Sitôt le discours présidentiel terminé, les chaînes nationales ont donné l’antenne aux ronds-points où la tonalité fut plutôt défiante. Nous reçûmes donc immédiatement le verdict des gilets jaunes interrogés qui, par ailleurs, rappelaient qu’ils ne représentaient qu’eux-mêmes. Que les médias aient renoncé à leur médiation peut être vu comme le point d’aboutissement d’une désintermédiation de la vie politique que les études d’opinion, qui donnaient aux politiques et aux médias les pires scores de confiance, annonçaient depuis longtemps. Conscient du problème Emmanuel Macron s’est raccroché dans son discours au pouvoir communal, intermédiaire immémorial de la culture politique française qui sut tour à tour défendre les libertés locales contre la monarchie absolue, être le creuset de la représentation nationale et préserver les localités chères aux yeux des Français. Sera-ce assez dans un pays qui n’a jamais brillé par sa confiance dans la représentation, contrairement à ses amis anglo-saxons qui la sacralisent ?
Souvent cité le Sénat est dans le viseur des contestataires. Le profil bas et mesuré qu’il adopte en toute circonstance n’a pas suffi à masquer la réalité : l’assemblée des territoires a présidé à leur déliquescence et à la déréliction qui en résulte ; ce fut le thème récurrent des deux dernières campagnes présidentielles et l’objet de convoitise de tous les populismes, nul ne pouvait l’ignorer. L’Assemblée semble n’intéresser personne et l’exécutif est enjoint de se soumettre ou de se démettre ; difficile de ne pas voir que la crise actuelle touche aux institutions ce qui la positionne assez haut sur une échelle d’intensité.
Le message, quoique diffus et non structuré, des gilets jaunes ressemble à celui de toutes les révolutions qu’elles soient larvées ou abouties : la Nation existe en dehors des institutions, elle existe aujourd’hui en dehors de l’Etat, elle existait hier en dehors du Roi. Une sortie de crise durable impliquera un autre partage du pouvoir, le reste risque de s’avérer de courte durée. Le Roi avait échoué à prendre la société par la main pour lui faire franchir le cap de la modernité politique à l’âge de l’industrie naissante ; pour les gilets jaunes l’Etat, perclus de dettes et de certitudes, n’offre ni le progrès, ni la régulation, ni la protection qu’ils attendent dans un monde en bouleversement.
Le président a déclaré qu’il voulait bâtir le socle d’un nouveau contrat pour la Nation avec les maires de France et ouvrir un débat sans précédent. C’est en fait l’ensemble des forces vives - à commencer par les think tanks- qui doivent y participer. Quand il va à son terme un processus de doléances est vertueux : à la liste rapide des réclamations succèdent des projets et des propositions d’amélioration. Notre responsabilité de Vigilants nous engage à en faire partie.
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Le partage du pouvoir
Le partage du pouvoir a longtemps été considéré comme la solution pour réguler la frénésie des intérêts des individus, frénésie qui conduit aux inégalités énormes dans nos sociétés.
Les "représentations" des individus, président élu au suffrage universel, assemblées élues, syndicats élus (théoriquement) par les salariés, etc, sont de moins en moins perçues comme défendant intelligemment leurs électeurs. Le pouvoir ne suffit pas pour enrayer les inégalités vécues comme "injustes".
Il est évident que les inégalités s'accroissent, et c'est l'une des sources le la colère populaire, pour ne pas dire la principale source.
Que les "nantis" tiennent leur richesse du fait qu'ils ont hérité, ou qu'ils aient tiré leur revenu exhorbitant de leur position d'actionnaire ou de dirigeant, le "riche" est jalousé, détesté, infréquentable. Il se cache et évite les contacts avec le "pauvre".
Mais les "premiers de cordée" n'acceptent pas d'être mis au ban; ils sont conscients qu'ils apportent beaucoup aux "seconds de cordée". Et si leurs revenus sont supérieurs à ceux des seconds de cordée, c'est bien parce que ces seconds de cordée veulent motiver et remercier les premiers de cordée par un meilleur revenu.
Nouveau "partage" du pouvoir ? Oui, si c'est pour rapprocher le plus possible les détenteurs du pouvoir de ceux qui les élisent...et qui ont le pouvoir de les révoquer. A condition que les électeurs prennent aussi leur risque, ce qui n'est peu le cas dans le système actuel.
Il faut inventer un nouveau système de représentation, dans lequel les électeurs prendront à chaque vote un risque personnel. La numérisation générale de la société et la communication rendue beaucoup plus facile seront les outils d'un tel système. Qui reste à inventer.
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