
Les partisans de la décroissance, de la démondialisation et de l’effondrement jubilent. Le coronavirus leur donnerait raison et nous avons eu tort de ne pas écouter Cassandre. Tout ne sera-t-il plus comme avant ? Probablement pas mais certaines inflexions sont nécessaires.
Il est hasardeux d’affirmer que nous vivons un moment inédit. Qu’il le soit pour nous, enfants de la paix et de la santé pour tous est certain, mais à l’échelle des temps, les grandes épidémies ont prélevé leur dû et il est utile d’en rappeler le mécanisme et les conséquences.
La mondialisation n’est pas un fait nouveau. La grande peste a pris naissance en Asie et s’est propagée par les voies navigables, puis à l’intérieur des terres à la vitesse de l’homme qui marche. L’avion est un accélérateur mais le processus est identique. La planète habitée entière a été touchée, à l’exception probable des Amériques pour des raisons évidentes. Ces dernières, jouissant de deux océans en guise de « geste barrière » ont payé le prix fort à la survenance des conquistadors qui, plus que leurs armes, ont apporté leurs germes.
Lors de la grande peste, l’économie s’est effondrée et les pertes de population ont été massives, de l’ordre de 40% pouvant monter localement à près de 80%. A la différence de ce que nous connaissons aujourd’hui, les forces vives, les agriculteurs, étaient visés comme les autres et il n’était pas question de bénéficier de la continuité alimentaire par la préservation de la production agricole et de la chaîne logistique ou de la continuité pédagogique dans les écoles grâce à internet.
La contraction de la population a augmenté la richesse par tête et les décennies qui ont suivi le traumatisme ont été les plus prospères du Moyen-Age, malgré les résurgences de la pandémie. Aujourd’hui, on dirait que la disparition de la population âgée rendrait inutile la réforme des retraites. Mais ce serait cynique.
Il est donc possible de regarder vers le passé pour envisager l’avenir et se dire que celui-ci n’est pas nécessairement noir et que la démondialisation et la décroissance ne sont pas inéluctables.
Pour autant, sommes-nous condamnés à l’immobilisme et à attendre le reflux de la vague ? Sans doute pas.
C’est une ruse de l’histoire que la tête de l’Etat, qui a décidé le confinement, qui a proclamé la nécessaire souveraineté nationale en matière de production de masques, soit occupée par le Président le plus libéral qu’ait connu le pays. Ce dernier avait pour credo de laisser faire tout ce qui ne heurte la liberté d’autrui, n’accordait que le regard d’un banquier d’affaires à la souveraineté industrielle et ne concevait la souveraineté que dans le cadre européen.
Or les circonstances l’obligent à manger trois fois son chapeau.
On ne devrait plus jamais croire qu’il faut être souverain sur les masques et considérer qu’il est neutre de céder notre production de turbines nucléaires à General Electric.
On ne devrait plus jamais affirmer sa foi dans le libéralisme social le plus absolu alors que l’on a imposé au pays un confinement qui est une contrainte supérieure à celle qu’a fait peser l’occupant allemand dans les zones littorales de 40 à 45.
On ne devrait plus jamais renier l’utilité de l’Etat nation et de ses frontières ni vivre comme une fatalité l’arrivée sur notre sol de migrants illégaux puisqu’il a été démontré que l’on pouvait, si on le décidait, maîtriser les flux aux frontières.
Discours et politique devront donc évoluer, au risque sinon d’accroître le discrédit de la parole publique.
La mondialisation persistera mais l’Etat devra être plus régalien et moins social.
Plus régalien car la population a compris que l’Etat, avec ses déficiences, ses imperfections et ses aberrations administratives, reste le protecteur d’ultime recours. Elle n’acceptera plus que son autorité soit démembrée sur l’autel du libéralisme social le plus débridé. La remise en cause du mandat de la Banque Centrale Européenne en est le corollaire. Que les Etats aient renoncé à battre monnaie, fort bien. Mais cette renonciation devra s’interpréter comme une délégation consentie et non comme une amputation. La politique de rachat de titres et de prêts garantis ne répond aucunement aux besoins de la crise. On s’endette pour financer un revenu futur. Les circonstances où la puissance publique vous interdit de travailler, et donc de générer un revenu, imposent la mise en place d’un revenu de substitution qui ne peut être de la dette mais de la création monétaire, quoi que puissent en penser les Allemands et les Néerlandais. Nos gouvernants ne le comprennent pas puisque le souhait de « coronabonds », refusés par les orthodoxes monétaires, reste dans une logique de dette et de remboursement, logique viciée dans les circonstances présentes. Que l’on ne s’y trompe pas, l’auteur de ces lignes est hostile au revenu universel tant pour des raisons philosophiques qu’économiques mais cela n’empêche pas de considérer l’obligation de distribuer de la monnaie - « helicopter money » dans la terminologie américaine - pour faire face à des circonstances exceptionnelles. Il faudra donc que la BCE le fasse et qu’à défaut son mandat soit modifié pour l’y contraindre.
