Thalès : un désastre annoncé

100215-Thales.jpg« Sans industrie, pas d’avenir », telle est, en principe, la doctrine du gouvernement. En pratique, je constate qu’une entreprise de pointe, dont la France pouvait s’enorgueillir, fait actuellement l’objet d’un massacre à la tronçonneuse. Ses métiers sont dévalorisés. Ses équipes sont démotivées.

La tragédie a commencé fin 2008. Alcatel souhaitait céder les 20% des actions du groupe Thalès qu’il détenait encore. Alors qu’EADS se portait acquéreur, l’Elysée préféra favoriser Dassault pour éviter une nouvelle gouvernance Franco-Allemande dans le groupe de défense.  

Denis Ranque alors président de Thalès avait déclaré qu’entre EADS et Dassault, il préférait que les actions soient reversées au flottant. Dommage que Dassault ait exigé la tête de Ranque pour lui faire payer l’outrecuidance de cette simple remarque !  

Thalès perdait alors son président, architecte de l’évolution de Thomson-CSF alors société publique, peu rentable vers le groupe Thalès dégageant en 2008 6,9% de résultat net d’exploitation tout en assurant une croissance et une diversification impressionnante. Une page du groupe était tournée, Luc Vigneron, alors président de Nexter (ex. Giat), en prend la barre.  

Sa triste réputation de « Fossoyeur du Giat » fait craindre le pire aux salariés de Thalès. A-t-il l’intention de diviser par 5 le chiffre d’affaire de Thalès comme il l’a fait chez Nexter ; sans pour autant y avoir insufflé un nouveau souffle ? Le mandat qu’il a reçu de l’Etat et de Dassault serait-il de vendre le groupe en appartements pour dégager du cash ?  

Il annonce enfin sa réorganisation le 11 décembre dernier avec un mot d’ordre : casser la logique Division et se concentrer sur les Pays. Du coup, tous les mécanismes permettant aux unités internationales du groupe de travailler ensembles sont cassés. Plus de logique technique et industrielle, plus de coordination business, mais surtout plus d’esprit d’équipe : « Chacun est responsable de son PNL ». Le réseau international du Groupe, qui faisait l’admiration d’EADS a été anéanti en l’espace de six mois. Les répercussions se feront ressentir dès 2010 avec un effondrement des prises de commandes, sauf si un contrat export de plus en plus incertain du Rafale venait lui sauver la face. L’annonce prochaine du budget 2010 devrait être intéressante !  

Devant tant d’interrogations, les cadres dirigeants n’ont pas eu plus d’éclaircissements car « Saint Luc » (son surnom hérité de Nexter) est resté injoignable pendant les vacances de Noël.  

En attendant les décrets d’applications d’une loi ambiguë, la démotivation gagne toutes les couches du personnel, du technicien au cadre, du jeune embauché à l’ancien. Même les dirigeants ont peine à cacher leur désarroi. L’agressivité commerciale a disparu, la grève du zèle est totale, chacun peaufine son CV. 

Sous prétexte de faire des économies (qui, au mieux, seront dérisoires), « Luc la main froide » accumule les mesures vexatoires. Ainsi, les directeurs roulent désormais en Clio (sans clim) et le top management se voit contraint de renoncer à des missions potentiellement cruciales. 

Les centaines de millions d’euros de provisions sur le résultat net de 2009 - les rumeurs parlent de 400 M€ rien que pour les indemnités de licenciement de certains membres du Comité Exécutif (COMEX) - devraient permettre d’afficher un résultat catastrophique et ainsi justifier ce fameux plan d’économie Probasis, annonciateur de suppressions d’emplois peut-être massives.  

Le grand ménage au niveau COMEX s’apparente plutôt à un grand règlement de comptes. Bruno Rambaud (ex DG de la division Terre et Interarmées), viré dès l’arrivé de Vigneron parce qu’il lui avait ravi en 2006 la présidence du GICAT ; Alexandre de Juniac (Patron de l’Export) banni par la famille Dassault ; quant à ceux qui osaient encore entretenir des relations avec l’ex président, c’est le placard.  

S’ajoutent à cela des démissions en série comme celle de Jean-Georges Malcor (ex patron de la division Navale) ou de Richard Deakin (patron de la division Systèmes Aériens). Ainsi, l’âme de Thalès disparaît et, avec elle, la promesse de succès futurs. Les rares dirigeants qui restent, se lassant de voir leurs projets d’organisation sans cesse rejetés, s’apprêtent à démissionner ou sont cordialement invités à partir pour qu’un nouveau COMEX tout dévoué au nouveau patron mais de piètre envergure voit le jour. 

