L’élection du Parlement italien, celle du Président de la République et la formation du nouveau gouvernement ont révélé une culture politique typiquement italienne, mais aussi des menaces à la démocratie que partagent d’autres pays européens.
Le mot clé de cette période troublée est « palingenesi », du grec « genesis », naître et « pal », à nouveau : renaître, se régénérer.
Les élections parlementaires italiennes des 24 et 25 février ont donné une majorité au Parti Démocrate de Luigi Bersani au Parlement mais non au Sénat. Or, les deux Chambres ont des pouvoirs identiques. Le Mouvement 5 Etoiles (M5S) de Beppe Grillo, dont le programme est Vaffanculo (vas te faire foutre), ayant refusé de s’allier avec Bersani, celui-ci s’est trouvé dans l’impossibilité de former un gouvernement.
Le second épisode s’est joué à partir du 18 avril avec l’élection du Président de la République par un collège de grands électeurs. Conformément à la tradition, les deux partis dominants, ceux de Bersani et de Berlusconi, s’étaient mis d’accord sur un candidat, Franco Marini, ancien secrétaire général du syndicat CISL. Du fait de l’opposition du M5S, celui-ci n’atteignit pas la majorité des 2/3 requise aux trois premiers tours de scrutin. Bersani changea alors de stratégie et misa sur Romano Prodi, ancien Commissaire Européen et ancien Président du Conseil ; mais celui-ci ne fit pas même le plein des voix de la gauche. Le Président de la République sortant, Giorgio Napolitano, 87 ans, revint alors sur sa « décision irrévocable » de ne pas se représenter et fut élu au sixième tour de scrutin, à la fureur des députés du M5S.
Sortie de crise
Napolitano joua alors de l’autorité du pouvoir que lui donne la faculté de provoquer de nouvelles élections, ainsi que celle de démissionner lui-même ouvrant de nouveau la boîte de Pandore, pour obliger le Parti Démocrate (PD) et le Parti des Libertés (PDL) à former une grande coalition, qui inclut aussi Choix Civique, la formation de Mario Monti. La pression qu’il a exercée a permis la nomination du numéro 2 du PD, Enrico Letta comme président du conseil et d’un proche de Berlusconi, Angelino Alfano, comme vice président du conseil et ministre de l’intérieur. Dans le gouvernement figure un tiers de femmes, dont Emma Bonino, ancienne commissaire européen et personnalité si populaire qu’elle aurait pu être élue Présidente de la République si cette fonction avait été pourvue au suffrage universelle ; et Cécile Kyenge, issue de l’immigration, avec le portefeuille de l’intégration.
Il y a de la Commedia dell’Arte dans le psychodrame qui vient de se jouer pendant deux mois, une manière typiquement italienne de faire de la politique : les portes claquent, les serments solennellement proclamés sont reniés, les fidélités oubliées à l’heure du vote. Dans le vacarme, l’observateur extérieur en vient à croire inévitable une rupture irréparable. Et puis finalement les acteurs se réconcilient avec autant de conviction qu’ils en ont mis à exacerber le conflit. Car c’est bien d’acteurs professionnels qu’il s’agit, sur une scène illuminée par les projecteurs des médias. Dans une négociation politique comme commerciale, les parties aiment que le ton monte. Sans drame, la vie manque de piquant. Mais c’est un jeu : alors qu’un étranger verrait dans l’affrontement une menace mortelle, les Italiens le considèrent comme un piment qui rend la vie moins fade. Ils savent bien qu’au bout du compte, une solution sera trouvée. Dans le cas présent, c’est au courage, à l’abnégation et au sens politique de Giorgio Napolitano qui, presque nonagénaire, aspirait légitimement à la retraite, que l’Italie doit la résolution d’une situation critique.
Le nouveau gouvernement a des défis considérables devant lui ; à un certain point, il sera écartelé entre les partis de la coalition qui le compose. Mais il est formé d’un panel de politiciens expérimentés, de techniciens aguerris et de visages neufs qui devrait lui permettre de travailler sérieusement pendant plus d’un an ou deux. Il est fils des partis traditionnels, mais recèle aussi des promesses de régénération, celles qui ont hanté la dernière campagne électorale sous le nom de « palingenesis » et que le mouvement de Beppe Grillo prétend incarner à l’exclusion de tous les autres.
Une crise européenne, pas seulement italienne
Il ne faut pas limiter à l’horizon italien ce bouleversement politique. Dans La Repubblica, Eugenio Scalfaro souligne que ce qui rend la crise présente unique est le fait qu’elle s’inscrit dans un contexte plus large, parce qu’il englobe aussi l’économique et le social et que l’Europe toute entière, et pas seulement l’Italie, est touchée. Voici ce qu’écrit Scalfaro : « l’analyse de la situation et la thérapie capable d’en guérir la maladie sont outrepassés par les intérêts, les ambitions, la vanité des lobbies et des individus. L’égoïsme de groupe a le dessus, l’émotivité bride la raison, la courte vue de qui veut tout et tout de suite empêche la construction d’un futur meilleur. La « palingenesis » n’est pas la construction du futur, mais une utopie qui porte avec elle la défaite ».
Ces phrases ne pourraient-elles s’appliquer à d’autres pays européens ? A Bordeaux récemment, Jean-Marie Cavada, député européen et président du Mouvement Européen, dénonçait la veulerie, la lâcheté, la couardise d’hommes politiques qui s’exonèrent de leur responsabilité et veulent faire porter le chapeau des difficultés à la bureaucratie de Bruxelles. Il appelait à continuer en profondeur la construction européenne, notamment en instituant un « serpent fiscal » analogue au « serpent monétaire » qui conduisit à la monnaie unique. Il réclamait une profonde réforme de l’Etat et le regroupement des régions actuelles en six à huit régions ayant la taille critique pour peser à l’échelle mondiale. Il demandait que l’Etat laisse respirer la société civile et les chefs d’entreprise et saluait comme un premier pas salutaire la conclusion d’un accord sur l’emploi entre le patronat et les syndicats en France.
Ce qui nous menace, c’est le délitement de la société et l’apparition de fronts du refus : en Italie, le M5S ; en France, le Front National et, dans une certaine mesure, le Front de Gauche. Bâtir une culture de la négociation et du compromis, et en même temps définir un projet crédible pour l’Europe, est aujourd’hui un besoin impérieux.
Commentaires
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@ Philippe Tixier
Pour "restaurer chez les élites la motivation à servir l'intérêt général" il suffit simplement de cesser, dans ce cas en particulier, de glorifier à tue-tête que l'important pour être considéré par tous est uniquement de "réussir financièrement et matériellement" en servant uniquement son propre intérê. Mais il faut aussi arriver à le faire savoir : comprendre ou croire !
A noter :
Il y a plus de 2000 ans, dans un coin du Moyen-Orient, en terre juive, un citoyen parmi les autres, est mort, crucifié comme un esclave, par une société qui,déjà, avait des points d'analogie avec la notre, aujourd'hui ...
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Merci Xavier pour cette analyse clairvoyante
Ce qui nous menace, c'est le délitement de la société. La démocratie était censée porter au pouvoir les individus les plus talentueux et les plus décidés à servir l'intérêt général. Que constatent les électeurs ? Qu'en fait de plus en plus d'élus servent leur intérêt personnel avant tout, et ont de moins en moins de courage pour servir l'intérêt général. D'où le succès des fronts du refus.
La négociation et le compromis sont une voie qu'on ferait bien de réapprendre . Mais comment faire pour restaurer chez nos élites la motivation à servir l'intérêt général ?
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