Nous consommateur, nous entrepreneur, artisan…. Nous fonctionnaire, nous banquier… Nous tous pourrions contribuer à l’indispensable décarbonation de nos vies et de l’atmosphère, sans attendre les grandes décisions de Paris ou de Bruxelles, sans « écologie punitive », sans que nos décisions nous coûtent une fortune alors que nous ne pouvons même pas en mesurer l’effet. Il suffirait que les fournisseurs petits et grands se mettent à indiquer à leurs clients sur leurs factures les émissions de gaz à effet qui ont été nécessaires à sa fabrication. Et le passage aux « carbones sur factures » ou sur produits ne leur coûterait pas une fortune à ces fournisseurs, car ce ne serait pour les comptables qu’un renseignement supplémentaire simple à ajouter à ce qu’ils font déjà.
Le ton inhabituellement militant et enthousiaste de ces premières lignes s’explique simplement. Le Club des vigilants soutient officiellement Carbones sur facture qui est une initiative d’un collectif de bénévoles emmené par Jérôme Cazes[i], ancien président du Club. Il est venu discuter le 21 juin avec les membres du Club et leurs invités de cette MCE (Mesure comptable environnementale).
Il y a eu des tribunes sur le sujet, publiées dans Le Monde et Les Échos ; il y a un appel pour la MCE que vous pouvez signer en ligne si vous êtes convaincu avant d’avoir lu plus loin.
N'entrons pas trop dans les détails techniques. Ils sont sur https://carbones-factures.org/
Expliquons quand même en quelques mots que cette MCE est construite pour être simple, peu couteuse et pour le rester. Idéalement chaque entreprise recevra de ses fournisseurs une facture lui indiquant le total des émissions de gaz à effet de serre nécessaires à sa production (production, transport et tous les ingrédients en amont). Elle répercutera sur ses propres factures et/ou l’étiquette de ses produits en fonction de la part de chaque ingrédient et de ses propres efforts pour y ajouter le moins possible d’émissions.
Comment faire en attendant que tous les fournisseurs s’y mettent ? L’équipe de Carbones sur factures a fait une découverte formidable, explique Jérôme au fil des questions de l’assistance : les « comptables nationaux », ceux qui établissent tous les ans par grandes masses et grands secteurs les comptes des échanges à l’échelle de l’économie française ou de l’économie européenne ont déjà, discrètement, ajouté les émissions de gaz à effet de serre à leurs calculs et estimations. De même que les scientifiques évaluent le bilan annuel à l’échelle du monde et des pays. En attendant l’information du fournisseur, ces moyennes sectorielles fournissent un substitut officiel et gratuit, fourni par le calculateur gratuit proposé par Carbones sur factures.
Comment faire pour que les entreprises n’en restent pas paresseusement à ces moyennes ? Ici intervient un peu de « punitif ». Le comptable appliquerait une marge de précaution à ces moyennes et celle-ci…augmenterait tous les ans pour que « ça pèse de plus en plus de ne pas faire une mesure comptable». « L’importateur de produits chinois finit par avoir intérêt à faire pression sur son fabriquant pour qu’il passe à une vraie comptabilité carbones sur factures », explique Jérôme.
Mais pour que le système fonctionne, "la clé", la plus grande des pressions doit venir des venir des consommateurs/usagers/épargnants/contribuables/citoyens. Il faut que tout cela devienne « désirable ». Le pari de Carbones sur factures est que nous allons être de plus en plus attentifs à l’impact de nos consommations sur le climat. Surtout si ça ne nous coûte rien !
Quelques exemples évoqués par Jérôme ou inspirés de ses propos.
Le consommateur dans les rayons d’un supermarché devant plusieurs marques de fromage blanc (Jérôme a parlé de verres). À prix égal, bilan nutritif égal, graisses saturées égales, bio ou pas bio égal le gourmand pourrait/devrait devenir sensible à l’étiquette qui lui permettra de choisir le moins carboné. Le jeune qui choisit une banque pour son premier compte courant « qui de toute façon ne lui rapportera rien » devrait devenir sensible au bilan carbone établi pour la banque par ses comptables en fonction de la décarbonation des entreprises qu’elle finance avec ses dépôts et ses fonds propres. Même l’automobiliste qui continue à utiliser son vieux diesel parce qu’il n’a pas les moyens de passer à l’électrique peut faire attention au fait que le même litre de diesel peut être produit avec plus ou moins d’émissions d’effets de serre selon les marques avant même que lui automobiliste ne le brûle.
On comprend, à travers ces quelques exemples, pourquoi les entreprises, petites ou grandes, auraient intérêt à donner l’information sur le contenu carbone de leurs produits et services et à tout faire pour le diminuer « parce que ce serait leur intérêt ». Cela deviendrait, sans sortir d’un système d’économie libérale concurrentielle, un élément de la concurrence comme le prix ou la qualité. Le débat sur croissance/décroissance serait dissout dans les myriades de décisions individuelles et collectives, assure Jérôme. Les comptables, auditeurs, commissaires aux comptes étant déjà organisés pour produire une « information comparable et vérifiable qui inspire confiance », il n’y a pas besoin de label supplémentaire, semble-t-il. En tout cas Jérôme n’en évoque pas.
