« Delenda Carthago » déclamait Caton. « Il faut détruire Téhéran » chuchotent des idéologues proches de Bush. Ils ne sont pas nombreux mais ils sont influents. Bien qu’appartenant, pour la plupart au Parti Républicain, peu leur importe que le prochain président soit Républicain ou Démocrate. Leur ambition est de créer une situation irréversible.
Lorsqu’ils ont plaidé pour la guerre en Irak, ces « neo cons » pensaient, sans doute sincèrement, que l’instauration d’une démocratie libérale et capitaliste ferait le bonheur des Irakiens. Ils ont dû constater que la greffe ne prenait pas et, faute de mieux, la disparition de l’Irak en tant que puissance régionale leur apparaît comme un « second best ».
C’est en ces termes que, pour eux, se pose le problème de l’Iran. Le chaos aux alentours fait de ce pays la première puissance régionale. Il n’est pas question de l’envahir pour tenter d’y établir une démocratie à l’occidentale. La tentation de le détruire est donc forte. Attaquer les sites nucléaires servirait de prétexte à des frappes massives qui feraient revenir le pays des siècles en arrière.
Cette option militaire extrême serait lourde de conséquences mais est néanmoins étudiée à Washington avec un niveau de sérieux et de détail qui dépasse celui du « contingency planning » ordinaire. Les pragmatiques qui, à la Maison Blanche, préconisent la négociation, laissent faire en partant du principe que l’on obtient plus facilement des concessions si l’on a derrière soi un chien méchant prêt à bondir. Reste à espérer que la laisse est solide.
Commentaires
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Cher Marc : Les Américains sous Reagan, et on n'entendait pas parler de "néo-con" à l'époque, ont armé Saddam pour contenir les vélléités des Mollahs en Iran. C'était dans les années 80.
Sous Bush père en 1990, ils n'ont pas été jusqu'à Bagdad durant la 1ère guerre du Golfe, considérant, à tort ou à raison, qu'il vallait mieux un Saddam en Irak. La peur d'une extension du pouvoir "chiite", par une jonction entre iraniens et irakiens, au Moyen Orient était la plus forte.
Bush II, dans les années 2000, euphorisé par la réthorique des "neo cons" et contre tout principe de réalité, décida d'en finir avec Saddam. Ce qui est une bonne chose. Mais les Américains, aveuglés par des rapports spécieux sur la réalité du terrain et l'état de la société irakienne par quelques chiites de service, évaluèrent mal la situation et se trouvèrent en état d'impréparation totale dans le chaos qui suivit la guerre.
Plus de trois ans plus tard, la situation est catastrophique : l'Irak est en feu et à sang ; les Kurdes, sanctuarisés dès 1991, attendent le moindre prétexte pour faire sécession ; les chiites, tout en monopolisant presque tous les pouvoirs, se trouvent incapables de faire renaître le moindre sentiment d'unité nationale ; les sunnites, hier puissants, aujourd'hui ravalés à un statut minoritaire, pratiquent une fuite en avant meurtrière. Drôle de résultat pour une guerre menée au nom de la liberté et de la démocratie.
Et que dire de l'Afghanistan ? Les talibans dont la chute, grâce aux Américains, a été saluée par tous reviennent, quatre ans plus tard, de plus en plus fort.
Maintenant l'Iran est en ligne de mire. En cause la peur, légitime, de la "bombe". Pourtant d'aucuns pointent un point commun entre ces pays : ils sont tous musulmans. Et les mêmes d'y voir la raison de l'"acharnement" américain, acharnement masqué, selon eux, sous les oripeaux de la lutte pour les valeurs de la démocratie. Et de s'interroger : pourquoi la bombe iranienne, pour l'instant tout à fait virtuelle, suscite-t-elle tant de bruits de bottes "neoconesques", alors que la bombe coréenne, bien réelle, semble les laisser aphones ?
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L'Iran fait tout pour avoir la bombe, personne n'en doute vraiment.
Mais, tout d'abord, pour un Etat, avoir la bombe, aujourd'hui, est ce être forcément plus menaçant ? Si l'on regarde bien l'histoire depuis 1945, les guerres, hélas nombreuses, ont été déclenchées par des facteurs qui n'ont jamais pris en compte la menace d'armes nucléaires.
Les Etats détenteurs d'armes nucléaires ont bien participé à certaines de ces guerres, mais ils n'ont jamais fait usage de leur arsenal nucléaire, même quand ils ont perdu cette guerre.
Les exemples les plus marquants sont la défaite et le retrait américain du Vietnam, la défaite de la Chine devant l'armée vietnamienne, la défaite de l'Urss en Afghanistan.
L'Inde et le Pakistan se sont dotés de la bombe, il semble que depuis qu'ils ont la bombe ils "discutent" plus sagement ensemble...
Israel détient la bombe, sans l'avouer, mais cela suffit il pour faire cesser toutes les menaces qui l'entourent et les attaques continuelles dont il est l'objet ? certes non.
Contrairement à une croyance héritée de l'après guerre, je crois donc que la détention d'armes nucléaires par un Etat diminue plutôt le risque que cet Etat participe à une guerre dans laquelle il utilisera ses armes nucléaires. Tout se passe donc comme si la dissuasion nucléaire jouait d'abord à l'intérieur du pays, et c'est très heureux.
Que chaque Etat se dote d'un arsenal nucléaire serait assurément une hérésie politique et surtout économique. Le TNP a eu du bon ; mais je crois qu'il est un peu dépassé et inadapté aujourd'hui. Au moment de sa signature, il paraissait évident que la course aux armements était un gouffre financier ; l'Urss ne consacrait elle pas dans les années 80 près de 30% de ses ressources à sa Défense ? Heureusement la sagesse et l'économie ont guidé les relations entre Etats dans les années 90.
