Dans un monde en panne de solidarité, en proie à des injustices sociales de plus en plus graves et entièrement placé sous le signe d’un individualisme forcené, l’ampleur des rémunérations que se font octroyer certains patrons, certains sportifs ou certaines stars du show-biz est de plus en plus mal supportée.
Insupportable en effet, elle agite un véritable chiffon rouge susceptible à tout instant de déclencher la violence.
Les rémunérations excessives font fréquemment l’objet de vives condamnations, mais celles-ci sont restées jusqu’ici seulement verbales. Pour mieux les maîtriser, je propose de faire appel au droit pénal plutôt qu’à l’autorégulation, illusoire, ou à la réglementation fiscale, difficilement applicable et de fait inappliquée.
Une dérive indécente devenant insupportable
Dans un climat de crise économique marqué par l’extension du chômage et de la précarité, il me paraît indispensable de condamner les rémunérations excessives. Celles-ci sont devenues le symbole de l’inégalité sociale. Aux niveaux orbitaux qu’elles ont atteints, elles sont perçues comme injustes, injustifiées, voire incompréhensibles, par un nombre de plus en plus important de citoyens et de responsables.
Les capitalistes américains du début du XXe siècle estimaient qu’un patron devait gagner trente fois le salaire moyen de ses ouvriers. Henry Ford avait d’ailleurs formellement explicité ce chiffre. C’était encore là le niveau de rémunération des dirigeants français au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ces émoluments, certes déjà importants, apparaissaient parfaitement justifiés compte tenu des responsabilités et des compétences exigées de ceux qui les percevaient.
Mais pour les patrons américains, le facteur trente était également un maximum ; or, contre toute décence, ce facteur a explosé pour atteindre aujourd’hui plusieurs centaines. L’envolée des rémunérations est paradoxalement due en partie à la transparence instaurée depuis 2001 : la nouvelle législation a causé leur essor en favorisant les comparaisons entre bénéficiaires. Outre les dirigeants d’entreprises et les mandataires sociaux, les sportifs professionnels et les vedettes du show-biz ont suivi le mouvement, bientôt dépassés par les dirigeants des grands fonds spéculatifs.
Certains, à commencer par les bénéficiaires eux-mêmes, font remarquer qu’elles ne représentent qu’un très faible montant de la masse salariale et que leur limitation n’aurait que peu d’effet de redistribution sur les salaires. De même, ne représentant qu’un faible pourcentage des bénéfices, elles ne léseraient que très marginalement les actionnaires. Cette position, d’ailleurs discutable sur le plan des principes, ne pose pas le véritable problème. Le véritable problème est que ces revenus considérables ne sont consommés que dans une faible part et que le surplus alimente la spéculation et les investissements purement financiers qui contribuent à nourrir la crise.
Je suis persuadé que les « citoyens ordinaires » qui supportent ces pratiques comme autant de servitudes volontaires finiront par prendre conscience de leur nocivité et par les rejeter avec violence. D’ailleurs, le relatif silence médiatique qui avait cours sur ce problème tend de plus en plus à s’estomper : c’est là un signe avant coureur qui ne trompe pas.
Punir les coupables et leurs complices
Au nom de la paix sociale, il faut donc d’urgence mettre fin à ces dérives. Point n’est besoin d’édicter une réglementation compliquée et de l’adapter au cas par cas. Il faut et il suffit de qualifier de délit, voire de crime, le simple fait de percevoir des revenus excessifs (i.e. plus de trente fois le SMIC, par exemple, sans que ce chiffre 30 ait le caractère d’un dogme), quelle que soit l’origine de ces revenus. Par cette proposition, je ne souhaite d’ailleurs pas envoyer les coupables en prison et accroître ainsi la surpopulation carcérale ! Il s’agit tout simplement d’être suffisamment dissuasif pour faire en sorte que les coupables cessent de l’être.
