Nouvelle donne en Iran, nouvelle donne au Moyen Orient ?

Iran-5+1Invité du Club vendredi 25 octobre, François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran a souhaité tout d’abord planter le décor. Tout au long de son intervention, il n’a cessé de convoquer l’histoire ancienne pour éclairer le présent. François Nicoullaud a ajouté, depuis, quelques éléments sur le 2ème round de négociations qui a eu lieu les 7, 8 et 9 novembre. Un autre round est, d’ores et déjà, prévu le 20 novembre.

Une vraie révolution

Pour comprendre la République islamique dont on dit tant de mal, souvent d’ailleurs à raison dit-il, il faut se souvenir de trois choses. La première, à son sens, c’est que la Révolution islamique de 1979 était une vraie révolution comparable à la Révolution française. Elle a connu le cycle classique de toute révolution avec l’unanimisme de départ, puis l’éclatement en factions qui se déchirent entre elles suivi d’un prosélytisme international pour répandre un message universel - certes tourné autour de l’islam – et enfin un anti-impérialisme et un antisionisme qui a, hélas, parfois débouché sur un antisémitisme notamment incarné par Ahmadinejad. Ce cycle a connu également, tout comme chez nous, la levée en masse contre l’envahisseur, en l’occurrence l’Irak de Saddam Hussein. Et il s’est terminé par une phase de professionnalisation, de bureaucratisation, comparable à la période post Thermidor de notre propre révolution.

Le deuxième point à retenir, c’est qu’aux yeux de la majorité des Iraniens - même les plus hostiles au régime – cette révolution signe la véritable indépendance du pays. Les dynasties des Shah ont toujours été perçues comme soumises à l’étranger. Aux Russes et aux Anglais au 19ème siècle et jusqu’au début du 20ème siècle, aux Américains par la suite.

Le dernier point concerne le rôle du chiisme, composante fondamentale de l’islam iranien. C’est par opposition à l’empire Ottoman sunnite qui se posait en régent de l’ensemble du monde musulman que les Safavides, issus d’une secte soufie, ont fait du chiisme la religion officielle de l’Iran au 16ème siècle. Pour les Iraniens, héritiers d’une grande civilisation, être chiite c’est de fait s’inscrire pleinement dans l’islam tout en se distinguant des Arabes.

Mais au-delà de la République islamique institutionnelle, il y a, insiste François Nicoullaud, la nation iranienne, le peuple iranien, la société iranienne. Cette dernière, dit-il, évolue de façon irrépressible et exerce une pression énorme pour le changement. C’est une société de plus en plus éduquée, totalement alphabétisée, où l’éducation universitaire est extrêmement développée – 3 millions d’étudiants de nos jours en majorité des filles contre près de 400 000 à l’époque du Shah ; c’est une population à 70 % urbaine alors que le rapport était inverse une génération auparavant ; c’est une population avec des comportements urbains. A noter par exemple que le taux de fécondité de la femme iranienne est passé, en une génération, de 5/6 enfants/femme à deux enfants ou encore le taux de divorce, qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse, qui est tout-à-fait comparable au nôtre. C’est enfin une société connectée au monde extérieur, en particulier avec les 4 millions d’Iraniens de la diaspora. La société a montré, à maintes reprises, son désir de changement. Une première fois avec l’élection du réformateur Khatami en 1997, la deuxième avec les manifestations du mouvement vert contestant la réélection en 2009 d’Ahmadinejad et la dernière, en 2013, avec l’élection de Rouhani.

Une triple victoire

L’élection de Rouhani constitue, selon lui, une triple victoire. C’est d’abord celle des sanctions internationales, qu’on y soit favorable, ou critique comme lui-même.  «  A quoi cela sert d’avoir des centrifugeuses qui tournent si le reste de l’économie ne tourne pas, si la vie des gens ne tourne pas. » Ce slogan de Rouhani pendant la campagne a fait mouche et tous les observateurs y ont vu la volonté ferme de s’attaquer à ce dossier nucléaire qui pourrit la vie des Iraniens depuis si longtemps. C’est aussi une victoire pour la République islamique elle-même. N’oublions pas qu’elle a été, dit-il, très ébranlée par la réélection "ratée" d’Ahmadinejad, les soupçons de fraude… Or, cette fois, le guide de la Révolution, éclaboussé et affaibli par le soutien qu’il avait apporté à Ahmadinejad en 2009 en sortant de son rôle constitutionnel de guide au-dessus des partis, est resté à distance des différents candidats, ne montrant aucune préférence pour l’un ou l’autre tout au long de la campagne. C’est enfin et surtout une victoire pour le peuple iranien.

Aujourd’hui, estime François Nicoullaud, la donne a indéniablement changé en Iran.

Nouvelle donne en Iran

Tout en donnant des signaux forts en direction de la société – des prisonniers politiques ont été libérés, affichage de sa volonté de desserrer la rigueur de la police des mœurs … -, Rouhani a, selon lui, fixé sa grande priorité : c’est le règlement de la question nucléaire. Depuis plus de dix ans, cette crise cristallise tous les éléments de peur et de conflit entre l’Iran et le monde extérieur. Pour Rouhani, le règlement de la crise nucléaire est primordial dans une première phase. Il n’est pas question, pour lui, de se disperser et de vouloir traiter tous les problèmes - le nouvel équilibre de la région, la Syrie, l’Irak - à la fois.