L’Etat sera aussi moins social. Car la souveraineté industrielle, alimentaire, et technologique a pour corollaire la production locale. Or, sauf à verser dans un socialisme qui a déjà donné la preuve de son incapacité, il est impossible de produire sans rentabilité et les conditions de la rentabilité de la production sur le sol français devront être rétablies. L’annonce de la réduction des impôts de production va donc dans le bon sens mais ne suffira pas. Ces impôts ne sont que l’épaisseur du trait dans l’immensité des dépenses sociales qui entravent la rentabilité de la production nationale. Les français devront trouver la sécurité dans le revenu issu du travail plutôt que dans celui versé par l’Etat social, à défaut de quoi il n’y aura pas de souveraineté possible. Certes les grands risques devront toujours être assurés par la collectivité mais seuls ceux-là devront être financés par l’impôt. L’obésité du secteur public, qui n’est pas synonyme d’efficacité, devra être traitée. La France était socialiste sous Mitterrand mais comptait moins de fonctionnaires qu’aujourd’hui. La dérive des effectifs de la fonction publique alors que l’on manque de militaires, de soignants et de forces de l’ordre interroge. Il existe un mammouth et il va devoir maigrir.
La possibilité de la fermeture des frontières est une mauvaise nouvelle pour les tenants de la libre circulation, quoi qu’il en coûte. Ne pas héberger toute la misère du monde n’est pas l’affirmation d’un égoïsme national. Ne pas donner pour unique perspective aux populations des pays pauvres la fuite vers l’occident les amènera à envisager une autre option. Rendre vivable le pays où elles sont nées. Les régimes corrompus dont la population ne pourra pas fuir pour survivre seront renversés ou évolueront si la soupape de sécurité migratoire n’est plus disponible. De la crise de l’enfermement naîtra la nécessité de rendre son « chez soi » acceptable et ceci est un vecteur d’espoir immensément plus réjouissant que la perspective de translater la population des pays pauvres au sein des pays riches.
Les guerres et les crises sont des accélérateurs de l’histoire et des révélateurs. Puissent les Français et ceux qui dirigent l’Etat ouvrir les yeux pour que le malheur, qui un jour frappera à nouveau, ne nous laisse pas encore démunis.
Michel Ferrand, avocat associé chez Enthémis.
Commentaires
Non, je ne crois pas que "les
Non, je ne crois pas que "les partisans de la décroissance, de la démondialisation et de l’effondrement jubilent". Tout au plus doivent-ils se réjouir que des discours sur "le jour d'après ne pourra pas être comme le jour d'avant" commencent à se faire entendre à défaut d'être écoutés.
D'accord sur ta vision de "la mondialisation n'est pas un un fait nouveau". Ressortent actuellement beaucoup d'articles sur la grande peste de 1347, la grippe espagnole de 1918, pour ne citer que ces 2 événements qui nous le rappellent.
Ensuite, si je comprends bien que "l'Etat devra être plus régalien", et je le partage, je comprends un peu moins (ou plutôt pas du tout) pourquoi il devrait être "moins social". Tu le justifies avec le discours très rodé et mille fois entendu de "l’immensité des dépenses sociales qui entravent la rentabilité de la production nationale". D'autres (dont je fais partie) considèrent que ces dépenses ne sont pas que des charges, mais également le ciment de notre société. Voire même qu'une frange de plus en plus importante de la société sera prête à payer un peu plus cher pour un jean qui n'aurait pas fait 1,5 fois le tour du monde avant de se retrouver dans une boutique.
Mais là n'est pas la question.
