite salle et il mesure la vitesse de la lumière effectivement donc l'onde électromagnétique se propage de la vitesse de lumière donc la lumière est le responsable de la propagation de l'onde entre un aimant et un autre aimant, c’est ce qu'on appelle l'électromagnétisme ». 

Puis vers 1900 arrive Planck. « L'Allemagne est un peu en retard par rapport à l'Angleterre et la France dans la révolution industrielle. L'Allemagne a besoin de rattraper son retard. Donc Siemens décide de créer un centre de physique théorique principalement pour essayer de produire des ampoules qui consomment de moins d'électricité possible pour éclairer le plus possible. Le but est d’augmenter le rendement des ampoules. Donc c'est un problème très concret et Planck travaille pour ces centres-là ».
En travaillant sur le problème du rayonnement (spectre) du corps noir que les modèles précédents ne permettaient pas d’expliquer, Planck a fait l'hypothèse que l'énergie n'est pas émise ou absorbée de manière continue, mais plutôt en quantités (« vagues ») discrètes.  Il a introduit l'idée que la lumière est émise en paquets d'énergie distincts, ou quanta, plutôt que sous forme d'ondes continues... Et a « quantifié » les vagues. Il a trouvé une formule mathématique qui décrivait avec précision le spectre du corps noir . Cette formule impliquait une nouvelle constante fondamentale, appelée constante de Planck, qui relie l'énergie d'un quantum à sa fréquence.
a quantifié les ondes de Maxwell, en créant le concept du photon1. Alors que Maxwell considérait la lumière comme une onde continue, Planck a proposé qu'elle soit composée de particules discrètes appelées photons, ce qui a conduit au développement de la physique quantique1....

Einstein est surtout connu pour sa théorie de la relativité générale. Il s'est rendu compte que la gravité de Newton n'est pas un champ, alors qu'il devrait l'être.  Einstein voulait une théorie des champs de la gravité. 
Einstein a prédit la courbure de l'espace-temps et la déviation de la lumière des étoiles due à la gravité.... En 1919, Eddington a confirmé cette prédiction en observant le déplacement des étoiles lors d'une éclipse solaire, ce qui a rendu Einstein mondialement célèbre....

NB : la relativité générale d'Einstein a des applications concrètes, comme le GPS, où les corrections basées sur cette théorie sont nécessaires pour maintenir la précision.

 

Quelques enseignements sur la manière dont la science évolue

La science progresse en élargissant le cadre des théories existantes, plutôt qu'en les remplaçant complètement
Les théories scientifiques ne sont généralement pas fausses, mais plutôt limitées à un certain domaine de validité : l’exemple de la physique newtonienne en est une excellente illustration. Elle fonctionne parfaitement bien pour des vitesses faibles par rapport à celle de la lumière et des champs gravitationnels peu intenses, comme ceux qu'on trouve sur Terre (la pomme, quand on la lance, tombera toujours !). Lorsque l'on sort de ce cadre, avec des vitesses proches de celle de la lumière ou des champs gravitationnels très forts, comme ceux des trous noirs, la physique newtonienne n'est plus suffisante et doit être complétée par la relativité générale d'Einstein. Les théories antérieures sont toujours valables dans leur cadre d'application, mais elles sont intégrées dans un ensemble plus large.
Comme le souligne l’un des participant en citant Bachelard, la science progresse par hypothèses rectifiées : les scientifiques émettent des hypothèses qui sont ensuite testées et éventuellement modifiées ou affinées. C'est un processus itératif : la science progresse en corrigeant les erreurs et les imprécisions des théories précédentes. Et, comme l'exprime un autre participant en citant Hugo, « La science est une asymptote de la réalité. Elle approche sans cesse et ne touche jamais »....

L’importance de la prédiction
Une théorie scientifique doit être capable de prédire de nouveaux phénomènes.... La vérification de ces prédictions permet de valider la théorie et de montrer sa supériorité par rapport aux théories précédentes. Par exemple, la relativité générale d'Einstein a été validée par l'observation de la déviation de la lumière des étoiles lors d'une éclipse solaire, un phénomène qui n'était pas prédit par la théorie de Newton.... Les prédictions permettent d'affiner et de valider les théories scientifiques.

 

Quelques grands défis conceptuels et théoriques auxquels est confrontée la physique aujourd'hui

La résolution de ces défis pourrait entraîner des révolutions conceptuelles aussi profondes que celles qui ont marqué l'histoire de la physique. Et deux plus particulièrement : la découverte possible d’une théorie quantique de la gravité et la compréhension de l’énergie noire.

« La prochaine révolution sera la révolution qui unifiera l'infiniment petit et l'infiniment grand. Donc la physique quantique et la relativité générale. Ça fait un siècle qu'on essaie de la réunir. On n'y arrive pas […] On n'a pas de théorie quantique de la gravité, c'est ce qui nous manque. C'est la dernière révolution ».  
Ainsi le temps deviendrait quantique, avec un temps discontinu et "flou", ce qui signifierait un changement de paradigme philosophique sur la nature du temps.

L’accélération de l’expansion de l’univers que nous connaissons est attribuée à une composante mystérieuse appelée énergie noire, qui possède une densité constante et exerce une pression négative, contrairement à la matière ordinaire. que les physiciens travaillent sur des concepts comme le champ de quintessence (le cinquième élément d'Aristote) pour tenter d'expliquer cette énigme .

 

La discussion finale évoque l'idée de multivers, qui pourrait être une conséquence de la physique quantique ou une explication au principe anthropique et au paradoxe de Fermi : « pourquoi, avec un si grand nombre de planètes potentiellement habitables dans l'univers, n'avons-nous reçu aucun signal d'autres civilisations ? ». 
Et nous vous renvoyons à la vidéo de cette Matinale pour en savoir un peu plus quant aux réponses possibles évoquées par Yann Mambrini.

On peut dire qu'explorer la validité et les implications de ces hypothèses représente un défi conceptuel majeur, touchant à la place notre « humanité » dans le cosmos. Mais en connaîtrons-nous les "réponses" ?

 


 


[i] Yann Mambrini est directeur de recherche au CNRS, docteur ès physique théorique, membre du conseil scientifique du CNRS et du comité scientifique du laboratoire de physique théorique de l’université Paris-Saclay. Il est l’auteur de plusieurs livres de vulgarisation : « Histoire de temps : de la nature du temps et de sa mesure » (Ellipses, 2020), « Newton à la plage » (Dunod, 2021) et récemment « La Nouvelle Physique: Comprendre les lois ultimes du cosmos » (Albin Michel, 2024).

[ii] En guise de « surprise » pour l’auditoire, et comme des cadeaux des révolutions scientifiques passées, il avait apporté deux éditions originales : l’une de Galilée et l’autre un manuel des « instructions abrégées sur les mesures déduites de la grandeur de la terre, uniformes pour toute la République » (le fameux système métrique). 

 

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