C’est la question que pose Jérôme Bondu, expert en intelligence économique, directeur de la société de conseil Inter-Ligere et auteur de "Maîtrisez internet. Avant qu'internet ne vous maîtrise", qui est intervenu devant le Club le 23 octobre dernier.
Historien de formation, Jérôme Bondu valorise le « temps long » et dit avoir écrit son livre sous l’effet d’un véritable sentiment de « révolte » : comment se résigner à cette situation ? Il se demande dans son livre (ce qui a touché la corde sensible du Club des vigilants…) dans quelle « léthargie intellectuelle » nous sommes plongés pour nous laisser faire ainsi.
Google est né en 1998, Facebook en 2004, « et on ne pourrait plus rien faire » face à leur emprise ? De la même manière, l’affaire Snowden date d’à peine 4 ans et portant ses effets semblent complètement estompés, voire l‘histoire oubliée ou même inconnue de la part de plus jeunes.
Les réactions des participants ont été le reflet de cette double posture de Jérôme (noirceur du diagnostic mais idée qu’on peut/doit encore réagir pour s’en sortir) : si certains ont semblé trouver son état des lieux (comme d’ailleurs il l’a qualifié lui-même) empreint de « catastrophisme », d’autres l’ont encore noirci. Et beaucoup, comme lui, ont évoqué des pistes de « solutions » pour sortir de cette situation.
Un état des lieux plutôt noir
Les constats sont factuels. Google chrome, Androïd, Facebook, Linkedin, Twitter, Microsoft, Youtube, Instagran, Whatsapp, Apple, Samsung, Lenovo (la liste est infinie),... : du matériel aux applications, en passant par les systèmes d'exploitations, programmes et moteurs de recherche, la quasi-totalité des outils numériques qui dominent la planète et notre quotidien proviennent de pays non-européens.
Comme Jérôme Bondu le décrit très bien dans son livre, l'ampleur de la surveillance généralisée mise en place en toute impunité par les entreprises qui les possèdent (et avec notre complicité) crée d'évidents risques économiques, mais surtout, menace nos libertés individuelles et la souveraineté de nos pays européens. Une véritable fuite des données informationnelles des citoyens européens hors d'Europe s'est progressivement installée.
Aujourd’hui, pour lui, face aux deux grands pôles que constituent la Californie et la Chine, l'Europe semble avoir abandonné sa souveraineté en matière numérique.
Du côté du diagnostic « noir », certains ont relevé la redoutable séduction exercée par des outils très utiles dont il est de plus en plus difficile de se passer, notamment dans la sphère professionnelle : des choix collectifs ont ici une influence évidente sur les comportements individuels.
La question de l’attitude des plus jeunes, nés avec internet, a été soulevée : ils semblent ne voir que les intérêts/bénéfices d’une « offre » avec laquelle ils ont toujours vécu, qui leur semble relever de l’évidence et, voire, qui ouvre pour eux des perspectives d’emploi pour demain. Or le discours catastrophiste et « one to one » a peu d’influence sur leur opinion. Il faudrait trouver d’autres moyens de les convaincre… quand ce sont eux qui vont demain orienter les évolutions du monde !
Enfin, la véritable « guerre économique » (cf. le livre publié en 1992 par Bernard Esambert, l’un des fondateurs du Club des vigilants, « La guerre économique mondiale ») livrée par les GAFA a également été évoquée. « Google est une machine de guerre, (…) qui impose la vision d’un monde marchand et individualiste, porté par un système digital » nous dit Fabrice Benaut ». Jérôme Bondu semble tout à fait en phase avec cette idée : pour lui, « Google n’a pas été crée dans un garage, mais sur un porte-avion américain ! En récupérant 50 ans de recherches menées par l’armée américaine ». Et il fait un long développement sur la manière dont différents outils de « communication » ont été utilisés depuis un siècle pour « manipuler » les opinions publiques, jusqu’à la récente affaire de Cambridge Analytica.
Nécessité (et possibilités) de réagir ?