Ce qui m'étonne dans ton article, c'est l'absence de références à l'environnement. Pas un mot sur le réchauffement climatique (ferais-tu partie des climato-sceptiques ?), sur le développement des zoonoses (dont les scientifiques alertent sur le fait qu'elles sont 3 à 4 fois plus nombreuses qu'il y a 40 ans) liées aux perturbations apportées par l'homme à l'écosystème, sur l'accroissement des inégalités, sur la finance en folie, etc.
Bref ! Le nouveau monde que tu décris ne semble pas se soucier des véritables enjeux de l'humanité.
Ce qui ne veut pas dire que tu n'auras pas raison in fine.
Mais là, comme disent les jeunes, "ça craint" !
Le discours sur l'état social
Le discours sur l'état social obèse est rebattu. C'est vrai. Mais il n'est pas invalidé. Les gouvernements de gauche ou de droite qui se sont succédés ne l'ont pas fait maigrir et donc persistent l'obésité de l'Etat et le discours.
Quant à savoir si cela obère la rentabilité des entreprises. Je crois qu'il faut lire un bilan et un compte de résultat pour en tirer des enseignements.
Oui, cela obère la compétitivité. On ne peut aller aux extrêmes et prétendre qu'il soit possible de supprimer ces dépenses. Si c'était le cas, il faudrait s'assurer que certains services rendus par la sphère publique soient rendus par le privé et cela a un coût. Autrement dit, si l'école ou la médecine de ville ne sont plus financées par l'impôt l'argent en cause sortira quand même de la poche des Français d'une autre façon. Et, de ce point de vue, les sommes non acquittées en cotisations seront un salaire qui sera utilisé à cette fin.
En conclure que tout les systèmes sont équivalents est inexact. D'abord parce qu'il est loin d'être certain que l'argent public soit géré rationnellement (le scandale des cartes Vitale surnuméraires par exemple) et ensuite parce que les choix collectifs peuvent être trop onéreux. Un exemple : l'assurance chômage couvre les salariés sur 24 mois. C'est un choix collectif au sens ou il n'est pas possible d'y déroger. Tout le monde souhaite-t-il ce niveau de couverture et le coût associé? Le système ne répond-il pas de façon silencieuse, et parfois injuste, en ruinant le principe assurantiel à sa base? D'un coût excessif, l'emploi salarié recule au profit d'autres relations de travail, plus précaires et moins onéreuses. Eut-on ubérisé si la protection était moins lourde financièrement et plus flexible? L'excès d'un système génère la fuite: les riches s'expatrient, les salariés sont délogés du salariat, les pauvres affluent attirés par l'Etat providence. On peut s'en satisfaire, ou reconnaître les excès du système afin d'éviter sa disparition qui, en réalité, est en cours. Cesserait-on d'être français avec un Etat providence plus restreint ? Je ne le crois pas. La France c'est un peu plus que les allocs et nous avons vécu comme peuple constitué avant le pacte national de la résistance.
Concernant l'environnement un virus nous a permis d'effectuer le test. On a stoppé l'économie et les échanges et tout le monde confirmera que la qualité de l'air s'améliore. Il suffit de consulter Airparif pour s'en rendre compte. Chacun aura le choix dans quelques semaines de renoncer à l'argent pour l'environnement ou d'essayer de générer un revenu. Je fais le pari que tout ceux qui ont (encore) un travail iront travailler. En ce sens l'environnement est second puisque, confronté à l'alternative d'avoir faim ou de modifier son environnement, l'homme a toujours choisi la seconde option (on remonte ici au paléolithique).
Suis-je climato-sceptique? J'observe comme tout le monde la modification du climat et le retrait des glaciers. Donc je ne crois pas l'être. Je crois en revanche que cette évolution prendra fin lorsque nous aurons brûlé la dernière goutte de pétrole ou si, plus intelligemment, nous trouvons des énergies de substitution et des modalités de stockage compétitives. De ce point de vue l'arrêt d'une centrale nucléaire sûre et amortie en Alsace relève de l'absurde.
Les jeunes ont raison : ça craint en effet.
Le climat conditionnera l'état social
Merci de votre contribution
Merci de votre contribution au débat.
Je ne suis pas expert sur les questions climatiques et m’en remets, faute de mieux, à ce que peuvent en dire les experts. C’est pourquoi j’essaye d’analyser et ne fais pas de projections.
L’humanité, en deux siècles, est en train de consommer le carbone piégé sur des dizaines de millions d’années. Est-ce intelligent ? Probablement pas. Nous sommes en pleine période interglaciaire ce qui veut dire que nous reverrons un jour (pas vous ni moi) la calotte glaciaire au niveau de Bruxelles.