Les salariés de Thalès étaient fiers de leur entreprise et de leurs chefs. L’esprit d’équipe fait place à l’écœurement. Une page est définitivement tournée. Espérons qu’elle n’était pas la dernière du livre.

Share

Commentaires

Pour préciser l'historique, Alain GOMEZ avait eu le mérite de transformer un groupe très français et financièrement peu performant en un groupe agile et dynamique, en particulier avec une Direction internationale forte et avait entamé l'internationalisation du groupe dans un secteur difficile.

Denis RANQUE a poursuivi et amplifié le développement de THALES, et avait la particularité de venir du groupe, décision politique pour le moins originale à l'époque.

Il faut également noter que l'esprit d'appartenance au groupe est très développé. Les salariés avaient même fondé une association des actionnaires salariés pouvant faire entendre sa voix.

Les salariés du groupe semblent effectivement très désorientés par la nouvelle direction du groupe.

J'avoue n'avoir pas tout compris dans cette description très technique. Pourtant, vivant à peu près la même situation dans un établissement para-public, je rejoins le sentiment de fracture entre les dirigeants et leurs collaborateurs.

Ce qui fait clairement défaut est d'une part l'absence de vision (où allons-nous ?) et d'autre part l'absence de méthode (comment y allons-nous ?).

Pire : poser ces simples questions s'apparente immédiatement à une résistance au changement.

Il est des moments où les grands dirigeants devraient vraiment suivre les cheminements de pensée que proposent les bons consultants pour harmoniser les divers aspects de leur politique générale d'entreprise.

Mais il ne sont pas souvent en situation d'écouter ni de prendre le temps d'une vrais réflexion...

Voici quelques mots clés que je suggère toujours pour jalonner une réflexion d'entrepreneur qu'il soit une start up, un dirigeant d'association ou un grand capitaine d'industrie :

1. Quelle est sa VISION de l'environnement dans lequel il veut agir ?
2. Quelle AMBITION à 5 ans se donne-t-il pour son entreprise ?
3. Quelles VALEURS fondamentales seront celles de son entreprise et quelles MISSIONS celle-ci servira-t-elle ?
4. Quel PROJET forme-t-il pour son entreprise pour donner réalité à son ambition ?
5. Quelle STRAGEGIE propose-t-il pour réaliser ce projet ?
6. Quelle ORGANISATION souhait-il mettre en place et quels ROLES souhait-t-il donner aux diverses parties prenantes ?
7. Quels Objectifs Stratégiques à 5 ans se donne-t-il ?
8. Quels Objectifs Opérationnels à 1 ans se donne-t-il pour jalonner le chemin de l'enteprise ?
9. Quelles sont les FONCTIONS créatrices de valeur pour ses clients veut-il faire émerger et quels sont les 5 PROCESSUS qu'il juge clés pour son entreprise ?

Si le dirigeant prétend devenir ou bien rester un véritable entrepreneur il ne peut pas ne pas savoir répondre à ces 9 vraiment fondamentales !

HPS

Si la menace est aussi sérieuse que vous le dites, pourquoi l’Etat n’impose-t-il pas un changement ?
Il est encore le principal actionnaire et le ministre de la Défense est encore nommé "tutelle".

J'étais cadre dirigeant à Giat Industries au moment de l'accession de Luc Vigneron au poste de PDG.
Très vite tout le monde a compris le style de management de Luc Vigneron: s'entourer de ceux qui veulent bien "être à sa botte", casser ceux qui n'admettent pas son pouvoir absolu.
Peu à peu, les structures qui avaient fait leurs preuves ont été supprimées. Les Directions de Ligne de Produits ont été brutalement supprimées, remplacées par une structure "par contrats", interdisant toute vision à moyen et long terme.
Giat était malade, certes, il fallait prendre des mesures difficiles; mais rien ne justifiait la casse telle que Luc Vigneron l'a pratiquée.
Incapable de management avec participation des subordonnés, incapable de déléguer véritablement, Luc Vigneron, je le crains, fera beaucoup de tort à Thalès, et à tout son personnel avant qu'il ne soit pris conscience quelque part (où ?) qu'il faut le remercier.

Ajouter un commentaire