Nous ne sommes déjà plus dans une démocratie d’opinion. Jusqu’aux années 70 en France, une large majorité des gens avaient des opinions politiques relativement tranchées et fixes. Ils avaient tendance à se rattacher ou à s’opposer à des catégories, des collectivités, des camps.
Ils avaient été républicains, orléanistes ou légitimistes. Ils se sentaient appartenir à la classe ouvrière, à la bourgeoisie, ils se sentaient communistes, bon Français, catholiques ou antisémites… Ils étaient de droite ou de gauche ou d’extrême gauche.
Il en va tout autrement aujourd’hui. Les Français interviewés par l’Ami Public lors de son enquête sur la société rêvée sentent la droite et la gauche comme des tempéraments ou des cultures floues, parfois complémentaires, plutôt que comme des camps clairement opposés. Presque tous ceux qui se sentent de droite ou de gauche ont un pied dans l’autre camp. On est à droite mais on n’aime pas les partis de droite. On est à gauche mais on n’aime pas les partis de gauche.
Les électeurs éprouvent de grandes difficultés à se positionner. D’après la dernière vague de l’enquête 3SC de Sociovision Cofremca (juillet 2006, 2200 enquêtés de 15 ans et plus) 15% se classent à gauche, 12% à droite, 26% se situent plutôt au centre et 47% ne se rangent ni à droite, ni à gauche ni au centre.
La dimension droite/gauche est ainsi vécue sur des modes complètement différents par la plupart des gens ordinaires et par la classe politique qui joue une opposition théâtrale entre deux camps irréconciliables. Et les citoyens aiment de moins en moins qu’il y ait des camps plus centrés sur la guerre qu’ils se font que sur la résolution des problèmes.
Ce combat théâtralisé entre les camps politiques paraît d’autant plus artificiel que les actions que mènent les uns et les autres paraissent peu différentes. Du coup, les luttes politiques sont souvent perçues par les citoyens comme des combats d’appareils ou de vedettes sur des sujets qui ne sont plus essentiels. Elles contribuent à priver la politique politicienne de sens et ouvrent grand la porte au jeu des intérêts particuliers, des corporatismes et des lobbies qui contribuent à diluer la notion de bien commun et à accentuer la perte de sens.
En fait, en 2007, la plupart des électeurs ont des impressions, des sensibilités, des mouvements de sympathie ou d’antipathie, des impulsions plutôt que des opinions politiques. Ils ne s’identifient plus de façon durable et forte à une communauté ou à une autre mais sont impliqués dans une variété de socio-systèmes qui coexistent ou s’enchevêtrent avec des dominantes qui varient selon les circonstances. Telle ou telle facette de leurs sensibilités est éveillée à un moment donné qui les incite à agir d’une façon ou d’une autre. Nous avons quitté une démocratie d’opinions pour une démocratie d’impulsions.
Les politiciens ont une intuition plus ou moins vague de cette mutation. Il me semble que leurs actions combinent dans des dosages différents trois postures :
- Une posture ancienne à forts relents idéologiques. Ils cherchent à réveiller les idéologies usées ou les intérêts particuliers. Ici un coup de clairon socialiste ou anti-riches. Là, un roulement de tambour sécuritaire, fiscal ou libéral. Il est probable que la grande majorité des électeurs sont peu sensibles à ces appels à la droite ou à la gauche et n’attachent pas une grande crédibilité à ces promesses...
- Une posture tactique qui cherche à caresser dans le sens du poil la variété des sensibilités fluctuantes d’aujourd’hui. Un dosage de petites inflexions tente de s’y ajuster à la lumière des sondages. La complexité et l’instabilité des sensibilités rend l’opération délicate et hasardeuse.
- La troisième posture est celle de la recherche d’un bien commun consensuel. Ceux qui la pratiquent sont à l’écoute attentive des douleurs et des malheurs, à l’affût précoce des processus pervers qui aboutissent ou pourraient aboutir à des malheurs, des conflits ou des paralysies. Si cette posture se généralisait elle nous entraînerait vers une démocratie soignante, une démocratie thérapeutique. Celle qui, sans doute, permettrait au pouvoir de retrouver une symbiose avec la société des gens.
Commentaires
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A Alain de Vulpian
En effet le classement brutal droite-gauche est rendu difficile par la nature même du monde actuel, complexe et mouvant, le tout sur fond d'individualisme croissant.
Des trois postures politiques que vous décrivez, la dernière devrait l'emporter pour peu que les électeurs parviennent à contenir ces (mauvais) penchants que sont le suivisme et l'égoïsme.
Le suivisme, c'est la face sombre du collectif, le terrain favorable aux dictateurs et autres mystificateurs.
L'égoïsme politique nous fait voir nos seuls intérêts immédiats même quand ceux-ci sont très éloignés de la notion de "besoin".
Le mélange des deux est caractéristique du vote FN, culte du chef, nationalisme et moi d'abord...
A 3 jours du 1er tour, il faut espérer que se manifeste une majorité humaniste, plutôt confiante et sereine
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