Face à cette situation, de nombreux participants, en écho à ce qu’avait dit Jérôme Bondu sur la possibilité de réagir en utilisant les voies du droit, de la fiscalité ou de la prise de conscience individuelle menant à de nouveaux comportements, ont suggéré des « pistes » de solution.
On peut sans doute ainsi « être fiers du RGDP » ; « Nous sommes encore dans un Etat de droit ! » s’exclame Jérôme Cazes. Et d’évoquer la manière dont le jeune étudiant autrichien Max Schrems, simple « citoyen », a réussi à faire plier les GAFA en 2015 en obtenant l’invalidation de l’accord Safe Harbor par la Cour de justice de l’Union européenne.
Les GAFA sont pour plusieurs des « colosses aux pieds d’argile. Et notamment Google, dont 97% du chiffre d’affaires provient de la publicité de son moteur de recherche. Relevons dans ce sens que Bruxelles a par deux fois mis Google à l’amende récemment, avec à chaque fois des sommes importantes : 2,4 milliards d’euros en juin 2017 pour son service de comparaison de prix, et 4,3 milliards en juillet dernier pour Android. Attendons de voir ce que donnera la suite (Google a bien évidemment fait appel de ces décisions).
Et que se passerait-il si, comme l’a suggéré Jérôme Bondu, tous les internautes européens se mettaient à utiliser Qwant, sous Firefox, plutôt que Google (en France plus de 9 internautes sur 10 l’utilisent comme moteur de recherche) ? Et protonmail (solution gratuite et protectrice des échanges de mails) plutôt que gmail ?
Par ailleurs, des réactions semblent commencer à voir le jour en termes de meilleure compréhension des effets du numérique sur nos vie. Après une phase d’engouement évident, nous sommes sans doute en train d’entrer dans une phase de plus grande maturité.
Beaucoup d’études allant dans le sens de cette prise de conscience nécessaire sont publiées. On peut « juste » regretter qu’elles soient le fait d’experts philosophes, sociologues, économistes, neuroscientistes et…très peu de personnes issus du monde technologique lui-même souligne Jean-François Soupizet, qui relève que depuis peu les Etats eux-mêmes cherchent à reprendre la main depuis quelques temps (cf. son article « Le retour de la puissance publique » dans Vigilances 119).
Ceci soulève d’ailleurs une question centrale pour le futur : faut-il avoir confiance dans ces géants du numérique qui nous mènent vers une dictature soft ? Ou bien en des Etats qui pourraient avoir tendance à utiliser ces outils et informations pour se maintenir au pouvoir ?
« Le monde d’interfaces » (au sens numérique du terme) qui se développe va inévitablement se heurter à ses limites : l’homme va toujours avoir besoin de contacts « directs » (physiques) et une régulation va nécessairement s’opérer entre ces deux mondes souligne Jean-François David.
Last but not least, une meilleure connaissance de nos propres comportements et des effets du numérique sur ceux-ci se développe progressivement et pourrait faire partie, bien sûr, des « solutions ». Les sciences cognitives en plein développement ouvrent la porte à cette meilleure compréhension de nos propres modes de fonctionnement et vont probablement améliorer l’intelligence nécessaire pour « éduquer » et accroître l’esprit critique indispensable pour lutter contre les avenirs non désirable pour l’humain…
En guise de conclusion…provisoire
Il semble que sur ce sujet global de la « place croissante du numérique dans nos vies» les responsabilités individuelles soient très importantes.
Car, si comme le dit Jérôme Bondu « nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins : encore dans l’ancienne civilisation et bénéficiant des effets positifs de la révolution numérique », quid pour demain ?
Quel monde allons-nous laisser à ceux qui n’ont rien connu d’autre que le monde numérique ?
A chacun de se montrer vigilant s’il ne veut pas se laisser imposer un futur qu’il ne souhaite pas !
Vous pouvvez consulter la vidéo intégrale de cette Matinale ci-dessous.
Commentaires
Trop tard !!!!
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