Récemment un ami me demandait comment répondre à une question posée par ses « réseaux russophones » : en quoi la Russie est-elle une menace pour la France ?

La question m’a d’abord paru décalée. La France est fréquemment menacée de la foudre nucléaire par les ultras du régime qui font corps autour de Poutine. La guerre hybride menée par la Russie gagne en intensité : les cyber attaques, les campagnes de déstabilisation qui polluent, depuis longtemps, nos élections et d’autres plus ou moins opportunistes (les étoiles de David taguées sur les murs de Paris après l’attaque du Hamas ou les Services français rendus responsables de l’attaque islamiste à Moscou). On pourrait aussi citer les actions hostiles en Afrique subsaharienne ou, récemment, en Nouvelle Calédonie par l’intermédiaire de l’Azerbaïdjan, un nouvel allié de la Russie aussi chargé de punir l’Arménie coupable de vouloir la démocratie et l’Europe…

La question est probablement plus intéressante en ce qu’elle révèle les ressorts de la propagande qui est servie à nos compatriotes.

La Russie, bombarde, détruit, tue, déporte et viole méthodiquement en Ukraine, pays européen et souverain. Que la propagande russe nous invite à nous poser la question : en quoi cela menace la France ? signifie implicitement deux choses. Un, que les exactions ne sont en soi pas un problème et que nous pourrions, sans risque, rester indifférents. Deux, que nous devrions nous persuader que la France n’est pas concernée par un conflit prétendument intérieur au monde russe et que l’agression de l’Ukraine ne provoque pas de risque de déstabilisation du Continent ou de conflit à une plus grande échelle.

En évacuant toute considération morale et juridique à propos des crimes de guerre et en collant à une vision étroite des faits et des intérêts de sécurité (les bombardements sont en Ukraine, pas en France), la Russie espère trouver un terrain où les Français concluront qu’il n’y a pas de menace pour eux et que leurs intérêts nationaux au sens strict – tels que ceux qui justifieraient l’emploi de l’arme nucléaire – ne sont pas menacés. Ils seront dès lors invités à considérer la défense de l’Ukraine comme une aberration – a fortiori l’envoi de troupes – et qu’il est ne sert à rien de prolonger les souffrances des Ukrainiens puisque, comme le discours russe aime à le rappeler, les victimes de viol souffrent moins si elles se laissent violer. Notons au passage à quel point cette propagande fait écho à deux marqueurs de l’extrême droite française et européenne : des standards moraux et juridiques souvent en-dessous de ceux de l’Etat de droit et des normes internationales, et une vision insulaire des intérêts nationaux.

La Russie menace la France et l’ensemble des pays européens avec elle. La Russie menace la France avec les techniques de guerre hybride que l’on a rappelées. La Russie menace la France parce que sa guerre d’agression rompt brutalement et foncièrement les équilibres de sécurité en Europe[1] et que les intérêts vitaux de la France sont en Europe comme l’a récemment rappelé Macron. La Russie menace la France parce qu’elle offre à la Chine l’occasion de radicaliser son agenda antioccidental[2] déjà lourd de menaces. La Russie menace la France parce qu’une guerre n’est pas seulement territoriale. La Russie entend défaire l’ordre international qui nous protège et attend que l’on se plie à une vision impériale où l’annexion, la prédation et l’avilissement des populations sont choses normales. La Russie menace la France parce qu’elle mène une guerre contre les valeurs au cœur de nos démocraties, qui doivent avant tout redouter une défaite morale, bien plus dramatique pour elles que n’importe quelle perte matérielle.

La Russie a élevé la propagande et les techniques de déstabilisation au niveau des arts premiers. C’est un des outils avec lesquels elle espère arriver à ses fins en évitant un conflit plus large qu’elle ne peut que perdre. Ne soyons pas dupes de cette propagande. La Russie nous menace. Elle est une puissance faible – elle l’a toujours été – mais elle nous menace. L’ère de la paix en Europe est révolue a récemment déclaré le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kuleba. L’Ukraine est le défi de notre génération ajoute David Cameron, MAE du Royaume Uni. Ils ont malheureusement raison. Nous ne sommes pas responsables de la colossale erreur de calcul de Poutine qui pensait que nous nous soumettrions à son coup de force mais maintenant que la menace est là nous devons l’affronter.

[1] Où la Russie ne cache pas ses prochaines cibles, cf. par exemple, les déclarations de Medvedev à propos de la Lituanie, « un pays qui n’existe pas ».

[2] Par la voix de son ministre Wang Li, la Chine vient de déclarer que l’OTAN est responsable de la situation en Ukraine.