Les petites mains de l'IA

La question de l’intelligence artificielle est omniprésente dans les débats contemporains, surtout avec le développement de l’IA générative, qui suscite tout à la fois une certaine fascination face au potentiel inestimable et en même temps de profondes inquiétudes.
Il est toutefois un sujet qui, bien qu’étroitement lié au développement de l’IA, ne fait pas la Une de la presse, mais qui est néanmoins occasionnellement évoqué par certains médias depuis quelques mois : les petites mains de l’IA. Le quasi-silence qui règne autour de cette question mérite qu’on s’y intéresse davantage : c’est l’objet de cette courte alerte.

Dans l’ombre des promesses de l’IA générative, se dissimule en effet une réalité beaucoup moins glorieuse : pour développer cette « intelligence » qui ne cesse de surprendre et séduire, une masse de « petites mains » s’active pour traiter le maximum de données permettant d’entraîner le système. En clair, pour qu’une IA soit capable de différencier un chat d’un chien, il faut préalablement lui fournir des dizaines de milliers de photographies. Or, ce travail est très chronophage, il requiert des heures de travail pour constituer d’énormes bases de données. Les grands acteurs du numérique ont donc recours à des centaines de milliers de travailleurs précaires aux quatre coins du globe, qui passent leurs journées voire leurs nuits à annoter des milliards de données ou à étiqueter des images. Du Kenya à Madagascar, ces forçats du numérique trient et valident des datas pour les grandes entreprises occidentales. Ils s’entassent souvent dans des locaux réduits, travaillent tous les jours de la semaine le temps de finaliser leur « mission », pour seulement quelques dollars par jour.

Le travail d’annotation ou d’étiquetage concerne des domaines très variés, avec des contenus parfois psychologiquement déstabilisants, notamment pour les tâches de modération, nécessitant de visionner des vidéos violentes (agression sexuelle, pédophilie, maltraitance, etc.). Exposés à des contenus insoutenables, certains travailleurs précaires subissent ainsi en outre de profonds traumatismes.

En janvier 2024 Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations–Unies aux droits de l’homme, a lancé dans un discours à l’Université de Stanford aux États-Unis un message d’alerte, face à l’urgence d’une situation jugée intolérable : « A l’heure actuelle, l’IA générative est encore développée et déployée sans que l’on sache exactement comment garantir la sécurité […] Le cadre des droits de l’homme constitue la base dont nous avons besoin de toute urgence pour innover et exploiter le potentiel de l’IA. Il peut également aider à prévenir et atténuer une multitude de risques et éviter que l’IA générative ne devienne un vecteur de violations généralisées des droits de l’homme, d’atteintes à ces droits, de discrimination et d’exclusion ».

Peut-on encore parler de progrès, lorsque celui-ci se fait au détriment d’autres êtres humains ? Il est urgent d’y réfléchir et de mettre en place un cadre juridique et éthique permettant de contrer toutes ces dérives.

 

Pour en savoir plus sur le sujet :

https://basta.media/ces-petites-mains-humaines-precaires-et-exploitees-qui-rendent-ia-et-robots-plus-intelligens-intelligence-artificielle

https://www.cath.ch/newsf/intelligence-artificielle-les-forcats-du-monde-numerique/

https://www.ladn.eu/tech-a-suivre/chatgpt-travailleurs-sous-payes-ia/

https://time.com/6247678/openai-chatgpt-kenya-workers/

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