Au tournant du millénaire, la nébuleuse terroriste Al Qaeda a surpris le monde entier en investissant le Web avec un énorme succès. Grâce à un excellent marketing de son idéologie, elle a su recruter, informer et motiver ses sympathisants depuis les cybercafés du bout de la planète jusque dans nos proches banlieues.
Mais voici que 10 ans plus tard, Al Qaeda ne parvient plus à infiltrer le Web comme avant. En mutant pour devenir le « Web 2.0 », celui-ci s’est fait de plus en plus un lieu de partage, de conversation ouverte et d’interconnexion, adoptant ainsi une forme et un fonctionnement qui semblent incompatibles avec le discours et le marketing fondamentalistes. Le prêche du jihad terroriste ne souffrant pas la discussion et encore moins la socialisation de ses adeptes, il est mis en échec par la mondialisation des réseaux d’internautes.
Aujourd’hui, A. Al Zawahiri – équivalent d’un directeur marketing et communication de l’entreprise terroriste d’O. Ben Laden – multiplie mises en garde et interdictions pour que son public internaute ne cède pas à la tentation du partage tous azimuts de ses opinions, ambitions, objectifs et contacts. Et lorsqu’en décembre dernier il s’est essayé à son tour à la discussion en ligne, l’exercice a tourné court : ses réponses aux questions des internautes n’ayant été publiées qu’en… avril (même les impératifs de sa sécurité ne suffisant à expliquer ce délai). Enfin sur le site de partage YouTube, dans la liste des vidéos les plus consultées à partir de la requête Al Qaeda on trouve une vidéo satirique qui moque l’entreprise terroriste, loin devant les vidéos « officielles ».
Ces déboires éclairent le paradoxe qui jusque-là nous étonnait. Al Qaeda est un groupe terroriste aux idées archaïques, dont la propagande s’est révélée particulièrement adaptée à un nouveau média comme Internet parce qu’elle utilisait à peu près le même moyen de propagande que les entreprises commerciales : créer un message simple, facilement mondialisable et bombarder les individus ciblés de différentes versions du même concept.
Dans le modèle du Web 1.0 où un acteur clairement identifié pouvait plus facilement toucher des dizaines de millions d’individus isolés, il « suffisait » pour Al Qaeda de s’adapter aux règles de communication unilatérale classiques. Mais le modèle du Web 2.0 est radicalement différent puisqu’il repose sur l’interaction permanente, pas seulement des individus avec les grands acteurs, mais encore et surtout des individus entre eux. Dans ce contexte Internet a pour effet de fédérer l’immense majorité silencieuse qui devient bavarde. Et pour l’instant, ce mouvement dément les théories pessimistes d’abrutissement des masses en créant des vagues d’intelligence collective, qui n’adoptent pas (voire rejettent) la vision fondamentaliste du monde que véhiculent les sites sympathisants du jihad terroriste.
Ce phénomène est réjouissant, mais il ne doit pas nous empêcher de rester vigilant. Dans une précédente alerte, nous avions remarqué que le Web 2.0 pouvait créer un engagement citoyen ponctuel plus que durable et impulsif plus que raisonné. Qu’en sera-t-il le jour où Al Qaeda s’adaptera de nouveau, risquant ainsi de générer des participations ponctuelles au terrorisme ?
Commentaires
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Le monde moderne semble s'éloigner doucement des seuls organisations Top Down, très hiérarchiques, celles pour lesquelles les idées et les savoirs sont statutairement réservées au Top.
L'outil Web 2.0 fissure les certitudes et les modèles de ces organisations ancestrales dans lesquelles l'information doit être cachée pour servir le seul pouvoir de celui qui la détient.
Les nouvelles organisations, celles du monde de demain sont en réseau, organisées par processus.
Hélas, la fragilité de ces nouvelles organisations, il y en a, viennent des "barons" et des "rumeurs", comme l'explique très bien Hervé Seyriex dans son ouvrage fameux " Mettez du réseau dans vos pyramides "...
Pour ce qui est des réseaux terroristes, si on voulait chercher à les fragiliser ou contenir leur expansion, il faudrait sans doute créer les conditions favorables à la manifestation de ces deux maux en leur sein.
Autrement dit, favoriser les reprises en mains locales par des chefs attirés par le pouvoir personnel un peu plus que par leur appartenance au réseau.
Il faudrait également user de la "rumeur crédible" pour fragiliser la cohérence du réseau.
Facile à dire !
Sans doute que le Web 2.0 bien utilisé en ce sens pourrait être l'une des voies possibles.
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Je trouve cette note intéressante mais une expression m'a fait bondir:
"recruter (...) ses sympathisants depuis les cybercafés du bout de la planète jusque dans nos proches banlieues."
Nos proches banlieues...
Comment pouvez-vous savoir qu'aucun sympathisant n'a été recruté en centre-ville?
Pourquoi un sympathisant des terroristes se recruterait-il forcément et uniquement dans nos (pas trop) proches banlieues?
Ces formules toutes faites discréditent selon moi l'ensemble de votre discours.
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Fabrice
Je prends avec beaucoup de sérieux votre remarque. Il est vrai que l'expression "jusque dans nos proches banlieues" est une facilité qui trouble le débat. Le recrutemnt opéré par Al Qaeda ne se limite pas (nous l'avons vu dans les attentats de Londres et Gatwick) aux "proches banlieues".
Au-delà de cette mauvaise formule, il me semble néanmoins qu'il faille se montrer particulièrement vigilant aux réseaux d'échange qui mêlent sentiment de révolte des habitants des banlieues sensibles qui se sentent abandonnés par la République et radicalisation du discours religieux. Cela fait partie du débat mais ne peut en aucun cas le résumer.
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