Les élections européennes se sont achevées hier avec les résultats que l’on sait. Elles ouvrent une période d’incertitude qui frappe la gouvernance des institutions et au delà le projet européen lui même.
D’une part avec près de 60%, l’abstention est le premier Parti européen y compris dans les pays qui ont le plus bénéficié de la solidarité européenne. D’autre part, les oppositions à l’Europe progressent spectaculairement : deux pays la France (25%) et le Danemark (23%) ont placé les listes hostiles à l’Europe en première position. Au Royaume-Uni la liste des eurosceptiques est créditée de 27 à 30% des suffrages. En Autriche et en Hongrie les scores sont supérieurs à 15% et en Grèce à 10%.
Ce sont des faits. Quelles sont les marges de manœuvres des pro-européens ?
M Jean-Claude Junker a déclaré que les équilibres au Parlement Européen n’étaient pas remis en cause et qu’il s’attendait à être le futur président de la Commission. Effectivement selon les estimations sur les 751 députés élus[1], le groupe du PPE[2] reste majoritaire avec 213 députés (28,5%). Le groupe S&D[3], socialiste vient en deuxième position avec 189 élus (25,2 %) ; suivent les libéraux de l’ADLE, 64 élus (8,5 %) et les Verts, 53 élus (7,06%). Mais les sceptiques et les hostiles pourraient totaliser plus de 140 députés. C’est donc une stabilité en apparence seulement et qui cache des mouvements sismiques en profondeur.
Concernant la nomination du président de la Commission rien ne garantit que le Conseil suivra la logique du parti qui a recueilli le plus de voix.
Si tel était le cas, cela signifierait une modification de l’équilibre des pouvoirs au détriment du Conseil et en faveur du Parlement européen. Et le Président de la Commission devrait trouver une majorité au Parlement. La seule solution paraît celle d’une alliance inspirée du modèle allemand entre PPE et S&D, éventuellement rejoints par les Libéraux (ADLE), c’est à dire une cogestion par les deux ou trois partis arrivés en tête et qui disposeraient d’une majorité de gouvernement. Alternativement, il lui faudrait chercher au cas par cas des majorités de circonstance et la Commission serait à la merci d’un vote de censure.
Dans l’hypothèse où le Conseil s’accorderait sur une autre personnalité, on doit s’attendre à un bras de fer entre le Conseil et le Parlement qui pourrait durer plusieurs semaines, voire des mois. Les nominations des Commissaires s’en trouveraient retardées et c’est l’ensemble de la gouvernance européenne qui entrerait dans une période d’incertitude.
Pour ce qui est des politiques à conduire, les résultats du vote des citoyens peuvent difficilement être ignorés par les trois instances de direction de l’Europe (Commission, Conseil et Parlement européens). Il paraît donc que des initiatives ou des inflexions politiques s’imposent sur les sujets qui sont au centre des préoccupations des Européens comme la pertinence des politiques d’austérité et des règles de la BCE, les négociations commerciales internationales, l’immigration ou encore un socle de normes sociales européennes ce à quoi M Junker s’est engagé. En complément, un nombre limité de grands projets phares touchant à la réalité de la vie des Européens pourrait être lancé sur financement européen, par exemple dans les transports, l’énergie, la transition écologique, l’innovation pour les villes ou les biotechnologies.
Il est aussi important de noter que le mot liberté a été utilisé avec insistance par les opposants à l’Europe. Ceci signifie qu’il y a une attente pour un recentrage de la Commission sur les grandes questions suivant en cela les principes de subsidiarité et de proportionnalité du Traité de Lisbonne et pour une limitation des normes et des règlements qui s’ajoutent souvent aux initiatives nationales et finissent par être perçues comme autant de contraintes pesant sur les libertés individuelles.
Quel rôle peut jouer la France dans ce contexte ? Il est à la fois central et délicat. L’Europe ne peut exister sans la France mais la crédibilité de son gouvernement est nécessairement affaiblie au Conseil et sa représentation au Parlement sera handicapée par une opposition radicale en son sein. Pourtant, ce serait le moment d’avancer des propositions en concertation avec des partenaires dans l’Union sur la base du message envoyé par les urnes.
Jean-François Soupizet
Ancien fonctionnaire de la Commission européenne
Les propos exprimés ici n’engagent que leur auteur
[1] Les résultats disponibles actuellement ne concernent encore que 751 des 774 sièges.
