
La controverse en cours sur
le changement climatique présente deux aspects, l’un scientifique, l’autre sociétal.
I - L’aspect scientifique : le plus clair et le moins compris par le public
Un certain nombre d’observations se présentent comme des faits établis n’étant remis en cause par personne.
- Le niveau moyen des mers s’élève
Depuis la fin du 19e siècle, les marégraphes enregistraient une montée d’environ 1,8 mm par an. Commencées en 1992, d’excellentes mesures satellitales enregistrent depuis cette date
une montée moyenne de 3,5 mm par an, donc une accélération (on est loin des affirmations d’Al Gore). Un tiers du phénomène est attribué à la dilatation de l’Océan due à son réchauffement ; un tiers à la fonte des glaciers de montagne et un tiers à celle des glaces péripolaires du Groenland et de l’Antarctique de l’ouest.
- La surface de la banquise arctique diminue
Le cycle annuel de la banquise arctique (je dis arctique et non antarctique) se modifie :
sa surface diminue plus pendant les étés qu’elle ne le faisait au début du 20e siècle, l’extension minimale de l’inlandsis décroît à un rythme de 8% par décennie, passant de 7,5 millions de km2 en 1978 à 5,5 millions en 2005 (mesures satellitales).
- La température moyenne augmente
La température moyenne à la surface de la Terre est déterminée à partir de moyennes mensuelles combinant les mesures journalières obtenues dans les milliers de stations continentales et à bord de navires. S’y superposent des variations de plus faible amplitude qui ne modifient pas la tendance de fond : c’est ainsi que si la température a baissé dans les années 1950, elle a augmenté de 0,75°C entre 1906 et 2005, y compris 0,64°C entre 1956 et 2005. On voit que le phénomène à long terme est de l’ordre de 0,01°C par an, à comparer avec les fluctuations saisonnières de 10°C sur une moyenne couvrant un hémisphère. Ces chiffres font comprendre
la différence entre climatologie et météorologie.
L’amplitude de l’effet n’est pas la même partout. Dans l’Arctique, la croissance, plus marquée, atteint 2,5°C. En France, les mesures de Météo France (qui ne sont pas faites par des écologistes échevelés) montrent une augmentation de la température moyenne de 1°C entre 1950 et 2005, avec des conséquences frappantes comme l’avancée de deux à trois semaines de la date de certaines vendanges entre 1950 et 2005, le plus grand nombre de journées estivales, le plus petit nombre de jours sans gel et surtout une différence plus faible entre la température de jour et celle de nuit.
Prenant en compte ces mesures, la très grande majorité des professionnels (chercheurs et opérationnels) qui s’occupent de météorologie, d’océanographie, de glaciologie ou de climatologie, est convaincue de
la réalité de l’amorce d’un changement climatique caractérisé par une évolution rapide vers des températures plus élevées, à l’exception des présentateurs de TV américains, dont la compétence scientifique est modeste.
Encore une fois, il faut distinguer la météorologie – qui décrit des phénomènes à l’échelle de la journée, voire de la semaine –, et la climatologie dont l’horizon est le siècle.
La climatologie repose sur la description du passé à partir de son héritage (gaz emprisonnés dans la glace antarctique, anneaux de croissance des arbres…). Pour prévoir le futur, elle doit extrapoler vers lui – au moyen de modèles – la situation actuelle fournie par des mesures crédibles (c’est-à-dire faites à la fin du 19e et au 20e siècle).
Comme il s’agit de comprendre le cycle de l’eau sous ses trois phases, vapeur, glace, liquide, en simulant ses interactions avec les sources d’énergie que sont la Terre solide d’une part, le Soleil d’autre part,
les modèles, fort nombreux, dépendent d’hypothèses simplifiant une réalité très complexe et varient donc d’un laboratoire à un autre ; ceci d’autant plus que leurs bases physiques sont sujettes à caution, particulièrement en ce qui concerne les nuages et les précipitations. C’est le travail du GIEC (Groupe International sur l’Evolution Climatique dans le cadre de l’ONU) que d’établir une synthèse entre les résultats des différentes modélisations. On peut dire que la communauté scientifique des climatologues, océanographes, glaciologues etc. travaille pour le GIEC dont elle fait partie mais qui ne doit pas être confondu avec elle.
