Les Etats et les entreprises en situation de faiblesse Nous sommes au cœur de ce que le sociologue allemand Norbert Elias a appelé un « processus de civilisation ». Des enchaînements de transformations cumulatives nous conduit ailleurs. Comme en d’autres temps un processus analogue a conduit l’Occident, de proche en proche, de la société féodale ? celle des Etats nations et de l’économie de marché. Ces enchaînements ne sont ni voulus ni pilotés. Ils s’imposent ? nous. Non pas que nous soyons incapables de les infléchir, mais nous savons rarement le faire délibérément. Le processus qui aujourd’hui nous transforme peut être appelé processus de modernisation. Il a pris corps ? la fin du XIXème siècle et tend ? gagner la planète entière. Au cours du XXème siècle, il a connu vers 1965 un tournant majeur dont les événements de Mai 1968 seraient un des symptômes et qui, d’après moi, sépare une première d’une deuxième modernité. La première était celle des Etats, des grandes entreprises et des technocrates ; la seconde est celle des gens ordinaires. En quelques dizaines d’années, les expériences qu’ils vivaient ont transformé les gens et leur ont donné un grand pouvoir. Ils se sont émancipés. D’individus manipulables et noyés dans la masse qu’ils étaient, ils sont devenus des personnes plus complètes, autonomes et avisées. Leurs libres interactions et connexions, s’appuyant sur le foisonnement des technologies de l’information et de la communication, ont nourri la floraison d’une nouvelle socio-économie et l’auto-organisation d’une société vivante et plutôt pacifique. De tels changements sont relativement lents et ne sont clairement perceptibles que sur 20 ou 30 ans. Mais ils touchent ? des aspects cruciaux de l’équilibre personnel et sociétal. Par exemple, dans tous les pays pénétrés par la modernité, le père de famille perd de son autorité. En 1974, 60% des Français adhéraient ? l’idée que le père de famille devait commander chez lui. Ce pourcentage, mesuré par Cofremca année après année, n’a pas cessé de diminuer. Il n’est plus que 30% aujourd’hui. En Suède ou en Allemagne il est inférieur ? 20% alors qu’aux Etats Unis il est encore de 45%. Cette perte d’autorité du père de famille n’est en fait qu’un des symptômes de deux changements radicaux : l’effondrement du tropisme hiérarchique qui affecte aussi bien le prêtre, le médecin, l’expert, le patron que le Premier ministre ; et l’émancipation des femmes et des enfants qui deviennent des personnes ? part entière. Autre exemple : la relation entre un parent et son jeune enfant devient plus affective et physique ; moins froide et intellectuelle. En 1979, 27% des Français pensaient qu’il était plus important de maintenir un contact physique avec l’enfant, de le cajoler et le caresser que de lui apprendre avec des mots comment se comporter. Ils étaient 39% en 1990 et 48% en 2000. La situation actuelle est caractérisée par un décalage dangereux. Les gens et le tissu social ont plus changé que les grandes organisations massives, les puissants, la société institutionnelle, l’Etat et les méthodes de gouvernement. Ce décalage produit des effets pervers, des frottements, des malaises. Il laisse des potentiels sous-utilisés, des gisements de vitalité et d’initiatives inexploités. Il met les grandes entreprises en difficulté et prend les Etats ? contre pied. Il induit une contestation globale des élites et de la société dominante. Il fait planer la menace d’une évolution de nos sociétés vers la violence. Un coup de société (comme on dit un coup de sang) pourrait se produire. En France par exemple où l’Etat reste particulièrement autoritaire, rigide et envahissant. L’organisation d’une gouvernance sociétale avisée devient indispensable.
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