
Dans une note sur la soutenabilité des dettes publiques de la zone euro France Stratégie évoque une mesure inédite : l’Etat décrète qu’il devient copropriétaire de tous les terrains construits résidentiels. Il devient ainsi créditeur d’une somme annuelle correspondant à la rémunération du droit d’occupation du sol dont le paiement peut être différé lors de la vente ou de la transmission. Ni les revenus courants ni les patrimoines professionnels ne sont touchés. La ponction est même favorable à l’activité puisqu’elle lève l’aléa d’une déstabilisation par la dette grâce au rééquilibrage du bilan patrimonial de l’Etat.
Les vingt dernières années ont été terribles pour la dette publique de la zone euro, passée de 65% à 90% du PIB (56% à 97% en France). La facilité de la dépense publique plutôt que des réformes mais aussi la protection des Européens comptent parmi les causes. Des transferts massifs de revenus sociaux ont accompagné la désindustrialisation et des mécanismes de stabilité ont évité le pire lors de la crise de 2007. Côté conséquences : la litanie de la paupérisation des producteurs publics de services (santé, police, armée, recherche), la rigueur sans fin pour ceux qui ont besoin des revenus sociaux et la menace constante d’une hausse des taux, pudiquement appelée « choc extérieur », dont personne ne sait comment on en sortirait. France Stratégie rappelle que, sur la même période, le patrimoine immobilier, porté par le gonflement de la masse monétaire, augmentait fortement (de 125% à 255% du PIB en France, soit une hausse de près de mille milliards en euros courants), sans toutefois mettre en perspective les écarts considérables dans la distribution de cette manne.
La situation est critique parce que, outre la question de leur acceptation politique, la viabilité des scénarios de désendettement par l’ajustement budgétaire est douteuse. Ils reposent sur des hypothèses de croissance et d’inflation (qui dévalorise le stock de dettes) ante GFC[1] dont rien ne dit qu’elles sont toujours d’actualité tant les paradigmes monétaire et économique ont été transformés par la crise (« disparition » de l’inflation, stagnation de la productivité). France Stratégie calcule l’écart de la dette française à 60% du PIB (critère de stabilité) comme égal à 830 Md d’euros (7,5% du PIB de la zone euro, 38% du PIB France). Au rythme annuel d’un désendettement de 0,5% points de PIB il faut soixante-quinze ans une fois le déficit réglé (-3,4% en 2017) ce qui nécessite encore quelques années. C’est le temps de plusieurs générations. Plusieurs générations sans marge de manœuvre budgétaire, c’est-à-dire sans projet politique si ce n’est régater pour maintenir le navire à flot. Amis populistes, profitez de l’aubaine !
La proposition a provoqué la sidération de Matignon qui a décidé la mise sous tutelle de son think tank, utile rappel que la liberté de penser est une fonction décroissante de l’activité gouvernementale. On comprend que Matignon ait pris peur tant est grande sa force de transformation : à la fois éthique, économique et profondément politique. Le risque électoral est à l’aune de la transformation et dépasse de loin la capacité politique d’un simple gouvernement.
Pourtant, dans des circonstances exceptionnelles, l’Etat sait organiser un transfert massif du risque macroéconomique vers les investisseurs privés. L’Assemblée constituante accapara les biens du clergé, pilier du régime monarchique, pour fonder le nouveau régime social de la révolution. La dévaluation Poincaré de 1928 prit 4/5e de la fortune des épargnants, face aux sacrifices de la guerre leurs récriminations étaient dérisoires. En 1959, le plan Rueff Armand, adossé au capital politique du général de Gaulle, liquida l’entreprenariat malthusien et protectionniste et fonda la France de l’expansion.
Enrichissement sans cause sérieuse des propriétaires privés dans les métropoles, paupérisation des acteurs publics et des unlucky qui n’ont pas de patrimoine immobilier, souveraineté corsetée par la dette : politiquement nous pouvons mieux faire ! L’explosion du populisme – en frappante homothétie avec celle de la dette – rappelle à ceux qui l’oublieraient notre piètre performance collective.
Un grand basculement immobilier est aujourd’hui inaudible. Il nécessiterait un énorme travail politique et juridique mais il ouvrirait un champ des possibles. Des questions lancinantes telles que la surexploitation des revenus du travail pour financer la protection sociale, les déséquilibres de patrimoines entre générations ou, pourquoi pas, un revenu universel dépasseraient le stade de l’illusion et des pétitions de principe. Cette réforme serait de droite par son orthodoxie budgétaire et de gauche par l’ampleur de la redistribution qu’elle envisage. En inspirant nos voisins et partenaires elle deviendrait européenne. Elle pourrait être le socle économique et avant tout politique qui manque au président Macron pour accomplir la transformation qu’il a annoncée.
Cette tribune a été publiée par Le Monde le 19 octobre 2017
[1] Global Financial Crisis de 2007-2008
Commentaires
Le déficit public a comme
Acheter en crédit est-il devenu une hérésie ?
Peut-on limiter le droit de propriété en France ?
La question de la dette
La question de la dette publique crispe beaucoup de gens. Il faut cependant prendre la mesure d'un phénomène qui s'est maintenant bien installé, les taux d'intérêt bas.
De mon point de vue, nos stratèges en la matière, et au premier rang d'entre eux Mario Draghi, ont bien l'intention de faire durer des taux d'intérêt bas, et ils en ont les moyens.
Le discours politique, lui, annonce que ces taux ne pourront pas rester bas : merveilleuse manipulation des petits et grands épargnants ! En attendant, ce qui à mon avis n'arrivera plus, à savoir la remontée des taux, les épargnants sont bien les investisseurs forcés de l'économie actuelle, et c'est très bien comme ça.
Dette , idée à débattre , France Stratégie.
Rente immobilière et infrastructure de Transports
Pour stimuler la réflexion : un rappel des expériences en cours sur la captation de la rente foncière générée grâce à de nouvelles infrastructures de transports collectifs.
Outre-Atlantique, la ville de Montréal l'applique dans le cadre de la réalisation de son nouveau métro et en la modulant en fonction de la proximité du bien immobilier avec les stations. En France, les communes peuvent utiliser ce levier en jouant sur l'assiette fiscale de la taxe locale d'équipement qui peut être due à l'occasion d'opérations de construction immobilière. Les outils existent, le reste est une question de volonté politique.
rente immobilière c'est à dire au détriment de l'intérêt général
Gagner de l'argent sans faire aucun effort a toujours scandalisé les grands penseurs de gauche, et on les comprend. Ces penseurs sont en pénitence en ce siècle d'ultralibéralisme, de spéculation effrénée et d'évasion (ou d'optimisation) fiscale massive.
Nos meilleurs hauts fonctionnaires et économistes imaginent des outils pour inverser ces dérives qui sont le ferment du populisme. Ils ne sont pas encore suivis par les hommes politiques courageux (il y en a, si, si). Les solutions peuvent émerger au niveau mondial, c'est déjà difficile, et plus difficilement encore aux niveaux nationaux. Sauf en matière de fiscalité foncière ou sur les actifs nets. Là il y a des gisements prodigieux de justice sociale.
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