
Notre société fracturée souffre
d’un déficit d’espérance. Le « chacun pour soi » altère l’adhésion à des valeurs communes. Les aides publiques, essentiellement matérielles, atténuent des souffrances mais la solidarité manque d’âme.
Mobiliser les ressources humaines redonnerait un sens à l’idée de progrès. Pour reprendre la terminologie du Club des Vigilants, cela ressemble bien à un « domaine clé ».
Pour choisir ce que vous appelez un « point clé » sur lequel l’effort devrait prioritairement porter, je m’appuie sur l’expérience acquise en tant que Médiateur de la République. En 2009, le nombre d’affaires reçues s’est élevé à 76.286. Depuis le début de l’année, l’accélération est notable. Les courriels, en particulier, ont explosé : d’environ 300 par mois, ils sont passés à environ 1.200. La plupart reflètent un réel désarroi. Ils donnent à penser que notre société est porteuse d’échecs et que ces échecs entament l’estime de soi, ce bien inestimable que chacun devrait pouvoir garder. Il convient, dans ces conditions, de
valoriser les potentiels afin de réduire le nombre et la gravité des échecs qu’il faudra compenser. Pour résumer l’action à mener dans le cadre de ce « point clé », deux mots suffisent :
éveil et
accompagnement.
-
Eveil : Rien n’est plus redoutable que l’échec scolaire. Un élève, considéré comme « bon à rien » aura du mal à trouver du boulot et sera tenté par des trafics en tous genres. D’où un germe de violence et de confrontation entre deux sociétés.
Je ne prétends pas être expert en matière d’éducation mais il me paraît évident qu’il faut donner aux jeunes
l’envie d’apprendre. Cela commence très tôt, avant même le CP qui, de fait, est la première étape d’une longue course d’obstacles. La plupart de ceux qui échouent au CP sont pénalisés à vie. Le savoir leur paraîtra rébarbatif et l’érudition encore plus.
Ma fille est enseignante en collège en sciences économiques et sociales. Je lui disais « quelle chance pour vous à l’école en ce moment ? Avec l’actualité, vous avez des exemples pour expliquer la bourse, le chômage, les emprunts d’état, la crise, le pouvoir d’achat ». Elle m’a répondu « pas vraiment car ils ont un programme à suivre à la lettre » :
Comme si l’érudition devait l’emporter sur le savoir et que la vie ne devait pas imprégner le savoir.
Il est question aujourd’hui
d’aménager les rythmes scolaires. Ce serait, je crois, une bonne chose. Des vacances trop longues et des trimestres trop courts conduisent à la surcharge. Et cette surcharge est, par elle-même, génératrice d’échecs.
Lorsque j’étais président de l’AMF, le Commissariat au plan m’avait demandé un rapport sur les rythmes scolaires. La première chose que j’ai faite était de changer l’étude et de la faire porter non pas sur le rythme scolaire mais sur
le rythme de l’enfant. Il n’y a qu’en France où les enfants sont en classe 40 heures par semaine à être « assommés » de savoir et de leçons, au-delà de leurs capacités physiologiques d’entendement, de concentration. J’avais proposé davantage d’éveil sportif, musical, théâtral, artistique. Pour qu’un jeune, qui ne réussisse pas à l’école, ne soit pas considéré par les autres, par ses profs, ses parents, au point de s’en convaincre lui-même qu’il ne vaut rien et ne sait rien faire et qu’il est en échec total !
A Bapaume, j’ai fait construire un mur d’escalade. Les profs de sport sont venus me voir en me disant « extraordinaire pour l’esprit de classe ce mur » ! Savez vous pourquoi ?
Parce que, pour faire de l’escalade, ça marche par binôme et vous avez besoin de quelqu’un pour vous assurer lorsque vous grimpez. Et bien, les mômes un peu balaises, un peu costauds, voire obèses, ne sont plus la risée de leurs copains, ils sont les chouchous. Parce que lorsque ce sont eux qui vous assurent, vous pouvez grimper facilement et sans risque. Le type qui, d’habitude, est toujours choisi en dernier dans les équipes est, cette fois-ci, choisi en premier ! Et ça, pour le môme, ça change tout puisque le regard des autres sur lui change et son propre regard sur lui-même change aussi !
Au fond, tout s’enchaîne. Du bébé à l’adolescent, il faut respecter le rythme de l’enfance si l’on veut éveiller des potentiels et faire en sorte que les adultes puissent être équilibrés et responsables.
- Accompagnement : Même si l’école était la meilleure possible, la vie resterait semée d’embûches. Chômage, surendettement, mésentente conjugale, ennuis de santé, tout peut se conjuguer pour faire perdre confiance. La Sécurité Sociale et les indemnités diverses permettent à de nombreuses personnes de ne pas tomber au fond du trou mais il arrive un moment où
celui qui ne remonte pas dégringole. C’est cette catastrophe qu’il faut s’efforcer d’éviter car, comme l’a écrit Malraux : «
Le pire des châtiments est de mourir sans avoir découvert la richesse que l’on portait en soi ».
Formation continue, reconversions facilitées, tout cela est bon et peut se révéler suffisant pour ceux qui sont en position et ont encore la force de s’accrocher aux branches. Reste que l’être humain est affectif : il a besoin de chaleur ; et cette chaleur ne peut venir que si d’autres humains portent sur lui un regard affectueux.
Qu’on appelle cela fraternité ou esprit d’équipe, qu’il s’agisse de vie associative ou de tutorat personnalisé, peu importe. L’essentiel est le lien.
A la Médiature, nous avons lancé un Intranet sur lequel les équipes peuvent échanger et se rendre des services. Je vends un micro-ondes, qui ça intéresse ? Je pars en week-end, tu peux garder mon chien ? Lors des grèves de transport, est-ce que tu peux passer me chercher, etc. ?
A Bapaume, j’insiste énormément sur l’aspect festif. Je trouve qu’il faut qu’on se remette à parler ensemble, à faire la fête ensemble, à chanter ensemble, à danser ensemble … pour résumer à vivre ensemble
Pour soigner
les pathologies de la société moderne, il faut s’appuyer sur les ressources de cette même société. Dans les administrations comme dans les collectivités locales et dans les entreprises, il y a des gens de bonne volonté qui peuvent s’unir pour agir. De plus, il y a des millions de gens qui sont sortis de ce que l’on appelle, à tort, la « vie active ». Comme si le travail rémunéré était la seule forme d’activité concevable.
A mes yeux, la meilleure façon de redonner sens à la politique serait de contribuer
à faire naître une espérance collective plus forte que les désespérances individuelles. Et à rendre fiers d’eux-mêmes ceux qui font oeuvre utile.
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