Il aurait mieux valu consommer le carbone à ce moment pour adoucir la glaciation et se donner le temps de réagir. Au lieu de cela, nous consommons le carbone au pic de chaleur et c’est certainement une mauvaise idée.
Nous sommes en économie ouverte et si nous décidons de nous en remettre aujourd’hui au photovoltaïque et aux éoliennes, les pays qui n’auront pas fait ce choix jouiront d’un avantage comparatif et nous anéantirons économiquement, sinon militairement. Soit nous adoptons une voie qui vous serait acceptable, et nous devons le faire ensemble, à l’échelle de la planète, soit nous pensons pouvoir avoir un air propre tout seuls et vivre dans un frigo en espérant que nos frontières nous protégerons du réchauffement, ce qui est difficile à concevoir.
En cela je suis effectivement sceptique sans chercher à infirmer les prédictions désastreuses auxquelles vous vous référez et que je ne cherche pas à contredire.
C’est pourquoi il me semble plus utile de promouvoir des énergies rendant le carbone non compétitif, ce qui n’est pas le cas du solaire ou de l’éolien mais ce que permet le nucléaire. Je vous invite à lire votre dernière facture d’électricité pour y trouver, en dernière ligne, votre contribution au coût des énergies renouvelables pour tenter partiellement d’égaliser le différentiel de coût avec le nucléaire.
Nous ne pourrons vivre sans source d’énergie, et les puissances dominantes sont celles qui sécurisent leur approvisionnement au moindre coût. Je souhaite que nous ne fassions pas trop vite partie du club des déclassés alors que nous avons des atouts extraordinaires pour mener la danse.
Il reste que, comme vous l’évoquez, le climat se réchauffe. A cause du carbone, à cause du méthane (agriculture) tout autant ainsi que de la vapeur d’eau. Si 1,5 milliards de Chinois se rendent dans un McDonalds au lieu de manger des nouilles l’impact de votre consommation de pétrole sera absolument négligeable et le désastre que vous annoncez sera bien là. Ne devons-nous pas réduire notre consommation carnée, nous poser des questions sur le bien-être animal, ce qui ne réduit pas notre statut de puissance, plutôt que de vainement remplacer les semi-remorques par des triporteurs ? Ne devons-nous pas pousser les autres nations dont le mode de vie est, pour l’heure, plus écologique que le nôtre du point de vue agricole et alimentaire à ne pas adopter notre modèle en leur expliquant que nous essayons de converger vers le leur ?
Cela me semble plus riche de potentialités que de pédaler sur un vélo pour alimenter la batterie de mon portable, et c’est un cycliste invétéré qui vous écrit.
Alors il reste surtout à nous adapter au réchauffement à venir, qui sera de 2 ou 4 degrés, je ne sais. Nous devons réviser notre urbanisme, prévoir la migration vers le Nord de certaines productions agricoles, participer à la mise en culture de zones non cultivables aujourd’hui et qui le seront demain, dans le grand nord russe ou canadien, sachant que les zones limitrophes des déserts chauds seront de moins en moins fécondes.
Pour Darwin il n’y a pas d’espèce intrinsèquement dominante mais des espèces plus ou moins douées de facultés d’adaptation à leur environnement. Soyons souples plutôt que dogmatiques sinon nous serons remplacés.
Merci à vous.
Je ne suis pas sûr que nos
Je ne suis pas sûr que nos discours soient si éloignés. Le modèle français est performant au sens de la production d'électricité, de la gamme d'automobiles produites particulièrement économe en carburant etc...
Ce n'est pas parfait. Mais si nous étions les propagandistes zélés de notre industrie, si toute la planète produisait son électricité avec nos méthodes (y compris nos amis allemands), si tout ceux qui ont besoin de l'automobile roulaient dans nos voitures (plutôt que de monstrueux 4x4 comme aux Etats-Unis) si le monde refusait comme nous l'avons décidé le pétrole de schiste, l'humanité se porterait mieux.
Peut-on s'imposer, nous français, d'aller beaucoup plus loin en revenant à une société pré-industrielle alors que nos compétiteurs jouent d'enjeux de puissance ? J'espère qu'ITER va réussir et que nous serons les premiers. Je ne veux pas que la Chine me prenne mes emplois et m'envoie sa pollution. Il n'y a qu'une atmosphère.
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