La première étape consiste à essayer de comprendre le pourquoi de l’évolution constatée.
On peut chercher une cause dans l’augmentation de la concentration dans l’atmosphère en CO2. Celle-ci a crû de 50 % depuis le début de la Révolution industrielle par suite de l’emploi généralisé de combustibles fossiles (charbon, gaz, pétrole) pour fournir de l’énergie.
La seule explication du réchauffement qui résiste à la critique est en effet le piégeage du rayonnement infrarouge émis par le sol, dû à l’effet de serre additionnel créé par le CO2 provenant de la combustion. Sans cet effet, aucun modèle du GIEC ne reproduit l’augmentation actuelle de température, alors qu’avec son incorporation ils en rendent exactement compte. Les modèles calculent ensuite l’élévation future de la température, en fonction des émissions de CO2 par l’homme selon les différents scénarios de développement économique. Il ne s’agit plus alors de science climatique mais de prospective géopolitique à considérer avec prudence. Les modèles que le GIEC a considérés comme sérieux fournissent à l’horizon du siècle par rapport à 1990 une augmentation de la température moyenne à la surface, située dans la fourchette 2° – 4,5°C. Il est vrai que certains modélistes limitent l’effet du CO2 à 1°C. De plus une des conséquences de cette évolution est l’acidification rapide des océans qui est admise par tous.
Telle est la situation du point de vue scientifique.
On n’y peut discerner aucune « imposture » et la communauté scientifique concernée a fait un travail correct, présenté en toute honnêteté et toute transparence. Les critiques portant sur le comportement de certains de ses membres, ou sur quelques erreurs de détail, n’entachent en rien les résultats factuels exposés ci-dessus. Il faudra modifier l’organisation et les règles du GIEC ; les faits d’observation n’en seront pas transformés. Il lui faudra aussi modifier sa communication, car la confusion a été entretenue par ses publications entre les observations et les modèles dont la crédibilité a été surévaluée.
II - L’aspect sociétal, le plus obscur et le mieux compris par le public
Comme l’affaire intéresse le monde entier, de nombreux acteurs, sans connaître et encore moins comprendre la problématique scientifique, ont cru bon d’intervenir (écologistes automandatés, producteurs de combustibles fossiles, politiciens, medias..). Les « réchauffistes » inquiètent les foules en annonçant l’apocalypse, les « climatosceptiques » rassurent en pourfendant les scientifiques.
Les ennemis des sciences, très actifs aux Etats-Unis, où ils ont saisi le prétexte de
l’Année Darwin pour attaquer les biologistes et les paléontologues, ont été financés par les lobbies pétroliers et assaillent violemment la communauté scientifique avec l’aide de la presse Murdoch et de certaines télévisions. Le public, devant
les sombres perspectives ouvertes par les climatologues, ne demande qu’à être rassuré quand on lui offre pour boucs émissaires des scientifiques présentés comme fous, incompétents, désireux uniquement de faire financer leur misérable recherche.
L’Académie Nationale des Sciences, «
deeply disturbed by the recent escalation of political assaults on scientists in general and climate scientists in particular » répand parmi ses membres un texte de soutien des résultats exposés ci-dessus qu’elle résume en une phrase : «
The planet is warming due to increased concentrations of heat-trapping gases in our atmosphere ». Il doit paraître ces jours-ci dans la revue
Science (après refus d’insérer par la grande presse…) : déjà 255 membres, (dont je suis) ont signé ce document.
En France, l’Académie des Sciences découvre en son sein l’existence d’un Coluche qui s’est emparé du sujet pour le bonheur de la foule et donc des medias. Elle ne sait que faire.
