
Comment agir ? Pour les individus comme pour les groupes, dans la vie courante comme dans les grandes occasions, il n’est pas de question plus essentielle. Pendant de longues années, je me suis efforcé de comprendre comment notre cerveau nous permettait de prendre des décisions, en particulier j’ai montré dans «
La décision » que le modèle du décideur rationnel était caduc et qu’il fallait tenir compte du « cerveau des émotions » sur lequel les neurosciences modernes apportent de très importantes nouvelles connaissances.
Dans mon dernier ouvrage («
La simplexité »), j’essaye de montrer comment il trouve des réponses efficaces à des questions complexes et, plus généralement, comment le vivant est équipé pour trouver des solutions que je nomme « simplexes » et élégantes.
Simplifier dans un monde complexe n’est pas simple. Le premier écueil consiste à se mettre en quête de solutions simplistes : on ignore alors les interactions qui tissent le vécu. On caricature le réel et, lorsqu’il s’agit d’hommes et de femmes avec leurs histoires, leurs désirs, leurs croyances, ou de sociétés, ou encore de cultures différentes, on déclenche des catastrophes. Le simple est souvent simpliste. Le second écueil conduit, au contraire, à se noyer dans la complexité : on perçoit les dangers des simplifications abusives et, sous prétexte de lucidité, on trouve de bonnes raisons de ne rien faire ou on est plongé dans la confusion et le désarroi ou même le désespoir qu’il suscite chez les agents.
Trouver les chemins de la simplexité me paraît être ce que le
Club des Vigilants appelle un « domaine clé ». Je vous cite d’autant plus volontiers qu’à l’intérieur de ce domaine, la mission que vous vous êtes assignée - l’exercice de la vigilance - est, à mon avis, un « point clé ».
Pour aboutir au simplexe, la vigilance n’est pas suffisante mais elle est nécessaire. Elle est un élément déterminant pour quiconque veut anticiper, sortir du normatif, agir en temps voulu, faire du tout des parties et des parties un tout :
Anticiper : impossible de mettre un pied devant l’autre, de faire un pas dans la bonne direction si notre cerveau ne trace pas le chemin. Pour que la prospective soit adéquate et tienne compte de l’expérience, il faut une "vigilance active".
Sortir du normatif : c’est aller au-delà du cas d’espèce, trouver des processus généralisables et, par là même, adaptables en fonction des circonstances. Cela implique une « vigilance ouverte ».
Agir en temps voulu : plus une solution est simplexe, plus rapide peut être l’action. Encore faut-il être équipé pour repérer l’imprévu susceptible d’aller à l’encontre de ce que l’on considère probable. Cela demande une
vigilance hétérodoxe.
Faire du tout des parties et des parties un tout : c’est la division du travail avec l’idée sous-jacente d’un objectif à atteindre. D’où la nécessité d’une
vigilance opérationnelle.
Pour parfaire le profil, j’ajouterai que, dans les rapports humains, le besoin se fait sentir d’une
vigilance empathique. Mais attention : empathie ne signifie pas sympathie. La sympathie, c’est la contagion émotionnelle : tu es triste, je suis triste. L’empathie, c’est la capacité de se mettre à la place de l’autre tout en restant soi-même et de pouvoir ainsi faire œuvre utile.
Je ne connais pas assez votre
Club pour savoir si la vigilance que vous affûtez depuis dix ans peut être vraiment considérée comme active, ouverte, hétérodoxe, opérationnelle et empathique. Il me semble, cependant, que vous êtes partis d’un bon pied avec votre credo :
«
Personne ne peut prédire l’avenir mais quiconque s’enferme dans une spécialité est pratiquement sûr d’agir aveuglément ». Comme me l’a dit
Marc Ullmann citant
Jacques Blamont : «
Vous m’avez dit avoir été amené à mesurer la double difficulté de l’anticipation, condition nécessaire d’une bonne vigilance » : les spécialistes qui ont le nez sur le guidon ne voient pas les virages ; et les non spécialistes manquent de connaissances suffisantes pour mesurer l’étendue des dangers. C’est le «trou noir» de la connaissance. Pour le combler, vous avez, j’en suis sûr, été conduits à pousser des experts dans leurs retranchements, c’est-à-dire à les forcer de justifier des vérités qu’ils considéraient comme acquises.
Pour satisfaire aux exigences du présent « point clé », il faudrait maintenant passer de la réflexion à l’action. En pratique, vous pourriez
servir de catalyseur à des actions éparses et favoriser l’émergence de réseaux collaboratifs pour en créer de nouvelles. Les besoins ne manquent pas, les bonnes volontés non plus. Le concept de simplexité pourrait être utile pour guider une réflexion mais c’est à vous d’en juger.
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