Notations financières : pas de triple A pour l’Institut Montaigne

L'Institut Montaigne vient d’avancer six propositions pour réduire le poids des agences de notation dans les décisions économiques. Le constat sur lequel s’appuient ces propositions est très juste : le monde financier est drogué aux notations d’agences, auxquelles les pouvoirs publics ont donné trop de poids.

Elles déresponsabilisent banques et investisseurs, et rajoutent du mimétisme dans des marchés déjà rongés par l’amplitude croissante des cycles, quand les agents économiques, tous en même temps, basculent d’un côté ou de l’autre du pessimisme, multipliant et aggravant les crises.

Les propositions avancées sont de pertinence inégale.

- La première proposition est la plus importante et le rapport aurait dû  s’arrêter à cette seule mesure : sortir la notation de toutes les réglementations financières. Là est le vice initial : les pouvoirs publics ont pensé se simplifier la tâche en renvoyant sur les notations d’agences des pans entiers de la réglementation des banques et de l’épargne. Cette délégation de services publics essentiels qui ne dit pas son nom à des organismes privés maximisant leur profit était en soi dangereuse. Elle aurait pu être faite de façon rationnelle, en contrôlant régulièrement la pertinence de chacune des notes agréées. Elle a été organisée de manière tristement simpliste, en se contentant d’agréer globalement des agences qui, une fois agréées, peuvent produire absolument toutes les notes qui représentent pour elles une opportunité commerciale, avec la même valeur réglementaire. D’où une diversification des agences de plus en plus loin de leur fond historique d’expertise (les notations d’entreprises), dans des domaines où leurs notes n’ont aucune signification technique : notation de banques, de pays, ou de véhicules financiers.

- Les autres propositions avancés sont en revanche inutiles, voire dangereuses : les banques ou les assureurs n’ont pas vraiment besoin que des régulateurs les forcent à développer une analyse du risque ; la création d’une plateforme centralisant les notes d’agences est prévue par la réglementation européenne (et déjà assurée par de nombreux opérateurs privés) ; la publication de la liste des actionnaires des agences est aussi déjà prévue et ne sert pas à peu près à rien (elle n’aurait évité aucun des scandales récents) ; la publicité des infractions ne servirait à rien non plus, dès lors que les agences ne sont obligées par la réglementation à rien d’important.

La dernière mesure suggérée est à mon sens nuisible et étonne un peu de la part d’un institut de réputation très libérale : elle suggère de mieux surveiller les moyens humains mobilisés par les agences pour produire leurs notes. Cette approche par le nombre d’analystes, qui est en fait déjà celle des autorités de contrôle, est profondément absurde. Alors que l’objectif de la réglementation devrait être de favoriser la concurrence des opinions d’agences et leur diversité, ce type de règles (qui rappellent un peu celles des corporations dans l’ancien régime), a surtout pour résultat de bien verrouiller le contrôle des « trois grandes agences », seules capables de mobiliser des armées d’analystes, qui servent d’abord à justifier le prix élevés des notes.

Des agences qui ne figureraient plus dans aucune réglementation financière ne pourraient s’appuyer que sur leur qualité, et là serait le véritable contrôle : lorsqu’elles annoncent qu’une signature est solide, ou fragile, est-ce que statistiquement elles se trompent, ou est-ce qu’elles ont raison ? C’est bien sur cette base que fonctionne la recherche action, où des analystes « notent » également les actions (« vendre », « acheter », « conserver »…), sans qu’aucun corps de contrôle vienne vérifier si leurs analystes sont assez nombreux. Mais des sociétés privées se chargent de surveiller la performance de ces analystes, et « notent » les notateurs.

S’il fallait vraiment rajouter une seconde mesure à l’excellente première mesure de l’institut Montaigne, ce serait d’encourager la concurrence entre notateurs, d’abaisser les barrières à l’entrée de nouvelles agences, et d’évaluer les agences sur leur pertinence statistique. La réglementation européenne n’en prend malheureusement pas le chemin.

Share

Ajouter un commentaire