L’ensemble des revenus devrait être pris en compte, quelle que soit leur nature (salaires, bonus, plus-values, dividendes, actions gratuites, jetons de présence, etc.) et quel que soit le lieu où ils sont perçus ; dans le cas des sportifs, il faudrait toutefois évaluer toute la durée de la carrière pour tenir compte de sa relative brièveté. D’autre part, ceux qui ont autorisé des niveaux de rémunération aberrants (membres des commissions de rémunération, administrateurs, commanditaires de spectacles) devraient être également poursuivis, comme complices.
Une autre solution serait de considérer que la perception de revenus excessifs constitue en soi une preuve d’escroquerie.
En effet, « l'escroquerie est le fait, […] par l'abus d'une qualité vraie, […] de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs […] » (article 313-1 du code pénal). Dans le cas des dirigeants d’entreprises et mandataires sociaux, il y a bien soustraction de la chose d’autrui – du consommateur, du salarié et du petit actionnaire, notamment – avec la complicité des membres des commissions de rémunération et des administrateurs.
Dans les deux cas, celui des dirigeants comme celui des professionnels du sport et du show-biz, il s’agit bien de tromperie : celle de faire accroire que l’on vaut des dizaines, voire des centaines d’autres êtres humains.
L’approche pénale a l’avantage d’ignorer les frontières, contrairement à l’approche fiscale : peu importe que l’entreprise à laquelle appartient le bénéficiaire soit ou non de droit français, peu importe la localisation de son siège social, peu importe le lieu de perception des rémunérations. En fait, elle présente à mes yeux un double mérite : celui d’être efficace, mais – peut-être plus encore – celui d’être édifiante.
Elle est efficace parce qu’elle n’a pas, comme on vient de le voir, les inconvénients des autres approches : on ne peut pas la tourner. Il va de soi que, si elle était adoptée simultanément par plusieurs pays, elle serait encore plus efficace, mais ce n’est pas là une condition indispensable.
Elle est édifiante parce qu’elle fait des rémunérations excessives de véritables fautes condamnables moralement. Elle fera découvrir aux « délinquants » le caractère immoral de leurs pratiques – on peut ingénument supposer qu’un certain nombre d’entre eux ne s’en doutent même pas – et leur donnera, il faut l’espérer, mauvaise conscience.
Reste à déterminer le niveau politiquement acceptable à partir duquel un revenu devrait être considéré comme excessif : le législateur sera peut-être tenté de ménager des transitions et de ne pas adopter trop brutalement celui de 30 fois le SMIC qui correspondrait au retour à la pratique du « bon capitalisme ».
Commentaires
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N’étant lui-même ni une star du show biz, ni un sportif professionnel et encore moins un chef d’entreprise, Monsieur Beisson est donc qualifieé pour avoir un avis pertinent sur ces professions.
Or la these presentée par ce monsieur relève de l’extrémisme de droite ou de gauche.
De droite car en interdisant l’enrichissement par le travail on favorise la classe possédante c’est-à-dire les héritiers sans revenus c’est-à-dire en gros les propriétaires de biens non productifs de revenus importants (Tiens cela aurait-il un rapport avec l’agriculture ? Monsieur Beisson est-il d’accord pour limiter les revenus des agriculteurs à disons 30 fois le revenu minimum des agriculteurs ? Et les montants compensatoires, on les limite aussi ?)
De gauche car la confiscation des revenus et l’égalitarisme est un thème traditionnel des groupuscules gauchistes.Je crois d’ailleurs qu’il faudrait d’urgence envoyer tous ceux qui gagnent plus de 30 fois le SMIC dans un camp de rééducation (Tiens ca ne vous rappelle rien ?)
Je ne savais pas que le club des vigilants etait devenu un groupuscule d’extreme droite ou d’extreme gauche…
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Il y a longtemps que les « grands » sportifs ne sont plus fiscalement domiciliés en France.
Veut-on que les « grands » patrons suivent le même chemin et ... délocalisent leur siège social par la même occasion ?
Faire voter sur ces rémunérations, de façon explicite, l’AG des actionnaires, me paraît une démarche plus rationnelle.
