Tes questions à propos des conséquences possibles de notre élection présidentielle tombent à pic. Je dois écrire un papier à ce sujet sous forme d’une lettre à un ami étranger, j’en profite.
Tu sais comme moi que la France se trouve, au moins pour ce qui concerne son économie, bloquée comme un véhicule sur un rond point au milieu d’un embouteillage monstre avec peu de bretelles de sortie hormis des sens interdits et des voies sans issues. On sait comment cet embouteillage s’est formé depuis trente ans, de Giscard - Mitterrand jusqu’à Sarkozy. Il demeurera inextricable tant que nous continuerons à penser que le gros de nos ennuis viennent des autres et non de nos réticences au changement et à la réforme. Ainsi ne pas voir la réalité d’un pays qui devra emprunter 210 milliards d’euros sur les marchés en 2013, ce n’est ni sérieux ni raisonnable. Cette contrainte externe rend quasiment nulle la marge de manœuvre du pouvoir quel qu’il soit issu de l’élection et illusoire le volontarisme dont il voudrait faire preuve. Dans ces conditions, l’intelligence devrait conduire le Président et son gouvernement à aller dans le sens d’un desserrement de la contrainte en espérant que cette action soit menée sans trop attendre. On connaît bien sûr les problèmes clé à traiter (mais comment faire ?) qui sont :
- pour la défense publique, diminuer les dépenses courantes sans toucher aux investissements productifs,
- faciliter les activités des entrepreneurs et la création d’entreprises nouvelles,
- favoriser les investissements dans les activités à haute valeur ajoutée en accroissant la rentabilité des capitaux investis et le nombre des projets industriels,
- conduire une politique industrielle « conquérante » pour améliorer notre commerce extérieur,
- réexaminer les dispositions qui régissent le marché du travail face à la pression du chômage des jeunes.
Et j’en oublie d’autres tout aussi importants.
En réalité, comme je l’ai dit notre pays a aujourd’hui beaucoup perdu de son indépendance et n’est plus totalement maître de son destin. S’il souhaite continuer à jouer avec l’Allemagne le rôle de co-leader de l’Union Européenne, il n’y a pas, me semble t-il, d’autre direction à prendre que d’accepter la contrainte extérieure en espérant que cela se fera le plus vite possible. Car le volontarisme sans outil n’est que rodomontade. Et toi, Henrique, d’origine allemande, tu sais bien que sans avoir tous l’avarice bien connue d’un Souabe-Wurtenbourgeois, les Allemands, ont, quoiqu’on en dise, des oppositions fondamentales avec nos dirigeants. L’Allemagne ne croit pas aux vertus du Keynésianisme, combat pour une monnaie saine et un euro géré comme le mark, prône la rigueur fiscale comme condition première à la croissance, refuse de payer les dettes des autres et pour cela a placé son champion M. Schaube à la Présidence de l’Eurogroupe en remplacement de Juncker.
Cela dit, je crois qu’il sera nécessaire au moins pour tenir compte de l’opinion publique française et de quelques autres pays du sud que la Chancelière fasse un geste de compromis minimum* en montrant qu’elle comprend la justesse des préoccupations françaises d’une action en faveur de la croissance. Mais ce compromis ne changera pas beaucoup le différend de fond qui peut perdurer : l’Allemagne n’acceptera pas, je crois, une croissance par les déficits et fera tout pour convaincre de choisir la voie des réformes structurelles dont celles du marché du travail façon Schröder.
En tout état de cause, le chemin sera long et difficile et devrait s’étendre sur plusieurs années, probablement la durée d’un quinquennat.
Cher Henrique, souvenons-nous enfin, et c’est valable aussi pour le Brésil, qu’il est dangereux pour un Etat de dépenser bien au-delà de ses moyens et en plus d’inciter ses citoyens à en faire autant. On adosse ainsi nos projets d’avenir à des richesses imaginaires, projets qu’un simple clic d’ordinateur peut ensuite réduire à néant. Cela dit la société civile française a toujours beaucoup d’atouts et de talents. Alors restons optimistes.
Bien à toi et à bientôt.
Robert Guillaumot
Directeur de Société
Secrétaire Général de l'Académie de l'Intelligence Economique (AIE)
* comme par exemple laisser plus de possibilité de financement à la Banque Européenne d’Investissement, mobiliser tout ce qui reste des fonds structurels européens inutilisés, ou la création d’une taxe sur les transactions financières.
Par contre il est probable que ce sera non aux Euro-obligations.
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