
Les souvenirs de lecture sont moins précis que les citations mais qu’importe, lorsqu’une impression a été forte, l’idée ne se perd pas. Dans son ouvrage, «
The New Asian Hemisphere » (voir
Vigilances 94 de novembre 2011), Kishore Mahbubani raconte que, peu après le lancement des réformes économiques initiées par Deng Xiaoping, un colloque international a essayé d’en mesurer les effets.
Il précise qu’au cours de la discussion un intervenant a demandé d’un air inquiet
si les réformes prévues n’allaient pas être génératrices d’inégalités. Ce à quoi le représentant de Pékin a répondu avec un large sourire « On l’espère bien ».
C’était vrai qu’après le marasme maoïste la Chine avait besoin, pour réussir son décollage économique, d’inégalités comparables à celles que l’Europe avait connues pendant sa révolution industrielle, c’est-à-dire d’inégalités issues non de féodalités ou de castes mais résultant d’initiatives, d’innovations, d’efforts.
Le drame est qu’
au bout d’un certain temps, les inégalités perdent de leur vertu et comportent de plus en plus d’abus. Ainsi, Marx prévoyait-il que le capitalisme irait de concentrations en concentrations et que l’accumulation de richesses chez les uns conduirait à l’appauvrissement inéluctable du plus grand nombre.
L’Occident a provisoirement contredit les prophéties marxiennes. D’une part, les lois antitrust ont veillé au maintien d’un certain degré de concurrence. D’autre part, l’établissement de doses variables d’Etat Providence ont atténué les misères. Au total, les classes moyennes se sont largement développées.
Aujourd’hui, la machine se grippe et, mondialisation aidant,
le fossé se creuse entre les « in » et les « out ». Sont « in » ceux dont l’argent circule partout pour optimiser son rendement ainsi que ceux dont les savoirs peuvent se monnayer d’un bout à l’autre de la planète. Sont « out » les nouveaux prolétaires qui, faute de capitaux, de connaissances ou d’un dynamisme hors du commun, sont condamnés à la précarité.
Le fait est devenu si patent qu’
une division chez les « très riches » semble être en passe de s’amorcer. D’un côté, certains s’accrochent à leur fortune et tentent (comme on le voit dans la campagne électorale aux Etats-Unis ou dans les exils fiscaux en France) de trouver les moyens de l’accroître sans limite. De l’autre, un petit nombre de clairvoyants cherchent à faire bon usage de leurs biens et sont favorables à telle ou telle forme de redistribution. Nombre de fondations américaines œuvrent dans ce sens et le gouvernement français est désespérément en quête de nantis qui l’aideraient au lieu de le combattre.
Le problème des inégalités et de la cohésion sociale n’est ni spécifiquement américain, ni spécifiquement français. Ces deux pays sont, cependant, particulièrement intéressants à observer dans la mesure où
il y a, aux Etats-Unis comme en France, un vrai débat sur le « pourquoi » et le « comment » des réformes à accomplir. Sans un « pourquoi », le « comment » n’a pas d’âme. Sans un « comment », le « pourquoi » n’a pas de bras. La réconciliation est d’autant plus difficile que le « pourquoi » est le fruit d’attentes préexistantes et d’espoirs immédiats tandis que la mise en œuvre du ou des « comment » nécessite du temps.
Des recherches sur ce thème sont menées en Amérique. Le
Club est bien placé pour en faire un axe de ses travaux français. Ils pourront avoir une valeur – au moins relative – d’exemplarité.
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