Atteinte de plein fouet par la crise sanitaire, comment Air France peut-elle affronter les menaces conjuguées d’une concurrence maximale et du défi environnemental ?
Lors de cette Matinale, Anne-Marie Couderc a défendu avec conviction l’idée que la compagnie aérienne nationale, forte d’atouts qui lui sont propres, réussirait à répondre aux défis, nombreux, auxquels elle fait face aujourd’hui.
En mai 2018, le second mouvement social d’ampleur de la décennie (une première grève importante avait déjà eu lieu en 2014) avait provoqué le départ de son PDG et l’avait amenée à assurer la présidence par intérim du Conseil d’administration du groupe Air France KLM. Un fort climat de défiance régnait alors dans l’entreprise. Face à cette double crise sociale et de gouvernance, Anne Marie Couderc à convaincu de la pertinence de pérenniser une séparation claire des rôles entre présidence non exécutive et direction générale. En août, Benjamin Smith, grand spécialiste canadien de l’aérien est nommé directeur général du groupe et en décembre la DGA Anne Rigail devient directrice générale d’Air France.
La confiance est progressivement rétablie en interne : 40 accords distincts sont signés, permettant de retrouver le calme social et d’asseoir une nouvelle dynamique de développement.
En 2019, la compagnie souffrait d’un manque de compétitivité et faisait face à de nombreux défis : une flotte insuffisamment renouvelée et vieillissante, des vols long courrier concurrencés par des compagnies soutenues par les Etats du Golfe, des vols moyens courriers et domestiques soumis à celle des low-cost et d’une compagnie turque aussi subventionnée qu’agressive. Sur son marché intérieur la concurrence du TGV était également forte sur des lignes autrefois rentables. Progressivement, la situation semblait se redresser dans un secteur de l’aérien alors en pleine expansion grâce à plusieurs atouts : une marque prestigieuse ; la mobilisation en France de la compagnie low-cost du groupe, Transavia ; une situation géographique très favorable et un réseau mondial largement diversifié avec des points forts en Afrique, Amérique Latine, Asie et dans les DOM. Au premier trimestre 2020, les résultats positifs, dus notamment à une baisse des coûts importants, laissaient enfin présager une belle année.
Et, en mars 2020, c’est le coup de tonnerre, la crise sanitaire cloue tous les avions du monde au sol : du jamais vu dans l’histoire de l’aérien, « une vision cataclysmique ». Seul 5 % de la flotte d’Air France a continué de voler pour assurer des ponts aériens de deux natures : le rapatriement de nos concitoyens dans des conditions très compliquées et changeantes et le transport des produits médicaux et de protection sanitaires nécessaires.
Sur le plan social c’était totalement dramatique », Air France perdait 10 millions d’euros par jour (KLM 5), imposant une gestion drastique, un examen sans concession du réseau et un ajustement des effectifs, y compris structurel.
L’aide de la France et des Pays-Bas est intervenue très rapidement, avec des modalités différentes, assorties de contreparties et d’engagements vis-à-vis de l’UE comme des Etats. Cette aide de l’Etat a sans doute sauvé Air France, en lui permettant de traverser la crise sociale mais aussi d’investir dans le renouvellement de la flotte.
Ce renouvellement de la flotte répond à un double impératif concurrentiel et écologique. Air France est régulièrement reconnue depuis 10 ans comme la première ou la deuxième compagnie au monde faisant le plus d’efforts pour réduire son empreinte environnementale : rajeunir et rénover sa flotte c’est disposer d’avions moins polluants et moins bruyants.
(A la suite de son intervention, beaucoup des questions posées à Anne-Marie Couderc ont porté sur l’aspect environnemental, mais aussi bien sûr sur les perspectives économiques.)
Anne-Marie Couderc « assume parfaitement la responsabilité de lutter contre la pollution du secteur », « il faut accélérer les engagements », en menant un travail en commun avec les constructeurs, les motoristes, le personnel. Un tempo est nécessaire.
