Des débats complexes entourent la fin de vie médicalisée, c’est-à-dire l’arrêt des soins : où passe la frontière de l’acharnement thérapeutique ? Qui décide de l’arrêt des soins, des proches du malade ou des médecins ?
Ces débats sont logiques : la fin de vie est désormais médicalisée pour l’immense majorité des Français. Mais ils transforment un débat éthique sur la fin de vie en un débat d’éthique médicale sur la fin de vie médicalisée.
Du coup, une autre question éthique fondamentale se trouve mise de côté : au nom de quelle morale interdit-on en France l’assistance au suicide ?
Mes deux parents ont choisi de mourir ensemble il y a quelques années, à l’hôtel Lutetia. On a beaucoup parlé à l’époque, en France et même à l’étranger, du romantisme du geste des « amants du Lutetia ». Il est aussi une réalité plus noire : celle de la solitude absolue dans laquelle sont deux personnes très âgées, très fragiles, souhaitant mettre leur choix de fin de vie à exécution. Il faut se représenter les questions sordides du « comment », le bricolage et l’angoisse absolue auquel il donne lieu, quand toute information est strictement prohibée (peut-être la seule zone grise de Wikipédia avec la fabrication de bombes) ; imaginer la terreur sur la douleur possible et surtout sur le risque d’échec et de réanimation ; ou pire encore : de réanimation de l’un des deux seulement, dans un état plus ou moins dégradé, quand le projet repose sur le désir d’éviter à tout prix à l’autre de rester seul.
On revient là au premier débat. La réponse à mes parents des différentes institutions, des différentes lois qui se succèdent, est en gros la même : l’assistance viendra si vous êtes un légume (et si vous n’avez pas la malchance d’avoir des proches qui se couchent en travers de médecins pusillanimes). Mais quelle solution si justement je ne veux pas être un légume ?
Car si la France n’interdit plus le suicide, notre Code pénal dans son article 223-6 interdit de façon plus Tartuffe l’aide au suicide et punit « l’abstention volontaire de porter assistance à personne en péril ». Cela conduira par exemple les secours appelés sur place à essayer de réanimer mes parents. Cela conduira surtout leur médecin de famille à me demander si je voulais demander leur internement pour les empêcher de mener leur suicide à bien… Des années après j’en ai encore la nausée : au nom de quelle morale emprisonner (médicalement) des individus responsables ? S’agit-il de morale, d’habitudes, de zone de confort du politique ?
Le fameux article 223-6 pourrait être lu bien différemment : oui, la personne qui souhaite quitter la vie est fragile ; elle est d’un certain point de vue en péril ; et, à coup sûr, elle a besoin d’assistance. Mais d’assistance à son projet, pas d’une conduite autoritaire dans le cul-de-sac médical auquel elle voulait justement échapper.
Pour avancer, consacrons un instant à l’examen de notre voisin suisse. La Suisse autorise depuis des années le suicide assisté, avec pour seules conditions la volonté claire de la personne qui souhaite mourir (et déclenche le processus) et l’absence d’intérêt personnel de l’assistant dans cette mort. Cette réglementation apporte la paix à bien des Suisses (100.000 sont membres de l’association principale) et aussi à des non Suisses, sans déclencher aucun des effets pervers agités en France.
Les citoyens suisses ne sont ni moins éthiques ni moins humanistes que nous. Mais sûrement plus pragmatiques et surtout plus farouchement attachés à la liberté individuelle. Et donc plus tolérants face aux manifestations de cette liberté.
Dans une vision humaniste de l’homme et de la femme libres et responsables de leur vie, et donc de leur fin de vie, il n’existe pas de liberté plus fondamentale pour une personne que de pouvoir choisir sa mort. Dans les moments de souffrance, c’est -en partie- la possibilité de terminer ma vie qui lui donne son prix. Les dictatures ne s’y trompent pas qui interdisent le suicide.
Les choix intimes de chacun sont différents. En Suisse, le suicide assisté, quoi qu’en hausse, ne représente que 3% du total des décès. L’immense majorité des Suisses, de façon libre et responsable, décide de laisser faire la nature (ou leur destin, ou leur dieu…). Mais cette majorité est tolérante. Elle ne piétine pas, comme en France, le choix des autres, ceux qui veulent choisir le jour de leur mort.
Jérôme Cazes
Commentaires
Permalien
Merci Jérôme, ta voix compte
Merci Jérôme, ta voix compte dans ce débat.
D'une façon générale, bien aborder les questions éthiques nécessite de considérer ce qui se fait, très concrètement, ailleurs tant elles sont toujours un télescopage de grands principes avec des questions pratiques - telles que tu les décris- et la volonté irréfragable des individus.
Le suicide assisté est un noble débat. On mesure en France le poids d'une tradition -et d'un conservatisme- surreprésentée au CCNE; tu ne le dis pas mais les sondages indiquent que les Français sont, à une écrasante majorité, favorables au suicide assisté.
Permalien
Il s'agit bien du problème
Il s'agit bien du problème que personne ne peut éviter de réfléchir. Quant au système juridique, je crois qu'au Japon ce serait la même situation que la France. Mais je ne suis pas sûr que nous, les Japonais soient aussi tolérants au choix libre de chacun de la fin de vie que les Suisses. Oui, à la référence du cas suisse on doit se débattre davantage sur ce sujet.
Ajouter un commentaire