Le classement Shanghai des universités, publié cet été, confirme la place des nôtres parmi leurs sœurs étrangères : trois dans les cent premières, et loin dans les profondeurs du tableau. Medias et politiques ont clamé que les critères utilisés " favorisent le modèle anglo-saxon ".
Mais tout autre classement aboutit à un résultat similaire : il se trouve que nos universités souffrent de maux connus.
1/ Sur la gouvernance
Du progrès a été accompli en 2008 par la loi LRU qui a instauré une autonomie budgétaire bien venue mais dont la mise en œuvre s’est révélée difficile, parce que les dépenses sont constituées principalement par les frais de personnel obéissant aux règles de la fonction publique, et que les ressources sont soit attribuées soit encadrées par l’Etat. La gestion autonome des personnels devient alors si délicate que le Ministère à du l’enlever des mains d’Universités en faillite. Et l’autonomie ne s’étend ni a la définition de la mission ni à l’organisation pédagogique, car l’offre de formation reste imposée par le Ministère au nom du « cadrage national des diplômes». Balançant entre autonomie et tutelle, la gouvernance se caractérise ainsi par incohérence et complexité.
2/ Sur les ressources
Les universités sont pauvres parce que les usagers (les étudiants) ne paient pas les services : la doctrine impose la gratuité des frais de scolarité. Dans un article du Monde (14 août 2008), j’ai signalé qu’à subvention étatique identique, une université française disposait de sept fois moins de ressources budgétaires que l’université de Michigan (21ème de la liste Shanghai) prise pour exemple. Les conséquences s’en font sentir à tous les niveaux de l’enseignement, de la recherche et de la vie étudiante. Seul un fort relèvement des droits de scolarité permettrait un fonctionnement de l’Université similaire à celui de celles que l’on trouve en tête du classement. Une telle réforme devrait s’accompagner d’un vaste système de bourses attribuées selon le mérite, la situation pécuniaire et la priorité donnée aux filières, et abondées par l’Etat, les Régions et les entreprises. Certaines grandes écoles françaises se sont déjà ralliées à cette politique.
3/ La difficulté la plus grave est celle de l’entrée en première année
L’Université accepte tous ceux qui n’ont pas trouvé de place ailleurs. Du coup, après la première et la seconde année, le taux de déperdition est énorme (80% à la fin de la première année de droit). Les deux tiers des bacheliers technologiques et les neufs dixièmes des bacheliers professionnels n’accèdent pas en troisième année de licence. Notre système d’admission illimitée aboutit à une catastrophe reconnue de tous avec d’autant plus d’hypocrisie que le remède est évident : la sélection, un concept que la démagogie universelle repousse avec violence depuis Mai 68. Les universités devraient être libres de définir chacune leurs critères d’entrée en première année ; les unes se voudraient élitistes et les autres populistes. En contre partie elles pourraient organiser une année zéro de remise à niveau, sanctionnée par un examen (ce serait en faite une prépa … qui pourrait aussi bien être créée … dans les lycées après le baccalauréat).
Il faut s’attendre à voir ces réformes de bons sens repoussées et même le peu d’autonomie octroyé par la LRU pourrait être remis en cause puisque le transfert de la masse salariale aux établissements, ne pourra bientôt plus être assumé. Le public réagit aussi sainement qu’il le peut : les étudiants fuient les universités pour suivre d’excellents cursus dans les grandes écoles et les IUT. Ce sont ces établissements de haut niveau qu’il faut défendre avec vigueur. Déjà nous voyons attaquées les classes préparatoires, comme « réservées aux privilégiés », alors qu’elles sont la pierre angulaire de la méritocratie républicaine.
Commentaires
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@Jean-Claude,
Je peux promulguer des conseils pour l'intégration d'une école d'ingénieurs. Ma position et mes compétences en la matière font que je suis très régulièrement invité à participer aux tables rondes dans les "salons des grandes écoles". Notamment sur ce thème.
Sur la question de la sélectivité des formations.
L'intégration en école d'ingénieurs (habilitée par la CTI) est TOUJOURS sélective. Quelle qu'elle soit, de Polytechnique à la mienne, l'ISTY, l'école d'ingénieurs de l'université de Versailles Saint-Quentin. Elle se fait par voie de concours, quelqu'en soit les modalités.
Pas la peine d'y revenir, ce qui se passe fonctionne bien : ça débouche sur des promotions de niveaux homogènes, ce qui est un facteur critique de succès pour tout dispositif pédagogique.
En revanche, la question se pose très clairement à l'université, pour l'accès en première année. Là, aujourd'hui, la seule règle est : "tu as le bac, l'université peut te prendre". Résultat : une disparité incroyable des compétences en 1ère année de la plupart des formations universitaires. Et des taux d'échecs en conséquence...
Cette "liberté pseudo-égalitaire" a des effets dramatiques :
Sur les étudiants d'abord, très vite en situation d'échec et, quasiment de fait, laissés livrés à eux-mêmes, car "on n'est plus au lycée"...
Pour l'université aussi, dont l'image s'est très malheureusement extrêmement dégradée de ce fait là essentiellement. De manière regrettable, car l’université, par ailleurs, dispense de très bons masters et produit de très bons docteurs...
Pour les enseignants-chercheurs de l'université. Hautement qualifiés, ils se trouvent face à un public qui n'est plus, en grande partie, en mesure de suivre ce que d'autres étaient capables de suivre jusqu'il y a encore une vingtaine d'années.
Pour moi, l'université est victime de la par ailleurs très louable intention : "80% d'une tranche d'âge au bac"... Cet objectif, stratégique pour notre pays, n'a pas été décliné au plan opérationnel, notamment pour ce qui concerne l'accès aux universités.
Les causes de cela sont multiples et mériteraient enfin d'être traitées.
Et en attendant, une véritable "orientation active" permettrait sans doute de "limiter les échecs". Attention, "orientation active" n'est pas synonyme de "sélection".
Un mot concernant les IUT. Ils constituent des filières d'excellence pour l'accès en écoles d'ingénieurs dispensant des diplômes de spécialités. Personnellement, je m'inquiète beaucoup de ce que j'ai lu récemment, relatif à une exigence de leur faire intégrer des quotas de "bacs pro". La voie de l'IUT n'est pas une sous-voie du dispositif universitaire. C'est autre chose, à côté. Il ne faut pas casser ce dispositif qui marche. Cela serait néfaste aux écoles d'ingénieurs notamment.
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N'oublions pas que les critères du classement de Shanghai sont quelquefois très contestables...
http://goo.gl/I1Z7s
Sinon, bonne analyse globale.
D'accord avec JL Sayous:
Le manque historique de valorisation en France des filières "techniciennes" type IUT, pas obligatoirement grandes écoles, reste un problème...
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Cher Jacques Blamont, je trouve l’ensemble de votre propos fort convaincant, à l’exception de sa toute fin. Le système des classes préparatoires et des grandes écoles à la française est certes un îlot d’excellence dans un océan … de problèmes. Mais il y a bien longtemps que la méritocratie républicaine n’est plus qu’un souvenir qui a laissé place à la reproduction sociale ce qui est un problème politique majeur. Au delà, je suis convaincu que la sélectivité à la française mérite un débat de fond parce que c’est elle qui « justifie » que, dès l’école primaire, on laisse de côté une partie des élèves au lieu de se préoccuper que tous arrive au collège en sachant vraiment lire, écrire et compter. Pour être transparent, ceci est le commentaire d’un ancien élève de grande école qui se demande, comme d’autres, comment aider sa fille à entrer dans une grande école. Mais cette réalité n’empêche pas de se poser des questions.
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