La communauté scientifique fonctionne au moyen de
controverses codifiées, car la science ne prouve jamais rien absolument et toute conclusion est entachée d’une incertitude ouvrant la voie à discussion. Mais cette communauté ne peut admettre que le débat d’idées soit pollué, comme il l’est aujourd’hui, par des attaques personnelles, des injures, des mensonges, des diffamations, en dehors du champ des idées : elle tente d’organiser une riposte à laquelle elle est mal préparée, car elle fonctionne avec l’idée que
sa responsabilité est de faire de la bonne science et d’en offrir les fruits à la société, non de faire campagne pour défendre telle ou telle opinion.
Au-delà de ces turbulences,
la classe politique est déboussolée. Il est évident que les gouvernements des pays dont l’économie repose sur l’utilisation de combustibles fossiles – les plus grands – ne peuvent dévier de la ligne qu’ils suivent depuis des décennies et qui a permis leur développement.
Leur consommation augmente de 2% par an et continuera au même rythme. Il n’y a pas de solution de rechange. C’est pourquoi l’échec de la conférence de Copenhague était prévu avant qu’elle ne se tint. Le premier président Bush l’a dit : « Le niveau de vie des Etats-Unis n’est pas négociable ». Ce niveau de vie, c’est l’automobile qui l’assure. Même doctrine pour la Chine et pour l’Inde qui fonctionnent au charbon. Bridés par leurs besoins et les impératifs de leurs électeurs, ces gouvernements ne trouvent pas de politique : l’avenir n’est pas leur affaire.
Des sottises comme les agrocarburants (à l’exception de la canne à sucre au Brésil), le pacte écologique, la taxe carbone, le tout éolien sont adoptés ou rejetés au petit bonheur.
Raymond Lévy évoque avec raison les «
impulsions irréfléchies », mais il a tort de qualifier l’analyse scientifique de « discutable ». Il faut évidemment réduire les émissions de CO2, mais nul ne sait comment. Quant à ceux qui préconisent d’accélérer le progrès technique pour résoudre une crise créée par son excès même, ils font penser à ce personnage qui se jette à l’eau pour éviter d’être mouillé. Quel est donc son nom ?
Le problème du changement climatique est réel. Il n’a vraisemblablement pas de solution. Il n’en exige pas moins une réflexion approfondie, loin des tréteaux.
La question soulevée par cette crise n’est qu’un aspect de celle des rapports de la science avec la société, ou plutôt des rapports de la communauté scientifique avec le public et les instances de décision, politiques ou économiques. La communauté scientifique observe et mesure les interactions actuelles de l’homme avec son milieu, et ses conclusions, en l’absence de toute certitude absolue, aboutissent en général à un exposé et à une évaluation des risques. Ainsi la communauté médicale a-t-elle présenté le risque d’une pandémie engendrée par le virus H1N1. L’interrogation à laquelle personne ne pouvait répondre était : le virus mutera-t-il vers une forme dangereuse à l’échelle mondiale ? On ne le sait pas. Et donc que faire ? Une telle situation se reproduira.
De même l’évaluation climatique correspond-t-elle à une interrogation : l’augmentation de la concentration en CO2, tant atmosphérique qu’océanique risque-t-elle d’engendrer un changement significatif des conditions de vie sur Terre, touchant l’agriculture, la santé, l’équilibre géopolitique ?
Et bien d’autres !
Les responsables politiques et économiques doivent créer des structures capables de conduire une gestion de ces risques, car il n’en existe pas aujourd’hui.
La priorité est de permettre une élaboration satisfaisante du message scientifique, afin de lui donner crédibilité et acceptabilité. Sans doute les Académies des sciences devraient-elles être mises à contribution, à condition d’être réformées afin de les adapter à cette fonction qu’elles ne remplissent pas.
De l’autre côté, les rouages des gouvernements devraient être rendus capables de recevoir le message scientifique, de le filtrer, et de le transformer en
propositions réfléchies acceptables par les citoyens à travers un processus démocratique.
Nous sommes bien loin, hélas, de l’élégant « L’environnement, ça commence à bien faire ! ». C’est dire que je ne me fais aucune illusion.
Lire les contributions de
Raymond Levy et
Michel Mabile
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