Sur le court terme, il faut, bien sûr, miser sur le comportement responsable des équipes (l’écoconduite des pilotes notamment), l’investissement sur des avions plus légers et moins gourmands (un A 220 de 148 places économise 20% de carburant). Sans oublier l’importance de tracer des routes aériennes directes pour économiser le carburant.
Sur le moyen terme : la technologie est là avec le biocarburant, mais les demandes de l’aérien, du routier et du maritime sont fortes et font monter les prix sur un marché trop étroit. Il faut donc résoudre le problème des filières et de gestion des surcoûts. Des expériences sont en cours avec Total en France (et Shell aux Pays Bas). L’implication des Etats sera indispensable pour assurer la pérennité de ces filières et mettre en place un cadre mondial contraignant au respect de ces règles. Car bien sûr ces règles ne peuvent pas être qu’européennes : l’aérien est un champ de compétition mondial. C’est là toute la problématique de la taxe carbone mondiale : « nous ne pouvons pas être les seuls sur notre îlot européen, la concurrence déloyale provoquera un déséquilibre, nous affronterons une situation impossible et nous mourrons si rien n’est fait ». Les grandes compagnies européennes font cause commune auprès de la Commission. Car Bruxelles s’est montrée depuis de longues années plus soucieuse de défendre le consommateur européen que son industrie. En témoignent par exemple, les slots rendus par Air France à Orly au profit de compagnies low-cost. Au moins a pu être négocié que ces créneaux précieux soient remis a des compagnie appliquant les mêmes règles sociales. C’est une évolution positive.
A plus long terme, l’hydrogène sera une solution pour des moyens trajets et des avions moins lourds. La technologie fait des progrès et Anne-Marie Couderc a la conviction que le progrès technologique sera au rendez- vous. Toutefois une fois tous les efforts faits pour réduire les émissions de CO2, la compensation ne doit pas être un faux fuyant : Air-France-KLM agit sur des plans de reforestation et de restauration de mangroves et se tourne de plus en plus vers l’absorption de carbone.
Par ailleurs, la crise a profondément changé le comportement des voyageurs et des entreprises amenant la réduction drastique de la clientèle affaire du fait du développement de la visioconférence et du télétravail, ainsi que des engagements environnementaux croissants des entreprises. Pour faire face à cette évolution la compagnie a plusieurs atouts : l’activité cargo (notamment pour les produits pharmaceutiques et les produits dangereux pour lesquels elle a un savoir-faire pointu), l’activité de maintenance des appareils qui a une véritable dimension industrielle, la cybersécurité et les datas, sujets particulièrement importants pour les compagnies. Enfin son réseau diversifié et bien ancré reste un atout majeur vis-à-vis d’autres compagnies plus spécialisées sur certaines destinations (comme par exemple British Airways sur l’Amérique du Nord).
Pour rembourser sa très lourde dette, la compagnie étudie un plan de sortie. KLM était en meilleure posture qu’Air France avant la crise et pourra la rembourser plus aisément. Pour Air France, le plan de remboursement est calé sur 5 à 6 années. La compagnie « n’a pas toutes les solutions et doit trouver le moyen de générer plus de résultats positifs ». Et les incertitudes sont encore grandes : en témoigne le report de mois en mois de l’ouverture des frontières avec les USA depuis juin.
La compagnie doit continuer ses efforts de restructuration. A titre d’exemple, Transavia, dont la qualité d’accueil et de service est meilleure que celle des autres low-cost, va se développer. Le verrou imposé par les syndicats de pilotes limitait sa flotte à 40 avions ; ce verrou n’existe plus. Et sur le marché intérieur français la rationalisation portera des fruits.
Anne-Marie Couderc conclut en réaffirmant sa confiance pour le futur.
Reconnue encore tout récemment comme la compagnie qui apporte le meilleur service à ses clients, Air France croit résolument en l’avenir de son métier, en sa vocation : donner la capacité aux habitants de la planète de se réunir, de découvrir le monde…
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