
Les initiatives pour
renforcer la place de l’humain dans la société ont pris de l’ampleur en France au cours de l’année 2010. Elles se sont déployées dans des cadres aussi divers que :
L’Administration : le 30 juin, le Comité de modernisation du service public décide de renforcer le pilotage du projet d’amélioration de la performance de l’accueil dans l’Administration.
L’entreprise : le 5 juillet, le nouveau patron de France Telecom annonce le projet « Conquêtes 2015 » dont une composante phare est de remettre l’humain au cœur de l’entreprise.
La société civile : le 8 novembre, dans le blog de l’Intelligence Economique,
Alain de Vulpian insère un billet sur la souffrance au travail dans les grandes entreprises.
La sécurité sociale : le 16 novembre, le président de la République relance les travaux sur la création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale pour couvrir le risque de dépendance.
Les médias : dans L’Express du 24 novembre,
Jacques Attali publie une analyse sur La tyrannie de la solitude, discutant l’enjeu politique de la dépendance.
Le gouvernement : le 29 novembre, le premier ministre attribue au collectif Pas de solitude dans une France fraternelle le label de « grande cause nationale pour 2011 ».
Le Médiateur de la République : le 16 mars, Jean-Paul Delevoye publie un article sur La société française est fatiguée psychiquement et, le 20 octobre, un autre sur L’homme et sa dignité au cœur des débats. Le 28 mai, il diagnostique un déficit d’espérance dans le blog du
Club des Vigilants.
Ces exemples illustrent l’actualité du débat sur la place de l’humain dans la société. L’un de ses multiples aspects,
la souffrance psychique au travail, interpelle directement les dirigeants d’entreprises. L’expérience en entreprise et la discussion entre pairs indiquent que le sujet se pose bel et bien et permettent d’identifier l’une des sources du mal-être au travail :
la déprofessionnalisation.
L’équation que les entreprises ont à résoudre ne cesse de se compliquer. Depuis plusieurs décennies,
les démarches de qualité les conduisent à viser l’excellence. L’ouverture et la mobilité croissantes de l’économie, l’accélération des flux de données, la diffusion des NTIC ont accentué la pression. Le développement des nouveaux modes de consommation, comme le sur-mesure, le low-cost ou encore la décroissance ont ajouté des couches de complexité au sein des organisations. Les exigences drastiques de maîtrise des risques ont introduit un grand nombre de nouveaux points de contrôle.
Il en résulte une situation apparemment paradoxale :
les besoins de compétences ont crû en même temps que la standardisation des processus. Les injonctions à développer leadership et ownership s’intensifiaient alors que les contrôles de conformité (compliance) se généralisaient. L’appel à innover et se réinventer s’est accru au même rythme que le temps consacré à normaliser et documenter les tâches. Les investissements en formation se sont multipliés, mais aussi les dépenses d’audit.
Il n’est pas question, ici, de prétendre critiquer des évolutions de fond qui, au demeurant, se sont imposées. Il s’agit simplement de souligner que cette hésitation entre deux pôles opposés présente le risque, si l’on n’y prend garde, de favoriser
un effet pervers : l’oubli du métier derrière le process, de la valeur ajoutée derrière l’indicateur, du professionnel derrière l’opérateur, du but derrière l’objectif.
Or,
les employés souffrent de cette tendance à la déprofessionnalisation. En effet, elle s’accompagne d’une perte de sens, de valorisation et de dialogue. Osons forcer un peu le trait : les envoyer en formation ne sert à rien si c’est pour continuer ensuite à se désintéresser de leurs métiers.
La réponse ne consiste évidemment pas à s’engager dans un combat contre-productif, prétentieux et illusoire contre la concurrence, l’informatisation, l’efficacité opérationnelle, ou encore la nécessaire et salutaire maîtrise des risques. Elle consiste, en revanche, à prendre du recul par rapport aux tensions constatées pour en réaliser la synthèse.
Il convient de rééquilibrer nos leviers d’actions, de manière très concrète, au quotidien, dans nos entreprises, en nous appuyant réellement sur les compétences autant que sur les process, sur l’intelligence autant que sur l’outil. Ré-intéressons-nous au véritable contenu des métiers qu’exercent les employés.
Reprofessionnalisons les relations de travail : ce n’est pas un slogan, mais un travail de fond à conduire de manière tenace. Et nous verrons s’estomper l’une des causes de mal-être au travail.
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