
Cela fait maintenant huit mois (1er avril) que
Tombouctou est tombée aux mains des groupes islamistes (Ansar Dine, le MUJAO – Mouvement pour l’Unicité et le Jihad Islamique en Afrique de l’Ouest – et AQMI – Al Qaeda au Maghreb Islamique).
Un temps leur allié, le MLNA (Mouvement National de Libération de l’Azawad),
mouvement autonomiste laïc touareg qui affirme rejeter le terrorisme et l’extrémisme, a été rapidement défait et ses représentants repoussés hors de la région.
Cette « conquête » (d’un territoire grand comme 1,5 fois la France et peuplé de seulement 1,3 million d’habitants), réalisée par une poignée d’hommes déterminés et armés (
pour l’essentiel d’anciens mercenaires débauchés de Lybie), s’est faite au détriment d’une armée malienne en totale déliquescence, dans un vide politique total à Bamako (coup d’Etat du Capitaine Sanogo, déposition du Président Amadou Toumani Touré).
Elle est l’aboutissement
d’une gestion politique calamiteuse de la minorité touarègue.
La première décision concrète des nouveaux maîtres du nord-Mali, la plus spectaculaire à nos yeux occidentaux en tout cas, a été
d’appliquer la charia avec la plus grande rigueur : flagellations, mains coupées des voleurs, lapidations des femmes adultères, etc.
Ils ont également procédé
au saccage systématique des lieux saints traditionnels de l’islam malien, jugés païens par l’islamisme wahhabite dont, sans nul doute, se réclament ces hommes.
Nous sommes très choqués, à juste titre, naturellement.
Mais la charia est la référence judiciaire, voire constitutionnelle, de bien d’autres pays musulmans : Arabie Saoudite, Yémen, Iran, … La nouvelle constitution proposée aux égyptiens s’y réfère également. Même si son application n’est pas uniformément rigoureuse, cette situation ne nous bouleverse pas vraiment…
La charia n’est sans doute pas la menace la plus importante de ce qui se passe au Nord-Mali.
C’est la déstabilisation de tout le Sahel qui est en jeu. A défaut de l’avoir anticipé et conjuré, maintenant que le mal est fait, on commence à s’agiter dans les chancelleries et les états-majors pour le réparer.
Cette région de l’Azawad inclut la plus grande réserve d’or connue du Mali (on ne le sait pas mais le Mali est le 3ème producteur d’or d’Afrique, même si le pays n’en tire pas profit – mais ceci est une autre histoire), ainsi que des réserves pétrolières non encore totalement évaluées dont l’exploitation est, pour l’instant, largement freinée par l’enclavement. Bref, i
l flotte ici comme une odeur de réserves minérales en tout genre qui attire les convoitises.
La situation est très confuse et le jeu géostratégique particulièrement complexe tant les principales parties prenantes ont des intérêts antagonistes : Algérie, pays limitrophes du Mali (CEDEAO), France (et, plus largement, Europe), USA, Qatar.
Il me semble qu’on peut les classer en 3 camps : l’Algérie soutenue par les Américains, la France (qui, du fait de ses intérêts économiques historiques, est particulièrement concernée) et son rejeton la CEDEAO et … le Qatar.
L’Algérie partage avec le Mali des champs pétrolifères et gaziers. Elle craint les troubles que pourraient provoquer ses propres touaregs, solidaires de leurs frères maliens. Etat laïc, elle redoute la contagion islamiste, après les années sanglantes du FIS. Enfin elle entend faire pièce aux ambitions du Qatar (cf. ci-dessous). Mais quelle est sa stratégie ? Après l’avoir combattue, elle semble se rallier à l’idée d’une intervention militaire. Tout en refusant la présence de troupes sur son territoire.
On peut se demander quels sont les véritables objectifs des USA. Ils ont multiplié les déclarations contradictoires, semblant hésiter entre négociation et soutien d’une intervention militaire. Jusqu’alors, on les sentait beaucoup plus présent au Maghreb qu’au Sahel. N’épouseraient-ils pas les intérêts des Algériens ?
La France (et la CEDEAO – Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest – qui en est l’avatar)
garde un œil concupiscent sur les richesses du sous-sol. Elle dispose de solides intérêts économiques dans la région. Elle est dans le droit fil de sa politique historique dans cette région du monde (la Françafrique) : soutien sans faille des gouvernements « amis » (clients ?) même lorsqu’ils ont fait la preuve de leur incapacité à assurer le bien-être de leurs populations (voire à les piller).
Le Qatar joue un rôle trouble. C’est, avec l’Arabie Saoudite, l’un des pays les plus conservateurs du Golfe. D’une main il finance les mouvements islamistes (Frères Musulmans en Egypte, Enhadda en Tunisie, Ansar Dine au Mali), de l’autre il caresse les occidentaux dans le sens du poil (investissements en tous genres, proposition de financer le développement de certaines banlieues parisiennes). Il cherche à accroître sont influence en Afrique, mais dans quel but : concurrencer l’Arabie Saoudite dans le contrôle mondial de l’islam sunnite, renforcer l’islam sunnite face au chiisme, tirer parti des richesses gazières et pétrolières potentielles du pays ?
La France s’est déclarée en faveur d’une intervention militaire (qui n’aurait lieu qu’en … septembre 2013 ; a-t-on jamais vu si étrange déclaration de guerre, annoncée 12 mois à l’avance ?). Reconquérir Tombouctou, Gao, Kidal, peut-être. Rétablir dans la région la sécurité permettant d’y développer une activité économique, certainement pas. Les précédents de ces aventures guerrières (Afghanistan par exemple, qui présente bien des points communs avec l’Azawad) devraient nous faire réfléchir.
La France serait bien inspirée d’inciter les acteurs concernés à la négociation, voire à la prendre en main.
Les revendications des touaregs n’ont jamais été écoutées par les gouvernements maliens successifs. Le moment n’est-il pas venu de les prendre en compte ? Ne sont-ils pas les mieux placés pour (voire les seuls capables de) pacifier cette région immense et regorgeant de ressources ? Ne serait-ce pas là une façon de redonner du lustre et de l’ambition à la diplomatie africaine de la France, de rompre enfin réellement avec la Françafrique ?
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