On peut se réjouir sans réserve que la France et une partie de l’Europe accueillent enfin les réfugiés –syriens notamment- comme il se doit. On peut regretter qu’on ait mis si longtemps à le faire. Et on peut néanmoins s’inquiéter du renversement auquel nous venons d’assister. En l’espace de quelques jours le gouvernement français, une bonne partie de la presse et l’opinion majoritaire ont changé totalement d’attitude. A cause de la photo d’un enfant mort sur une plage et des initiatives prises par le gouvernement allemand. On a rarement vu une démonstration aussi caricaturale de tout ce qu’on sait et de tout ce qu’on dit sur la politique spectacle et le rôle des émotions.
L’accueil des réfugiés dont on ne parlait pas est mis en scène comme le retour d’une équipe de foot victorieuse et ça marche ! On passe de 44 à 53% d’opinions favorables à leur accueil en France. C’est encore bien peu, mais c’est 9 points de plus en une semaine ! On ne peut même pas invoquer la complexité du sujet. Les Français, ceux qui les gouvernent et ceux qui les informent ne sont pas idiots au point de n’avoir pas compris jusqu’ici la distinction entre « migrants économiques » et réfugiés. Si on veut se rassurer on peut imaginer qu’ils étaient taraudés depuis longtemps par les naufrages et les morts en Méditerranée. La photo aurait été l’élément déclencheur. Ce manque de recul et de sang froid est quand même extrêmement inquiétant. On peut en effet imaginer sans peine toutes les manipulations que permet une telle versatilité moutonnière.
Commentaires
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Réjouissons-nous ou attristons-nous selon notre sensibilité : au train où vont les choses, la France ne sera bientôt plus qu'une terre de transit.
Le temps où Benjamin Franklin pouvait affirmer "Chaque homme a deux patries, la sienne et puis la France" est bien révolu.
Depuis 2012 - c'est le paradoxe d'un gouvernement de gauche dont on pourrait attendre davantage de solidarité et qui, double peine, se voit taxer de laxisme par ses concurrents de droite ! - la France n'est plus la destination privilégiée des demandeurs d'asile. Elle n'est plus qu'en 4ème position, derrière l'Allemagne, la Suède et l'Italie.
Si on y rajoute le chiffre en constante augmentation de nos concitoyens qui, pour quelque raison que ce soit, quittent notre pays sans retour, le temps n'est plus très éloigné où le solde migratoire s'inversera.
Certains s'en réjouiront peut-être. Pour ma part, je crains que nous ne déchantions.
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La France est en effet descendue bien bas depuis la célèbre phrase de Benjamin Franklin.
L'égoïsme, l'immobilisme, le refus de la générosité,la peur maladive du moindre risque, voilà les moteurs de la pensée dominante en France. Nos amis étrangers (il y en a encore de lucides) en sont consternés.
Que les meilleurs de nos jeunes fuient la France pour réussir ailleurs, tout les français le savent. Que les meilleurs étrangers en situation de persécution dans leur pays fuient leur pays pour réussir dans un autre pays qui les accueille, les français l'avaient compris et facilité, et ceci a prévalu jusqu'en 1940.
Puis l'humiliation et le repli sur elle même de la France après 1940 ont façonné l'état d'esprit majoritaire actuel.
L'Histoire nous apprend que les nations qui ont accueilli les étrangers ont vu leur rayonnement et leur bien être progresser. Les français ignorent la Géographie, c'est bien connu; mais nous observons qu'ils ignorent aussi l'Histoire. Et certains leaders politiques les y encouragent.
Que la photo du petit Aylan mort noyé sur la plage ait réveillé une certaine intelligence française, c'est une évidence. C'est celle là qui a fait progresser la France dans le passé. Puisse elle revenir au pouvoir.
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Merci Philippe pour tes propos sur le réveil d’un certaine « intelligence française »… qui, sans la nier, atténue un peu la dureté de ceux de Jean-Claude à l'égard de nos "concitoyens" ;-)... Car c'est, encore une fois, du côté de nos hommes politiques qu'il faut chercher les responsables d'une prise de conscience si tardive et qui peut apparaître comme un 'revirement' face à l'apathie/atonie précédente...
La photo du petit Aylan Kurdi (oui, il a tout de suite été désigné par un nom, c'est important : on bascule / fait basculer enfin dans le REEL...), mort face contre terre sur une plage turque le 2 septembre, a fonctionné comme un déclencheur, certes ! Elle a contribué à nous réveiller tous, à mettre des mots, via cette image forte, sur un discours jusqu'alors quasi-désincarné (au sens propre) et de rares débats très vains (les gens ne sont pas si stupides, comme tu le soulignes Jean-Claude) sur la différence entre les mots ‘migrants’ et ‘réfugiés’.
L'opinion publique n'a pas été versatile, elle s'est juste "construite". Et le rôle des médias, les Britanniques en tête a été essentiel. L’image a fait la Une de The Independant, The Guardian, etc. dès le mercredi 2 septembre (merci Reuters). Le fil de l’AFP la « sort » à 18h30… et Le Monde suit, sur sa page facebook la nuit puis dans son édition numérique dès le jeudi matin (http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2015/09/03/la-photo-dun-enfant-mort-su...) et dans son édition papier de l’après-midi datée du vendredi 4. On a vraiment été "au courant". Les réseaux sociaux s’enflamment… « Fallait-il ou non publier ? ». Le « oui » va l’emporter : des anonymes, des journalistes, des responsables d’ONG humanitaires discutent, échangent… Pour les francophones le blog du Monde quelques jours après en est une bonne illustration de ces échanges : http://makingof.blog.lemonde.fr/2015/09/06/pourquoi-nous-avons-publie-la...
On y voit des avis différents s’exprimer. Enfin du débat…public !!!
A Libération, on s’excuse de ne pas avoir publié la photo, on en vient même à parler d’une « erreur collective » : http://www.liberation.fr/monde/2015/09/03/pourquoi-nous-n-avons-pas-publ.... Le figaro.fr titre le 4 septembre « La photo d'Aylan Kurdi nous interdit d'ignorer les conséquences de la crise migratoire»…et le débat s’engage avec les internautes…
Et tout cela invite / incite nos politiques à prendre leur responsabilités. Et, pour beaucoup (laissons-leur au moins le bénéfice du doute à défaut de leur reconnaître du courage), à dire enfin tout haut ce qu’ils pensaient sans oser le dire, faute de ne pas avoir su être de vrais leaders …d’opinion, c’est-à-dire (cela n’engage que moi) capables de l’orienter dans le sens du bien public et pas seulement de la suivre.
Bref, ce qui était inquiétant c’était la situation AVANT la publication de cette photo. Quand l’opinion publique n’existait pas…
PS : en fait Aylan Kurdi s’appelait Aylan Shenu, mais ce n’est pas cela qui change grand-chose à l’histoire…
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