En janvier 2024, la Commission européenne a publié un rapport sur « le futur des Big Tech en Europe », les entreprises à dimension planétaire, tous secteurs confondus. En reconnaissant explicitement le rôle de la Big Tech, ce rapport ouvre la voie à une réflexion sur les objectifs des politiques européennes, au-delà de la réglementation et de l’appui à la R&D qui ont été jusqu’ici les axes d’action.
Cette alerte[i] retrace les grandes lignes de ce rapport et les interrogations que cette l’analyse suscite sur les politiques européennes
Les très grandes entreprises principalement américaines chinoises et dominent l’économie mondiale ; elles le font par leur capitalisations boursières, leurs investissements massifs en recherche et innovation et l’étendue des marchés mondiaux sur lesquels elles opèrent. Au de-là, elles bénéficient d’un véritable pouvoir auprès des états et d’une capacité d’influence qui sont autant d’atouts pour les pays qui les hébergent. L’évolution durant les dernières décennies montre le dynamisme de ces acteurs hyper-scalaires et de facto une concentration industrielle mondiale croissante à la faveur de laquelle les firmes les plus puissantes éliminent ou absorbent leurs concurrents.
Le rapport explore quatre scénarios pour l’avenir, fondés sur deux dimensions principales : le degré d’ouverture des échanges internationaux et la taille des entreprises :
- Winners Tech All : les grandes entreprises technologiques dominent les marchés dans un contexte d’ouverture modérée.
- Pax Technologica : une concentration modérée avec un accent sur la recherche et l’innovation et une protection accrue des entreprises de l’UE.
- Re-matching (la revanche) : une compétition accrue dans laquelle les opportunités créées par de nouvelles vagues technologiques permettent à l’Europe de rivaliser avec les États-Unis et la Chine.
- Closet liberalism (Libéralisme en vase clos) : dans une économie mondiale cloisonnée, favoriser l’innovation dans une économie transactionnelle active avec des petits acteurs dynamiques
L’Europe ne dispose pas de tels acteurs et cela s’avère un handicap majeur dans la compétition en cours, aussi les experts ont-ils proposé trois lignes directrices pour les futures politiques de l’UE :
- Développer ses propres acteurs géants plutôt que de se reposer sur la réglementation des firmes multinationales étrangères ;
- Revoir les dispositifs de R&I pour être compétitifs face à la Big Tech ;
- Investir dans des secteurs prometteurs dans une approche pragmatique mais qui accepte le risque.
Le document recommande également des actions prioritaires pour renforcer la compétitivité européenne, telles que la sanctuarisation des budgets de l’éducation et de la recherche, la relance de la diplomatie scientifique et la promotion de pôles d’agglomération des talents dans l’Union Européenne .
En synthèse, devant l’urgence pour l’Europe de se positionner face à la domination des Big Tech américaines et asiatiques, le rapport préconise une politique industrielle unifiée visant à l’autonomie stratégique.
Dans les faits ces orientations interrogent les politiques et les mécanismes d’action établis.
C’est par exemple le cas des règles de la concurrence sur le marché intérieur qui ont été adoptées pour protéger les consommateurs européens.
Cela supposerait aussi une unification du marché des capitaux pour financer l’essor des futurs colosses avec ses conséquences pour les autres acteurs européens.
Il faudrait encore revoir les mécanismes de soutien à la recherche pour mieux les articuler avec les développements industriels, mais cela questionne la finalité de la recherche scientifique.
En conclusion, si certaines recommandations comme celles concernant une coopération internationale pragmatique, notamment avec les pays du Sud global, peuvent être traduites dans les faits, le cœur même du rapport suppose un accord politique sur des changements plus radicaux. Ce sera l’un des défis de la future Commission et du Parlement européens, après les élections du 9 juin 2024.
[i] Une analyse plus complète a été publiée sur le site de Futuribles sous le titre « Futur des Big Tech et politiques européennes »
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