Claudine Bergoignan Esper, professeure des Universités en faculté de droit, spécialiste du droit de la santé, membre de l'Académie de médecine, est intervenue sur ce sujet difficile de la fin de vie devant le Club.
Elle a tenu à souligner qu’elle le faisait en son nom personnel, l’Académie de médecine ne s’étant pas encore prononcée.
En préambule à son intervention, Claudine Bergoignan Esper fait quelques considérations « générales » sur ce sujet difficile.
Pour elle, c’est un sujet grave, que nous devrions tous connaître, « auquel nous devrions tous au moins réfléchir, quel que soit notre âge », car, c’est une évidence, « personne n’y échappe ».
C’est aussi un sujet personnel et très clivant, qui entraine souvent une éthique de conviction et génère des tensions, où le consensus entre des positions parfois irréductibles (que les raisons en soient professionnelles, religieuses, personnelles) est difficile.
Face à cela, il est nécessaire d'adopter une posture d'humilité et d’avoir conscience que c'est un sujet évolutif, car susceptible d'évoluer au cours de la vie de chacun, notamment en fonction de son état de santé ou des expériences de décès vécues dans son entourage.
Sa conviction, et elle aura l’occasion de la réaffirmer au cours des échanges, est qu’il faut garder à l'esprit que l'accompagnement est ce qui compte le plus. Aucune loi ne remplace l'accompagnement car "mourir seul est la pire des choses".
50 années d’évolution de la relation soigné/soignant se sont traduites par un ensemble de dispositions qui existent aujourd’hui dans notre pays
Historiquement, pour Claudine Bergoignan Esper, l’émergence du virus du Sida au début des années 80 a été le vrai point de départ d’une évolution majeure.
Alors qu’à l’époque régnait ce qu’on a nommé le « paternalisme médical », où l'on pensait protéger le malade en lui cachant la gravité de son mal, l’apparition de nouveaux malades plutôt jeunes et « éduqués » souffrant d’une maladie pour laquelle on savait qu’il n’y avait pas de traitement mais qui était extrêmement contaminante, a conduit les soignant à changer radicalement de posture, c’est-à-dire de dire la vérité sur leur état aux malades.
Une autre étape est franchie à la suite de la tenue des Etats Généraux du cancer. Après une séries d’Etats régionaux organisés par la Ligue contre le cancer en 1997/98, ils se tiennent à Paris au niveau national en novembre 1998, en présence de Bernard Kouchner, ministre de la Santé de l'époque. Puis ils sont relayés par des forums organisés par les pouvoirs publics. Au total, ils ont abouti à un texte majeur pour l’évolution de la relation soignant/soigné : la loi du 4 Mars 2002 sur le droit des malades et la qualité du système de santé. Elle reconnaît un droit des patients à une information la plus objective possible, l'accès direct au dossier médical, la réaffirmation du secret médical, la réparation d'un risque sanitaire en cas d'accident thérapeutique et, surtout, pour la première fois, la prise en compte de l'expression de la volonté du patient.
En 2000, l'affaire très médiatisée du jeune pompier Vincent Humbert et le procès de sa mère qui a accédé à sa volonté de mourir, aboutit à un non-lieu sur le plan judiciaire, a mis l'accent sur le traitement de la fin de vie dans notre pays et a entrainé la création d'une commission présidée par Jean Leonetti, médecin et député, et provoqué la première loi sur la fin de vie de février 2005, dite loi Leonetti, votée à l'unanimité par l’Assemblée nationale et par le Sénat. Celle-ci rejette l'obstination déraisonnable dans les soins (acharnement thérapeutique), reconnaît officiellement le double effet de l'injection de médicament soulageant la douleur mais accélérant la mort (morphine), met en place les directives anticipées et promeut les soins palliatifs.
Ensuite, plus rien ne se passe pendant une dizaine d’année quant à l’application de ce texte (très mal connu). Mais certaines affaires très médiatisées révèlent les limites des dispositions existantes, Ce sera l’affaire Chantal Sébire (atteinte d'un cancer de la face incurable et extrêmement douloureux, qui se suicide en 2008), et surtout l'affaire Vincent Lambert, qui déchire une famille dans les années 2013/2014.
Le président François Hollande charge alors les députés Jean Leonetti et André Claeys de mener un bilan de la précédente loi, insuffisamment appliquée. C’est ainsi que naît la loi Claeys-Leonetti de 2016. Ce texte qualifié récemment de « trésor national » par un médecin considère que les directives anticipées s'imposent au corps médical et acte la pratique de la sédation profonde et continue, en cas de pronostic vital à court terme.
