Le taux d’épargne des ménages français, déjà l’un des plus élevés au monde, a encore grimpé, atteignant 16,8 % fin 2011, et renouant ainsi avec un record d’il y a près de 30 ans.
Cela n’est pas bon signe pour les moteurs de la croissance, puisque ce qui est épargné n’est pas consommé, et que, côté investissement, l’épargne des Français est majoritairement constituée d’immobilier et minoritairement de placements en comptes sur livrets et en assurance-vie qui ne sont que très marginalement affectés aux entreprises. Resterait le moteur de l’exportation, mais celui-ci, toujours plombé par un Euro trop fort et par les insuffisances bien connues de l’innovation et de la position internationale des PME françaises, souffre toujours d’une double faiblesse de compétitivité-prix et hors prix.
Cette épargne est pourtant fort rationnelle, et même, pleine de bon sens : face à un Etat surendetté après trente ans de déficits publics, à une croissance faible ou nulle depuis dix ans et à la montée parallèle d’un chômage massif, les Français n’anticipent rien de bon pour les prochaines années, et ne manquent pas, pour s’alarmer, d’exemples autour d’eux, ou plutôt de contre-exemples, de pays qui, de la Grèce au Portugal, subissent de durs plans d’ajustements, d’autant plus sévères qu’ils ont été trop longtemps retardés, avec leurs effets de contraction économique et de baisse des dépenses sociales. Ce type d’épargne a été appelé, en raison même de l’inquiétude qu’il reflète, épargne de « précaution », s’ajoutant aux motifs habituels d’épargne dits de « transaction » (disposer de liquidités pour les prochains achats) et de « spéculation » (disposer d’une réserve de valeur).
Ainsi apparaît la limite des dépenses publiques fondées sur le déficit comme outil d’une politique keynésienne de soutien à la demande intérieure : au-delà d’un certain niveau, elles ne soutiennent rien du tout, car leur effet expansionniste se trouve contrebalancé par l’effet dépressif de la montée d’une épargne de précaution de la part des ménages qui craignent davantage d’impôts à l’avenir.
Cette observation empirique n’est pas nouvelle, elle a même été théorisée par l’économiste Ricardo au début du XIXe siècle déjà, et été qualifiée depuis, pour cette raison, de principe de « l’équivalence ricardienne ». Les difficultés de sortie de la crise actuelle, où les Etats occidentaux surendettés pour la plupart peinent à relayer crédiblement par la dépense publique une demande privée en panne, en fournissent une nouvelle illustration typique.
Et l’on pourrait, au pays de La Fontaine, la résumer métaphoriquement par la « morale » suivante : quand l’Etat se fait « cigale » trop longtemps, le Peuple se fait « fourmi » …
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