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Faut-il être un sportif, star du show biz , chef d’entreprise pour donner son avis ?
Ou faut-il utiliser grossièrement, comme à l'habitude :
http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Art_d%E2%80%99avoir_toujours_raison
L’Art d’avoir toujours raison
par Schopenhauer
pour ne pas écouter, échanger, anticiper ?
Il est de notoriété public que les plans de relances, pondu par la crème de la crème des économistes érudits, ont, sont,seront toujours les meilleurs des meilleurs avis à suivre !
Monétisons mes frères Monétisons!
L'avis d'un aposta du dogme ambiant est toujours bon pour le stratège, merci.
@ Philippe Camus
Un petit fond d'écran de d'jeunes ? : http://www.nioutaik.fr/images/galerie/capitalism-socialism.jpg
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Merci pour ces commentaires intéressants.
Je précise que le dispositif envisagé ci-dessus ne comporte aucune exclusive : ni les agriculteurs (le cas échéant), ni les rentiers, ni les héritiers !
A l’attention de Monsieur Philippe Camus : il ne s’agit ni d’extrême droite, ni d’extrême gauche, mais seulement d’éthique et d’un minimum de bon sens. Je comprends toutefois la vivacité de sa réaction après avoir pris connaissance, dans les documents remis lors de l’assemblée générale de Lagardère, du niveau atteint par ses rémunérations (page 239 du Document de référence 2009) et par ses options de souscription ou d’achat d’actions (page 241).
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Reprise à Georges Beisson, nouveau St Just
Un grand ras le bol médiatique
Il est, en partie, vrai que le montant des rémunérations de certains patrons, certains sportifs ou certaines stars du showbiz est mal supporté par quelques citoyens. Mais ils sont parfaitement acceptés par le plus grand nombre : les concerts de Johnny Hallyday ne désemplissent pas, quasiment tous les champions de tennis français vivent hors de France sans susciter la moindre réprobation.
Le chiffon rouge de Georges Beisson laisse les foules indifférentes.
Le fameux coefficient 30
C’est trop souvent, aux USA, qu’on va chercher les justificatifs concernant l’argent. Or, c’est là-bas qu’on trouve les « exagérations » les plus folles. Il est clair qu’Henry Ford a prêché dans le désert (à supposer que cet homme, qui a construit une immense fortune, ait lui-même respecté la règle. Compte tenu des chiffres respectifs du salaire des ouvriers et de la fortune d’Henry Ford, il a dû travailler environ 3.000 ans sans jamais rien consommer).
J’ajoute qu’il ne vient pas à l’esprit de Georges Beisson que la fiscalité rabote les inégalités, tout spécialement en France où l’IRPP est particulièrement concentré. Si le coefficient 30 porte sur le brut, il sera à peine de 20 après impôts et charges sociales.
Le périmètre des rémunérations
Georges Beisson n’y va pas par quatre chemins, il compte tout ! Je cite : « Salaires, bonus, plus value, dividendes
, etc. » Il faut donc mener en prison Liliane Bettencourt illico et qu'elle soit suivie par tous ceux qui ont un patrimoine productif. Seuls ceux qui regardent leur Picasso ou leur château seront épargnés.
Le périmètre d’application
Gare aux patrons étrangers dont le centre de décision est à Paris : la prison les guette. Mais bonheur aux patrons de filiales de Total ou de la BNP qui résident à l’étranger ; ils seront libres.
Conclusion
J’ai encore bien d’autres arguments mais, surtout, je ne sais plus quoi répondre à mes amis qui m’expliquent « Ne pars pas en guerre contre une mafia beaucoup plus puissante que toi. Fais comme eux, n’ais pas de revenus apparents, fais payer tes cigares et tes repas par une fondation ou un ministère, etc. »
Après Robespierre et Saint Just sont venus cinq ans de Directoire
, la dernière banqueroute de la France et une corruption éhontée. Puisse l’Histoire ne pas se répéter.
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