
La tragédie a commencé fin 2008. Alcatel souhaitait céder les 20% des actions du groupe Thalès qu’il détenait encore. Alors qu’EADS se portait acquéreur, l’Elysée préféra favoriser Dassault pour éviter une nouvelle gouvernance Franco-Allemande dans le groupe de défense.
Denis Ranque alors président de Thalès avait déclaré qu’entre EADS et Dassault, il préférait que les actions soient reversées au flottant. Dommage que Dassault ait exigé la tête de Ranque pour lui faire payer l’outrecuidance de cette simple remarque !
Thalès perdait alors son président, architecte de l’évolution de Thomson-CSF alors société publique, peu rentable vers le groupe Thalès dégageant en 2008 6,9% de résultat net d’exploitation tout en assurant une croissance et une diversification impressionnante. Une page du groupe était tournée, Luc Vigneron, alors président de Nexter (ex. Giat), en prend la barre.
Sa triste réputation de « Fossoyeur du Giat » fait craindre le pire aux salariés de Thalès. A-t-il l’intention de diviser par 5 le chiffre d’affaire de Thalès comme il l’a fait chez Nexter ; sans pour autant y avoir insufflé un nouveau souffle ? Le mandat qu’il a reçu de l’Etat et de Dassault serait-il de vendre le groupe en appartements pour dégager du cash ?
Il annonce enfin sa réorganisation le 11 décembre dernier avec un mot d’ordre : casser la logique Division et se concentrer sur les Pays. Du coup, tous les mécanismes permettant aux unités internationales du groupe de travailler ensembles sont cassés. Plus de logique technique et industrielle, plus de coordination business, mais surtout plus d’esprit d’équipe : « Chacun est responsable de son PNL ». Le réseau international du Groupe, qui faisait l’admiration d’EADS a été anéanti en l’espace de six mois. Les répercussions se feront ressentir dès 2010 avec un effondrement des prises de commandes, sauf si un contrat export de plus en plus incertain du Rafale venait lui sauver la face. L’annonce prochaine du budget 2010 devrait être intéressante !
Devant tant d’interrogations, les cadres dirigeants n’ont pas eu plus d’éclaircissements car « Saint Luc » (son surnom hérité de Nexter) est resté injoignable pendant les vacances de Noël.
En attendant les décrets d’applications d’une loi ambiguë, la démotivation gagne toutes les couches du personnel, du technicien au cadre, du jeune embauché à l’ancien. Même les dirigeants ont peine à cacher leur désarroi. L’agressivité commerciale a disparu, la grève du zèle est totale, chacun peaufine son CV.
Sous prétexte de faire des économies (qui, au mieux, seront dérisoires), « Luc la main froide » accumule les mesures vexatoires. Ainsi, les directeurs roulent désormais en Clio (sans clim) et le top management se voit contraint de renoncer à des missions potentiellement cruciales.
Les centaines de millions d’euros de provisions sur le résultat net de 2009 - les rumeurs parlent de 400 M€ rien que pour les indemnités de licenciement de certains membres du Comité Exécutif (COMEX) - devraient permettre d’afficher un résultat catastrophique et ainsi justifier ce fameux plan d’économie Probasis, annonciateur de suppressions d’emplois peut-être massives.
Le grand ménage au niveau COMEX s’apparente plutôt à un grand règlement de comptes. Bruno Rambaud (ex DG de la division Terre et Interarmées), viré dès l’arrivé de Vigneron parce qu’il lui avait ravi en 2006 la présidence du GICAT ; Alexandre de Juniac (Patron de l’Export) banni par la famille Dassault ; quant à ceux qui osaient encore entretenir des relations avec l’ex président, c’est le placard.
S’ajoutent à cela des démissions en série comme celle de Jean-Georges Malcor (ex patron de la division Navale) ou de Richard Deakin (patron de la division Systèmes Aériens). Ainsi, l’âme de Thalès disparaît et, avec elle, la promesse de succès futurs. Les rares dirigeants qui restent, se lassant de voir leurs projets d’organisation sans cesse rejetés, s’apprêtent à démissionner ou sont cordialement invités à partir pour qu’un nouveau COMEX tout dévoué au nouveau patron mais de piètre envergure voit le jour.
Les salariés de Thalès étaient fiers de leur entreprise et de leurs chefs. L’esprit d’équipe fait place à l’écœurement. Une page est définitivement tournée. Espérons qu’elle n’était pas la dernière du livre.
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