Hélas le début du XXIème siècle a remis en cause cette voie fragile vers la sagesse, en particulier avec les évènements du 11 septembre 2001. Depuis les américains sont retombés dans le cycle infernal de la peur.
Le discours de Bush: "nous n'accepterons pas que l'Iran se dote de l'arme nucléaire" renforce probablement la volonté de l'Iran de se doter de cette arme.
Comment en effet l'Iran peut il "avaler" le fait que les USA admettent le statut de puissance nucléaire pour l'Inde et le Pakistan, et traite justement ces deux pays avec maintenant beaucoup d'égards, sans plus jamais les menacer ? Pour l'Iran c'est bien la preuve qu'il faut avoir la bombe pour être respecté par les USA !
Il est vrai aussi que de nombreux pays seraient aujourd'hui capables de fabriquer une bombe atomique, et que personne ne peut les en empêcher. Italie, Canada, Suède, entre autres. Mais ils ne le font pas. Et ils ont signé le TNP non pas sous la menace, mais par intérêt bien compris.
Cela n'empêche pas ces Etats d'avoir une influence significative dans le concert des nations. L'Allemagne et le Japon ont une influence importante dans le monde, alors que leur constitution leur interdit l'arme nucléaire. Tous ces pays ne se considèrent pas pour autant comme moins respectés par les pays détenteurs de l'arme.
Bref, on peut éventuellement convaincre l'Iran de renoncer à la bombe, mais on ne peut pas l'y contraindre.
La politique du "big stick" américain est dépassée. Je crois que si l'Iran veut pour des raisons X ou Y démontrer qu'il est capable de fabriquer une bombe atomique, il faut le reconnaître, et ne pas en avoir peur.
Et surtout qu'un Etat, aussi puissant soit il, arrête d'essayer de faire peur, parce qu'il a peur lui même ! Les politiciens américains, néo-cons ou autres, arriveront ils un jour à comprendre cela ?
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Cher Philippe, je suis d'accord avec vous au point que ma crainte N°1 aujourd'hui serait que les Etats-Unis attaquent l'Iran et que cela déclenche toute une série de conséquences aussi fâcheuses les unes que les autres.
Vous conviendrez cependant que, dans l’état actuel du Moyen Orient, une bombe iranienne risquerait d’être un facteur de tensions supplémentaires.
Certes les Mollahs ne sont pas fous et ne prendraient pas l’initiative d’une attaque nucléaire mais l’existence d’un parapluie dissuasif leur permettrait d’être encore plus actifs et virulents dans les agitations qu’ils fomentent ou soutiennent.
On en arrive à la question que vous soulevez vous-même : comment inciter (plutôt que contraindre) les Iraniens à ne pas vouloir davantage que l’usage civil de la technique atomique ? A mon avis, c’est en faisant accepter des contrôles par la promesse d’une levée (non pas partielle mais totale) des sanctions imposées par l’Amérique ; lesquelles nuisent considérablement à l’économie iranienne puisque rares sont les firmes étrangères qui osent y investir. J’irai même jusqu’à penser que si les sanctions avaient été levées sous la présidence Khatami, Khamenei n’aurait pas eu recours à Amadinedjad et la société iranienne aurait évolué plus favorablement. Si les Américains ne font pas de folie, une telle évolution me semble encore possible. Ce qui serait dans l’intérêt du monde entier.
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Cher Marc :
Si les américains ne font pas de folie...tout est possible.
Quel que soit l'agacement que suscitent les déclarations iraniennes, je crois qu'il faut décrypter attentivement ce qu'ils disent. Par exemple tout récemment, Amadinejad a exorté les européens à ne plus soutenir Israel.
Il faut bien reconnaitre que le soutien inconditionnel des Etats Unis à Israel a quelque chose de choquant. La raison en serait, selon un libanais que j'ai rencontré dans un débat au club citoyens, que les USA n'ont confiance dans aucun régime arabe ou musulman pour maîtriser les populations, sauf dans le régime d'Israel. Ce soutien à Israel n'est pas l'action du lobby juif américain (comme on veut le croire en France) mais une analyse froide, stratégique, objective : seul Israel et son armée peuvent maîtriser les excités ou fous dans la région...au prix de souffrances et d'humiliations sans fin pour les palestiniens, mais cela ne copmpte pas pour les politiciens américains.
Et si les USA étaient un peu moins "inconditionnels" pour soutenir Israel? ça vaudrait peut être mieux que beaucoup de sanctions contre l'Iran.
Sanctions: le mot ne peut que déplaire à celui qui les subit, même si l'idée est utile. Oui, Si l'Iran veut la bombe, il faudrait trouver un système pour que l'Etat Iranien reconnaisse le coût des conséquences géopolitiques de cette position, et lui en faire payer le prix. Si les "sanctions" ne font qu'appauvrir le peuple iranien, ce sera contreproductif. Churchill comptait sur les bombardements meurtriers de 1944 et 1945 sur l'Allemagne pour monter les Allemands contre Hitler ; il ne s'est rien passé de tel.
Sait on exactement ce que recherchent les gens au pouvoir en Iran ? Commençons par faire précisément cette analyse. Ensuite si on arrive à trouver quelque chose qui peut les en priver, et les convaincre qu'on sait les en priver, alors on tient "la bonne sanction" ; ça serait de la vraie politique...
très cordialement
Permalien
Cher Philippe,
Ce que vous écrivez est très intéressant et je suis d'accord sur la plupart des points. Si j'avais votre adresse mail (ou postale), je vous enverrais volontiers des documents du club afin que vous deveniez membre si le coeur vous en dit.
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