Il y a, insiste François Nicoullaud, de fortes chances de résoudre le problème nucléaire avec Rouhani. Ce dernier, dit-il, est vraiment à la recherche d’une solution de compromis. Il l’a montré entre 2003 et 2005, lorsque, en tant que négociateur en chef sur le dossier nucléaire, il a fait des gestes très significatifs pour aller vers un compromis. N’a-t-il pas accepté la suspension des activités d’enrichissement pendant les négociations ? N’a-t-il pas dans le même temps signé le protocole additionnel de l’AIEA qui impose des contrôles très intrusifs des installations nucléaires ? Mais tous ces gestes n’ont rien donné et la négociation a échoué. Pourquoi ? Pour François Nicoullaud, l’échec est du, sans conteste, à une ambigüité liée à la base de la discussion. Pour les Iraniens, même les opposants au régime, leur droit à l’enrichissement est non négociable d’autant qu’ils sont signataires du Traité de Non Prolifération (TNP) et qu’ils soutiennent vouloir développer une filière civile et nullement militaire. Les Occidentaux, de leur côté, n’ont pas voulu entendre parler pendant longtemps d’enrichissement de quelque niveau que ce soit. Où en est-on aujourd’hui ?

Selon François Nicoullaud, Rouhani a de fortes chances de réussir son pari. C’est un homme politique habile, un homme du sérail, un véritable homme d’Etat qui connaît très bien le dossier nucléaire et c’est enfin et surtout un homme qui a la confiance du guide Khamenei. Certes ils ne sont pas d’accord sur tout, ajoute-t-il, mais le guide sait que Rouhani est loyal et qu’il ne dépassera jamais les lignes rouges qui lui auront été fixées. Reste que, selon lui, la fenêtre d’opportunité pour résoudre ce problème est tout-à-fait limitée. Pourquoi ? Rouhani a pris un certain nombre d’engagements dont la levée des sanctions, condition nécessaire à l’amélioration de la vie quotidienne des iraniens. Or, si les négociations traînent en longueur, les sanctions resteront en vigueur. La population peut alors se lasser de ne rien voir venir et sombrer dans un cycle de désamour tel celui vécu par Khatami en 2005 avec l’élection de son contraire Ahmadinejad.

L’Occident a, de son côté, tout intérêt à ce que la négociation aboutisse. « On n’est pas là pour sauver Rouhani. » En opposition à cette déclaration faite par un de nos diplomates à la sortie de la première réunion à Genève entre les Iraniens et les Occidentaux, François Nicoullaud estime qu’on n’est pas là non plus pour briser ses chances de réussite.

Depuis l’élection de Rouhani, les signes de dégel sont nombreux. François Nicoullaud cite la campagne de charme du président iranien à New York lors de l’Assemblée générale de l’ONU, la rencontre Hollande-Rouhani, l’échange téléphonique avec Obama, une première depuis 1979 ! La première réunion de négociation à Genève entre l’Iran d’un côté, les cinq membres permanents du conseil de sécurité et l’Allemagne de l’autre, s’est déroulée à la mi-octobre dans un bon climat. Les Iraniens ont montré leur volonté de trouver rapidement une solution, selon les termes des Occidentaux présents. Mais on vient à peine, estime François Nicoullaud, d’entrer dans le "dur", c’est-à-dire les questions techniques et scientifiques complexes permettant de bâtir un bon accord nucléaire. C’est ce qu’on a vécu durant la deuxième réunion de Genève, début novembre, qui s’est en effet avérée difficile. C’est une négociation ardue qui devrait prendre au moins six mois, et plus probablement une bonne année. Mais si elle débouche sur un succès, les effets bénéfiques s’en feront rapidement sentir, non seulement pour les Iraniens, mais aussi pour tous les peuples de la région, et finalement pour l’économie mondiale dans son ensemble.

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Commentaires

C’est avec une grande attention que j’ai lu l’article sur l'intervention de M. Nicoullaud sur l’Iran. Il rencontre nos observations de terrain basées sur des études de consommation que nous conduisons depuis une vingtaine d’années en Iran.

La société, l’état d’esprit des gens « ordinaires » comme Alain de Vulpian aime les appeler, a profondément changé et de ce fait, joue un rôle capital dans la transformation de l’Iran d’aujourd’hui. Les gens demandent plus d’autonomie, apprivoisent mieux la complexité (plus grand nombre de personnes ayant suivi une formation universitaire comme le cite si bien l’article), et ne sont pas à l’aise avec l’autoritarisme. Tous des signes d’un mouvement de plus en plus puissant pour rejoindre la modernité.

Khamenei, est beaucoup moins dogmatique que son prédécesseur ou qu’un Mohammed Morsi. Il lui arrive de citer Victor Hugo devant ses visiteurs, et pas seulement des versets du Coran. Il parle aussi de la souplesse du catcheur. Il a donc accompagné un processus qui est devenu inexorable.

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