
Plusieurs membres du Club des Vigilants ont assisté à la conférence de Paul Dembinski à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, le 14 décembre 2015. Elle fait partie d’un cycle organisé par notre ami et ancien Président Bernard Esambert dans le cadre de la fondation Ethique et Economie. L’objectif final est d’aboutir à un «un projet commun pour une éthique applicable à l’économie libérale ». Projet que soutien le Club.
Paul Dembinski dirige l'Observatoire de la finance de Genève. Il a écrit sur Ethique et Responsabilité en Finance, et sur une Perspective Chrétienne pour guider l’action en Finance. Il considère que la finance a besoin d'éthique, pour plusieurs raisons : elle joue avec l'argent, avec l'argent des autres, avec le temps de la vie, c'est de l'intermédiation, et c'est du chiffre, éloigné du réel. Elle est, selon la belle formule de Pierre-Noël Giraud, 'le commerce des promesses'. La finance de marché de ce qu'il appelle 'les 30 euphoriques' (qui ont suivi les 30 glorieuses) repose sur trois mensonges d'après un récent article du gouverneur de la Banque d'Angleterre : les marchés sont efficaces, nous apprenons de nos erreurs, il y a une fibre morale dans le marché. Lui préfère parler d'illusions. La première illusion entretenue par la finance depuis le début des années 80 est qu'elle levait les contraintes : plus de contraintes liées aux déficits, aux déséquilibres, aux engagements des retraites dans le temps… D'où plusieurs conséquences : -la montée des instruments de transfert de risque (avant, l'allocation des risques était liée à celle des capitaux ; après, elles ont été séparées), et l'explosion des actifs financiers, -le mélange entre réel et virtuel, -la confusion entre le présent et le futur, -le surendettement (entre 2000 et 2010 on observe qu’il faut 3$ de nouvelle dette pour générer 1$ de croissance), -la confusion entre autrui et le marché anonyme, facilitant la disparition de l'attention aux conséquences, -la confusion entre la fin et les moyens sans plus se demander à quoi servent ces moyens, à travers un ethos généralisé de l'efficacité : dans des institutions gigantesques et multi linguistiques, la seule valeur partagée est la course à la performance. Une citation de Pareto rappelle que son créateur n'était pas prisonnier de la simplification de l'Homo Economicus (HE) : très conscient de ne travailler que sur une tranche de l’homme, il demandait de reconstituer ensuite cet homme en combinant HE avec Homo Ethicus, Religiosus, Ludens... Mais ce qui était compris comme une 'tranche' de l'homme est devenu tout l'homme, Frankenstein a remplacé Pareto, et les universités, avec la domination des acteurs financiers, ont créé des monstres. L'homo financiarius est tout aussi mutilé avec son arbitrage risque/rendement. (Paul Dembinski se moque discrètement à cet égard du jury du Nobel d'économie, dont la notice justifiant le choix de Jean Tirole précise vertueusement qu'il ne s’est bien sûr appuyé que sur ses seuls travaux partant de l'homo economicus…) Que faire ? Il faut cesser de vouloir développer une éthique de la finance, c’est-à-dire cesser de considérer que l’éthique est une variable qui s’adapte à la finance (prise comme une donnée) pour privilégier une finance éthique (l’éthique étant prise comme une donnée). L’éthique est, selon la définition de Paul Ricoeur, la visée d'une vie accomplie, avec et pour les autres, dans le cadre d'institutions justes. L’éthique doit donc être présente au niveau macro, méso, individuel ; elle n’est pas une réglementation, c’est un choix, une volonté. Il faut travailler à modifier l'enseignement et agir sur les savoirs, introduire l'épistémologie (complètement absente de l’enseignement des nouvelles techniques financières), l'histoire, enseigner que les techniques financières sont élégantes mais pas absolues et restaurer le doute chez les étudiants. Il faut agir sur les réglementations, résoudre la crise de surproduction de la finance. Mais il faut aussi agir sur les cultures d'entreprise et reconnaître les conflits d’intérêt, la marge de liberté de chaque acteur, et qu’il doit donner un sens à ce qu'il fait (les Pays-Bas viennent d’introduire un serment obligatoire pour les financiers). Particulièrement dans la finance, il faut reconnaître un double dilemme derrière chaque décision, entre la performance économique et l’impact sur les tiers ; et entre la conformité de l’acte et la qualité de l’acte. L'éthique est d’agir en pensant à ceux qui ne peuvent ni vous récompenser ni vous punir. Interrogé pour savoir si les 30 euphoriques étaient vraiment derrière nous, Paul Dembinski remarque qu’il existe un risque de répétition : clairement, la musique continue, la résorption de la surproduction financière n’a pas vraiment commencé, avec des stocks de dette plus importants qu’avant la crise, des états affaiblis et des banques centrales obèses. Mais la musique est malgré tout moins gaie, et l’inquiétude plus présente…
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