Dans les textes il semble parfait, cohérent et équilibré. Mais il est malheureusement très mal appliqué sur le terrain car mal connu. Et ceci à la fois des professionnels de santé par insuffisance de formation et de la population (en 2021 seulement 18 % de nos concitoyens ont rédigé des directives anticipées).
C'est dans ce contexte que le président de la République actuel, dès 2017, avait intégré ce point de la fin de vie dans son programme, en particulier pour le cas de personnes dont le pronostic vital est engagé à moyen terme (soit quelques mois). Sujet de tensions sur les valeurs éthiques, avec des bornes claires toutefois : la nécessaire protection des plus vulnérables, une grande vigilance sur le cas des personnes âgées et, à l'opposé, le respect des volontés des malades.
Une petite mise en perspective avec les dispositions existant dans d’autres pays révèle que sur un sujet où nous avons été pionniers en France nous nous sommes largement « fait rattraper » depuis quelques années.
Remarque : Il faut bien comprendre ce que recouvre ce terme d'aide active à mourir. Il recouvre deux "sujets" : l'euthanasie, où c'est le soignant lui-même qui administre le produit qui provoque la fin de vie (en France elle est interdite et considérée comme un homicide) ; l'assistance au suicide, démarche différente, puisque c'est la personne elle-même qui ingére le produit létal prescrit par le soignant, Le rôle du médecin n'est donc absolument pas le même...
Dans l’UE quasiment tous les pays ont mené des réflexions sur la fin de vie et l’aide active à mourir. Et certains sont plus « avancés » que nous dans les solutions.
Ainsi les Pays Bas, la Belgique et le Luxembourg sont les pays qui sont allés le plus loin sur l'aide active à mourir, autorisant l’assistance au suicide comme l’euthanasie. Les statistiques y donnent des hypothèses où l'aide active à mourir ne concernerait qu'1 à 3% des personnes, maximum.
D'autres pays, plus modérés, comme la Grande Bretagne, l’Allemagne et l’Italie, ont légalisé l'assistance au suicide.
Aux USA, le cas intéressant de l'Oregon mérite de s'y arrêter. Leur réflexion sur l'assistance au suicide sur prescription médicale et avec un accompagnement date de 30 /40 ans,. Aux USA, 10 Etats l’ont suivi.
La Nouvelle Zélande, l'Australie, le Canada ont aussi des législations.
Aujourd'hui, nous disposons en France de nombreux éléments forts de réflexions, hors de toute affaire médiatisée
On peut citer ;
- l'avis du CCNE ( Comité Consultatif National d'Ethique) de septembre 2022 ;
- l'avis de la Convention citoyenne consultée sur la nécessité ou non de faire évoluer la loi actuelle (avril 2023) ;
- la mission parlementaire mené par Olivier Falorni, soignant et député,
- le rapport du Cese qui, il y a quelques jours à peine, se prononce pour faire évoluer la loi Claeys-Leonetti
Et ce qui est frappant est que ces avis vont tous dans le même sens : une unanimité en faveur de l’amélioration des soins palliatifs (avec des unités disponibles dans tous les départements, alors qu'aujourd'hui 20 département n'en ont pas et que 12% des gens meurent encore dans de grandes souffrances) et avec une demande de légalisation de l'aide active à mourir (sans se prononcer sur suicide assisté et-ou euthanasie).
Nous ne manquons donc pas d’appuis pour engager la réflexion qui va forcément faire l’état de discussions publiques à la rentrée de septembre
La ministre Agnès Firmin le Bodo va porter le sujet à l'Assemblée nationale et au Sénat à la fin de l'été
Le projet comprendrait 3 grandes parties :
- droit des patients, avec une simplification des directives anticipées qui seraient classées sur un lieu unique ("mon espace santé") ;
- insistance sur les soins palliatifs avec la mise en place d’une stratégie décennale y compris à domicile ou en Ehpad, avec la création d’unités de soins palliatifs pour les mineurs ;
- aide active à mourir quand le diagnostic à moyen terme est engagé, avec une insistance sur la lucidité des patients sans se prononcer entre euthanasie et suicide assisté. Avec des demandes réitérées de contrôles préalables et a postériori, l'exclusion des mineurs, des personnes âgées, des handicapés ainsi que des gardes fous et une clause de conscience pour les personnels de santé.
Les débats ne sont pas finis. Les tensions éthiques restent importantes entre partisans de la protection de la personne d'une part et respect de son autonomie d’autre part. Pour de nombreux professionnels de santé, la médecine n'est pas l'arrêt de la vie
En conclusion, les esprits sont maintenant ouverts à l'information et à la discussion, avec beaucoup de prudence et dans le calme.
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La vidéo intégrale des interventions et échanges est disponible ci-dessous pour tous ceux qui n’ont pu y assister et souhaitent en savoir plus !
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