Au niveau collectif l’intérêt de ces myriades « de compteurs et de robinets » est de fournir une information beaucoup plus fine sur les sources des émissions globales de gaz à effet de serre dont on nous donne le bilan annuel, à l’échelle nationale. Ce serait précieux pour affiner l’action publique et aussi le jugement des citoyens électeurs, contribuables sur les actions menées pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre.
Jérôme a répété plusieurs fois sous des formes diverses qu’aujourd’hui les pouvoirs publics des pays riches et notamment de la France y « mettent plus d’argent que prévu pour progresser moins vite que prévu alors que l’on commence à vivre les dégradations annoncées du climat ». Il a notamment cité des études estimant que les milliards consacrés à l’aide à l’amélioration des performances énergétiques de l’habitat obtiennent un dixième de l’effet escompté. Il a évoqué les décisions « brutales et déraisonnables » de pouvoirs publics « aveugles » qui aboutissent à la fameuse écologie punitive et/ou aux gilets jaunes. Il assure que le prélèvement carbone aux frontières a plus d’effets pervers que d’effets bénéfiques. Bref, par manque d’instruments de mesures et de modulation des actions suffisamment fins les pouvoirs publics ont une action brutale et très peu efficace contre le changement climatique alors que la MCE permettrait d’additionner quantités de petites actions positives.
De leur côté les électeurs contribuables n’ont pas plus d’instruments d’appréciation de cette action publique. Jérôme évoque l’exemple de la commune qui recherche des effets d’annonce sur la plantation de dix arbres ou l’installation d’une piste cyclable. Une mesure fine (sur tous les euros du budget de la ville et pas seulement les pistes cyclables) permettrait peut-être d’expliquer aux électeurs que le rapport coût efficacité est bien meilleur sur des mesures moins visibles.
Conséquence supplémentaire et très importante de cet aveuglement des pouvoirs publics qui prennent des décisions peu informées et peu modulées, « elles sont impossibles à transposer aux pays moins riches parce que trop couteuses et peu efficaces » a répété plusieurs fois, en substance, Jérôme.
Cette idée de généraliser et d’affiner les mesures en s’appuyant sur la comptabilité des entreprises et des administrations est-elle seulement celle d’un petit groupe de Français géniaux ? « Nous l’avons longtemps cru », avoue Jérôme. Jusqu’à ce que lui et ses amis se rendent compte que, comme souvent, la bonne idée est dans l’air du temps et que d’autres réfléchissent à des solutions voisines, notamment dans les pays anglo-saxons. Les concertations ont commencé à l’échelle internationale, le tout étant de ne pas perdre en route l’objectif de simplicité. Un des participants à la réunion a notamment évoqué l’énorme chantier qui aboutit au début du siècle aux normes comptables internationales dites IFRS. Il faut prendre les comptabilités « telles qu’elles sont », plaide Jérôme, et juste leur ajouter quelques principes simples pour obtenir la circulation de l’information carbone.
Les pouvoirs publics sont-ils totalement absents du débat ? « Hélas non », aurait pu être la réponse de Jérôme. L’Europe a conçu, décidé et mis en place une de ces usines à gaz parfaites « qui donne du travail aux grands cabinets de conseil pour cinq ans ». Nom de code : CSRD pour « Corporate sustainability reporting directive ». C’est cette complexité que dénonçaient un tribune co-signée par Carbones sur factures publiée le 29 avril dernier dans les Échos, mettant en regard la simplicité de leur proposition. La complexité du fardeau imposé aux grandes entreprises européennes tient notamment aux centaines d’informations qu’on leur demande, tant qu’on y est.
Faut-il se battre contre cette CSRD ? Non, pense Jérôme, parce que ce serait trop difficile maintenant que le coup est parti, « cela ne servirait à rien ». Il reconnaît d’ailleurs qu’en matière de gaz à effet de serre il y a une pépite : on demande désormais à l’entreprise non seulement ce qu’elle a brûlé comme carbone mais aussi les émissions de gaz à effet de serre incluses dans les matières premières et services reçus de ses fournisseurs. .
Alors aucune demande à l’égard des pouvoirs publics ? Pas tout à fait. Jérôme et les bénévoles de Carbones sur factures pensent qu’il faudrait un coup d’épaule décisif pour « inciter » les grandes entreprises, notamment certaines (pétroliers, compagnies aériennes, grandes banques) à plonger dans la piscine de la Mesure comptable environnementale et à publier cette fameuse information sur leurs factures et leurs étiquettes. « L’information ils l’ont déjà. Il suffit de les obliger à la publier et à l’indiquer à leurs clients sur leurs factures. Ce serait un immense pas en avant. »
[i] Entrepreneur, cocréateur des collectifs Réconcilions-nous ! et Carbones sur Factures, qui déploient les Mesures comptables environnementales pour booster la transition
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