[2] Parti Populaire Européen
[3] Alliance Progressiste des Socialistes et des Démocrates
Commentaires
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Totalement en phase avec votre proposition d'utiliser au mieux le dispositif existant et de chercher a en optimiser les processus constitutifs !
Cela dit, toute organisation ne peut etre optimale que par rapport a des finalites claires et totalement partagees par ses parties prenantes, qui la polarisent, qui l'orientent...
Ce sont ces finalites, a structure donnee, qu'il le semblerait important de redefinir !
Cependant je ne desespere pas.
J'ai visite ce dimanche l'expodition FUTUR EN SEINE a Paris, organisee par le Conseil regional d'Ile de France
et le pole de competitivite CAPDIGITAL.
Le nombre impressionnant de projets innovants dans le domaine du NUMERIQUE et des OBJETS CONNECTES (Ste Omwave par exemple) porte par de jeunes (ou moins jeunes) entrepreneurs l'a reconforte !
Leur demande generale que j'y ai entendue :
"Pourquoi ne pouvons nous pas trouver d'argent prive ou d'argent public en capital-risque d'amorcage ?"
Que peut faire concretement l'Europe et la France pour leur repondre ... RAPIDEMENT ?
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Il nous faut simplifier l'Europe et la recadrer sur de véritables missions fondamentales axées sur l’intérêt général de la communauté d'humains qui la constitue.
L'Europe ne sait plus vraiment les missions qui justifient son existence.
Elle ne sait plus que... fonctionner...
Donnez des Missions à ses dirigeants, vous en ferez des Missionnaires !
Donnez des Fonctions aux Dirigeants, vous en ferez des Fonctionnaires !
Comme le propose dans son dernier livre PASCAL LAMY, la mission historique de cette "Nouvelle Europe" que beaucoup appelle de leurs vœux n'est plus d’éviter la guerre mais bien plutôt "de civiliser la mondialisation" ...
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Bonjour M Soulodre,
Evidemment je ne peux que souscrire à votre commentaire et à la perspective ouverte par Pascal Lamy. Mon propos est toutefois plus
modeste dans un contexte où il est difficile d'envisager une refonte des traités pour de multiples raisons.
Or il me paraît que dans le cadre institutionnel actuel, il est possible d'infléchir les politiques et les réalisations européennes dans le sens que vous indiquez. C'est là le rôle du Parlement, de la Commission et des autres instances européennes. D'ailleurs vous avez pu noter que c'est
déjà une réalité à la Banque Centrale Européenne.
Mais n'en attendons pas non plus l'impossible car l'UE ne représente que 1% des ressources de ses Membres et son fonctionnement est nécessairement lourd.
Enfin, nous ne pouvons pas confondre complètement les difficultés rencontrées par notre pays et celles de l'Union européenne et à cet égard il est navrant de constater que dans la période budgétaire écoulée (2003-20014), la France a "rendu" plus d' un milliard d'€ de crédits des
fonds régionaux faute de projets ; plus encore les chiffres qui viennent d'être publiés montrent que le retour vers la France des crédits de recherche s'amenuise régulièrement faute de propositions. Dans le cas des
Technologies de l'information et de la Communication, cette part qui
était de 13,5% dans le 5°PCRD, de 12,8% dans le 6°PCRD est tombée à 11,8% dans le 7°PCRD. La pire année ayant été 2013. Et ce alors que le top 10 des pays participants est resté stable au niveau de 80% des financements ce qui exclut les causes liées à l'élargissement. La France souffre d'un déficit de dynamisme dans ces domaines.
Alors, sans doute faut-il un nouveau rêve pour l'Europe, mais il est tout aussi indispensable d'habiter le projet existant et de tirer parti de ses possibilités.
Bien cordialement
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En s'élevant au dessus des Etats, l'Europe s'est perdue dans la bureaucratie.
Or, la bonne gouvernance n'est pas de fournir des directives et des contraintes mais une direction claire.
Bravo pour le terme de missionnaire, celui qui construit le futur, celui de fonctionnaire étant des plus détestables.
Visiblement les non-votants sont en attente d'autre chose ... que pour l'instant on ne leur propose pas !
Faisons les rêver et ils se remettront à voter. On a tous besoin d'un idéal !!!
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