Les émeutes menacent-elles la démocratie ?

Je reviens sur le lien complexe entre démocratie et révolution, à partir de la présentation que Christophe Bourseiller a faite de son dernier livre "La France en colères" à une matinale du Club des Vigilants, et de l’excellent débat qui a suivi.

Les colères ne sont pas nouvelles en France, mais Christophe Bourseiller note qu’elles semblent s’accélérer : d’une fois tous les 10 ans environ dans la seconde moitié du siècle dernier, à une fois tous les 5 ans dans le début de ce siècle.
Les colères, prises au sens d’émeutes, sont-elles une menace dirigée contre la démocratie pilotée par des acteurs qui la détestent ? C’est la thèse la plus fréquente, en partie reprise par l’orateur qui suit les acteurs extrémistes de gauche ou de droite et leur influence politique.
On peut équilibrer cette interprétation pessimiste par une autre plus optimiste, qui ferait de ces révoltes des rappels à l’ordre de citoyens observant un dérapage inacceptable pour eux de la promesse de la démocratie majoritaire représentative.

Trop ou pas assez d’affect ?

L’auteur définit le populisme comme une utilisation abusive des affects et observe leur place dans les colères. Mais tous les affects ne sont pas aussi négatifs que la colère. Et ils sont un ingrédient incontournable de décision compliquée et importante : aucun « décideur » ne décide jamais sans que ses affects jouent un rôle déterminant. La colère peut venir d’un refus des décideurs de reconnaitre ce rôle et de se dispenser d’affects réconciliants en politique.

Trop ou pas assez de pragmatisme ?

L’auteur note le poids dans le populisme de la dénonciation des élites, qui « se goinfrent » en prônant le pragmatisme. La colère peut venir de ce pragmatisme systématique qui mine la démocratie représentative parce qu’il casse le lien entre les électeurs et leurs représentants s’il n’existe pas des valeurs claires encadrant ces représentants entre deux votes.

Rejet ou demande de négociation ?

Une foule en colère et sa tendance à tout casser peut être vue comme un refus de la discussion et de l’eau apportée au moulin des extrémismes politique. Mais tout dépend de l’analyse que l’on fait du développement de la colère dans le temps. Les collectivités qui multiplient les bouffées de colère ont une responsabilité collective dans le dénigrement de la négociation « qui ne sert à rien ». Les émeutiers, à Nouméa ou ailleurs, nous rappellent qu’il est trop tard pour discuter quand une minorité est sous le coup de la colère. Mais ils nous rappellent aussi la grande faiblesse de nos démocraties reposant sur le vote majoritaire : leur incapacité à saisir ce qui est existentiel pour une minorité, et qui justifie que la majorité s’assure de leur consentement sur ce qui touche cet essentiel, la ligne rouge au-delà de laquelle la minorité considère, à tort ou à raison (peu importe, finalement) que la vie des personnes qu’elle représente ne vaudrait plus la peine d’être vécue.

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