Considérée comme l’une des pionnières de la démocratie participative en France, la philosophe Joëlle Zask1 propose dans son ouvrage « Ecologie et démocratie » une approche à contre-courant de la pensée commune : face au constat d’une « démocratie en panne » et aux lourdes menaces pesant sur l’environnement, elle définit en effet l’urgence : « comprendre que l’écologie et la démocratie sont sœurs ». Contre ceux qui pensent « qu’il y aurait dans l’écologie quelque chose d’élitiste », ou « qu’il faudrait, pour prendre le tournant écologique à temps, avoir recours à des méthodes autoritaires » contre-démocratiques, l’intellectuelle affirme que non seulement écologie et démocratie ne sont pas contradictoires, mais qui plus est qu’elles sont indissociables l’une de l’autre.
Comment comprendre cette relation réciproque ? En quoi peut-elle ouvrir l’horizon sur de nouvelles perspectives pour répondre aux enjeux du monde contemporain ?
Qu’est-ce que la démocratie ?
La démocratie est communément définie comme une forme de gouvernement donnant le pouvoir au peuple, à travers le droit de vote. Pour Joëlle Zask, cette définition formelle est très largement insuffisante. La démocratie est en effet également une organisation sociale et une culture fondée sur un ensemble de valeurs partagées (ex : égalité, liberté, justice). Elle doit être pensée comme un écosystème, au sein duquel chaque individu est amené à « accomplir son cycle de vie », c’est-à-dire à réaliser ce qu’il a de propre en lui, ce qui fait sa singularité. La démocratie est ainsi « une fabrique d’individualités » qui luttent contre la tendance à l’uniformité. C’est à travers la notion d’écosystème, et donc de rapport, trop souvent occulté dans les sociétés modernes contemporaines, qu’on peut faire un premier lien entre démocratie et écologie.
Une démocratie représentative formelle et réductrice
Pour Joëlle Zask, le malaise démocratique actuel résulte d’un réductionnisme fatal : l’accent est mis sur la démocratie représentative, logée au sein d’un gouvernement face auquel les citoyens sont amenés à réagir après coup, comme les spectateurs du pouvoir auquel ils n’ont aucun moyen de participer. C’est une vision très amenuisée de la citoyenneté, dans laquelle le rôle de l’individu se limite à adhérer ou à contester les propositions soumises, sans pouvoir participer concrètement à la création des conditions de l’existence de cette démocratie.
Gouverner : « tenir le gouvernail »
Autre cause de la crise démocratique selon Joëlle Zask : une conception erronée du mode de gouverner. L’intellectuelle fait référence au philosophe grec Platon (Ve siècle avant JC)/ Gouverner, c’est « tenir le gouvernail ». A l’image d’un navigateur, il s’agit non pas de dominer (le bateau, l’équipage, la mer), mais de « tenir compte de tous les éléments qui pourraient dévier la route ». De fait, on peut établir un nouveau parallèle avec l’écologie : au lieu de chercher à dominer - la nature ou les hommes - il faut au contraire faire avec, intégrer tous les facteurs, en les faisant converger. Gouverner, c’est développer des synergies fécondes, qu’elles soient naturelles ou humaines.
Les jardins partagés : un modèle de l’association étroite entre écologie et démocratie
Les jardins partagés constituent une parfaite illustration de cette relation étroite entre écologie et démocratie. Ils représentent en effet l’association entre du commun et de l’individuel : on partage du terrain, des semences, du compost, du matériel, de l’eau, mais en même temps chacun est responsable de son propre lopin de terre, cultive sa propre parcelle de jardin. Qui plus est, ces espaces partagés favorisent la sociabilité, deviennent des lieux d’échanges, de convivialité, permettant de récréer des liens sociaux, tout en redonnant une place à la nature au sein des activités humaines. Apprendre à faire des choses ensemble, à un niveau concret et local, permet de développer des pratiques démocratiques transposables à d’autres domaines.
L’expérience : le lien entre démocratie et écologie
C’est à partir de la notion d’expérience que Joëlle Zask définit le fonctionnement idéal d’une démocratie2, « qui doit mettre à la disposition des individus les outils qui leur permettent de s’auto-gouverner ». Elle insiste dans ses différents ouvrages sur la capacité de chaque individu à agir pour transformer la société, en étant source d’initiatives, de projets, d’innovations3, à travers des expériences personnelles lui permettant de « faire usage d’un des éléments de son environnement pour changer son environnement ». L’expérience suppose tout à la fois transformation et préservation de la capacité d’action. C’est autour de ce concept d’expérience que démocratie et écologie se rejoignent, à travers la capacité à transformer nos usages tout en préservant les conditions d’existence future des générations.
Comment reprendre la main ?
Malgré un certain pessimisme sur la situation actuelle de la démocratie à l’échelle internationale, compte tenu des rapports de forces disproportionnés, Joëlle Zask prône de revenir à la sagesse de La Boétie, humaniste du XVIe siècle célèbre pour son Discours sur la servitude volontaire : ne créons-nous pas nous-mêmes les chaînes qui nous emprisonnent ?
Elle souligne par ailleurs les multiples outils de l’arsenal juridique, permettant aujourd’hui d’instruire des affaires de crimes climatiques (écocides).
Enfin, Joëlle Zask conclut qu’on ne naît pas démocrate, mais qu’on le devient, par des expériences personnelles et locales. La démocratie doit s’apprendre dans la famille, à l’école, entre amis. Et le laboratoire de la démocratie, c’est la localité. Il existe déjà quantité de nouvelles modalités de vivre ensemble (ex : écoquartiers, fermes collectives, espaces polyvalents comme des cafés-librairies), constituant autant de nouvelles formes d’autogouvernement au niveau local. Ces initiatives ne sont malheureusement pas cartographiées. Si elles pouvaient se fédérer entre elles, elles constitueraient un pouvoir important (levier d’action). Face à l’échec des dirigeants politiques (y compris des partis écologistes dont le fonctionnement n’est pas démocratique), le seul changement ne peut venir que des citoyens eux-mêmes.
1 Maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille, spécialiste de philosophie politique, Joëlle Zask s’est intéressée à des domaines très différents : la politique, l’éducation, l’agriculture, l’art, l’écologie.
2 Joëlle Zask s’appuie sur la pensée du philosophe américain John Dewey, dont elle a traduit certains ouvrages, dont Le public et ses problèmes, paru en 1925 (mais toujours d’actualité). John Dewey y définit la politique comme une expérimentation : « La formation des Etats doit être un processus expérimental […] l’expérimentation doit toujours être reprise ; l’Etat doit toujours être redécouvert ».
3 Voir son ouvrage Participer : essai sur les formes démocratiques de la participation (2011)
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