Depuis plusieurs mois il ne se passe pas une semaine sans que remonte à la surface, à la manière des bulles nauséabondes, une immoralité de plus commise par le Parti du Président – le PT - dont le fonds de commerce qui fit élire Lula, était précisément la lutte contre la délinquance politique, courante au Brésil, comme en Amérique Latine en général, et l’auto proclamation de la vertu naturelle du Parti et de ses leaders.
A la manière de « nous sommes le gouvernement des gens honnêtes » de Pierre Mauroy en 1981. Cela est très grave pour le moral du pays car la majorité des brésiliens ne croient plus en rien, et beaucoup annoncent qu’ils n’iront plus voter.
Depuis plus de 20 ans je me rends chaque année au Brésil pendant quelques semaines et je trouve que ce pays constitue un formidable lieu d’expérimentation de conflits qui naissent de la confrontation entre une modernité qui prend place rapidement et des valeurs politico-sociales qui forment une vulgate à laquelle, au fond, personne ne croit plus. Il y a des soubresauts idéologiques, bien sûr. Lula en fut un, comme Chavez ou le sous-commandant Marcos, aujourd’hui Evo Morales en Bolivie et peut-être demain quelqu’un d’autre au Pérou : comme pour ne pas définitivement enterrer Che Guevara et Fidel Castro.
Le coup au moral que le PT et ses leaders portent à la nation est à la hauteur de la célébration de leurs vertus faite par les faiseurs d’opinion, artistes et medias en tête, lors des campagnes électorales. L’une des figures emblématiques du PT, Jose Dirceu vient d’être démis de ses mandats par la Chambre des Députés, lors d’une séance de nuit retransmise en direct à la télévision, et des artistes et non des moindres commencent à régler leurs comptes, certains comme Raimundo Fagner, reprochant à d’autres comme Chico Buarque d’avoir louangé des corrompus dont les noms fleurissent jour après jour : Delubrio Soares, Silvinho Pereira, Gilberto Carvalho, Jose Gerroino, etc. cités dans des affaires louches ou criminelles comme l’assassinat du maire (Prefeito) Celso Daniel.
S’agit t-il d’une malédiction qui frappe l’Amérique latine ?
Il y a quelques semaines lors d’une réunion interne au Club, j’avais fait référence à une technique matricielle de catégorisation des individus et de leur tempérament souvent employée par un sociologue peu connu de la fin du 19ème siècle, Edmond Demolens, qui fût l’un des fondateurs de l’Ecole des Roches. Il excelle dans la typologie des caractères et la plus célèbre de ses matrices se rapporte à l’utilisation faite par quelqu’un de son argent ou de l’argent des autres.
L’effondrement de la vertu autoproclamée du Parti des Travailleurs (PT) m’a fait souvenir d’une autre « matrice » proposée par le philosophe français Jean Baechler. Que l’on donne à lire à quelqu’un Machiavel, Hobbes et Rousseau, celui qui se sentira proche des deux premiers devrait ressentir une répulsion profonde pour le troisième et vice-versa. Les premiers regroupent, dit-il, ceux qui sont convaincus sans pouvoir le démontrer que l’homme est méchant. Inversement les seconds pensent d’une façon également irrationnelle que l’homme est bon. Une grande différence existe entre ces deux groupes : ceux qui croient que l’homme est bon pensent que si les sociétés sont imparfaites, cela ne tient pas à une malédiction naturelle (l’homme serait bon et méchant à la fois) mais à des erreurs amendables. Pour cette raison, sa marche vers l’idéal passe par deux étapes insupportables : isoler et, s’il le faut, anéantir ceux que l’on considère comme la source du mal projeté sur certains hommes et groupes : l’impérialiste, les juifs, les riches, les communistes, les américains, le clergé, la démocratie, etc. ; puis mettre en place une répression constante pour éviter les résurgences inévitables du mal. Ainsi quiconque ne reconnaît pas la dualité irréductible de la nature humaine (bien et mal inextricablement mêlés) sera acculé à une forme ou à une autre de tyrannie pesante ou légère soit à une corruption généralisée.
La grandeur d’un système politique moderne vient du fait qu’il a su rompre avec le mécanisme de la projection du mal sur l’autre et que pour la résolution de ses problèmes de société, il admette que les sources du bien et du mal sont non seulement dans l’homme mais dans chaque homme, y compris dans son sein.
De la situation politique au Brésil, on peut donc tirer la leçon que, si le bon et le mauvais cohabitent inévitablement chez chacun, y compris chez Lula, il paraît judicieux de se méfier des hommes politiques dont le programme se garantit vertueux. Il faut se méfier encore plus – mais cela concerne toute l’Amérique latine – de ceux qui ont recours ? ce que l’on pourrait appeler le mécanisme psychologique de la projection de l’échec ou du malheur sur l’étranger, l’ennemi extérieur qui est tellement plus malin que nous qu’il sera vainqueur à tous les coups – sauf à … voici le programme prévu, toujours régressif ou répressif. Y a-t-il donc une malédiction qui frapperait l’Amérique latine à cet égard ?
Plusieurs de mes amis sud américains pensent que le mal profond et peut-être irréparable qui a été fait à la mosaïque d’états souverains mais fragiles qui forment le continent vient de l’adhésion enthousiaste – à l’exception notable de celle de Bolivar – des hommes d’état sud américains de l’époque à la doctrine Monroe qui proclama en 1823, « L’Amérique aux Américains ».
Ce ralliement enthousiaste aurait couvert en réalité une démission et un lâche soulagement : celui de se mettre sous le protectorat nord américain, pour éviter le risque - l’aventure napoléonienne passée - du retour de l’interventionnisme des puissances européennes. D’où l’oubli de l’effort que doit faire toute société qui aspire à survivre, cette absence de politique extérieure sérieuse, cet infantilisme des projets politiques qui caractérisent encore la plupart des pays américano-latins.
Le ressentiment profond d’avoir historiquement perdu son âme lors d’un lâche compromis alimente en continu le mécanisme de projection vers l’extérieur des tares intérieures ; avec un premier lieu, s’il y a échec, c’est connu, c’est à la méchanceté des Etat-Unis qu’on doit l’imputer. A décharge, le difficile et principal problème sérieux de ces pays est celui de la cohésion nationale et d’un sentiment d’appartenance à une communauté difficile à faire exister. Jusqu’ici il n’a été trouvé comme recette que les mouvements de foule du type Nuremberg ou Woodstock, que constituent les meetings de Castro ou de Chavez, en prenant soin pour pouvoir communier dans l’hostilité, de se ménager un ennemi extérieur permanent : les Etats-Unis.
Si cela marche encore pour se faire élire, c’est notoirement insuffisant pour conduire un pays vers le développement qu’il mérite. Même si l’itinéraire Allende-Pinochet n’est plus aujourd’hui imaginable, il y a des sentiers vers le gâchis, que les sud-américains feraient mieux d’éviter ou qui au minimum requiert leur vigilance. Une fois encore le Brésil, et même si son cas est très différent, montre malgré son énorme potentiel et sa vitalité incomparable, qu’il est très difficile d’échapper aux pesanteurs historiques.
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