La France rajeunit
Au printemps 2017, le nouveau Président dispose de nombreux atouts. Il suscite curiosité et intérêt dans le monde. Sa performance électorale, une victoire nette sur l’extrême droite et sur les partis traditionnels, est incontestable. Sa jeunesse , un phénomène exceptionnel dans les vieilles démocraties, est mis à l’actif de la France ; les optimistes voient en lui un nouveau Bonaparte. Sa maîtrise de l’anglais (contrairement à la plupart de ses prédécesseurs) et sa connaissance du monde anglo-saxon sont les signes qu’il est ouvert sur le monde et à l’aise dans la globalisation. Son curriculum vitae d’inspecteur des finances et de banquier international font d’Emmanuel Macron un professionnel apte à venir à bout des difficultés économiques et financières qui affaiblissent la France depuis plusieurs décennies. Il est pris immédiatement au sérieux par les hommes d’affaires et continue de l’être. L’image de la France reprend des couleurs.
Ss premiers pas ne sont pas ceux d’un débutant. Il s’exprime avec autorité, même si les discours peuvent fatiguer par leur longueur. Il fait preuve d’autorité avec Poutine, dénonçant les immixtions russes dans les élections françaises. Avec le nouveau président des Etats-Unis, il use de tout son charme et de son regard séducteur. Trump est séduit mais continuera à en faire à sa tête, ne tenant pas plus compte du président français que des autres présidents européens. Il exploite à bon escient nos demeures historiques (Versailles, Invalides), nos traditions d’accueil et même le défilé du 14 Juillet, pour mettre en valeur la « grandeur » française auprès de ses invités de marque.
Allait-on assister à un renouveau de notre diplomatie et à une multiplication des initiatives française ?
Un contexte défavorable
Le contexte n’est guère porteur. La montée des populismes et des nationalismes, partout dans le monde, incite les dirigeants à multiplier les opérations d’affichage chauvin et à limiter les coopérations et les régulations à l’échelle internationale, le Brexit étant le meilleur exemple de la force de ce courant. La tension croissante entre les deux premières puissances, Etats-Unis et Chine, réduisent de fait la place des autres Etats. La disparition des empires, soviétique et ottoman, avait laissé des frustrations et des tensions, qui sont exploitées habilement par les nouveaux « tsars », Poutine et Erdogan. Le désengagement progressif des Etats-Unis favorise de nouvelles immixtions, russe et turque, au Moyen-Orient.
L’hostilité à l’égard de « l’homme blanc » à qui il faut faire payer sa domination et son impérialisme est croissante et les initiatives d’un « Etat Blanc » sont interprétée comme un retour au colonialisme et à l’impérialisme. La majorité des états africains demeure fragile, les coups d’état nombreux et l’opinion africaine est de plus en plus hostile à la présence de militaires blancs.
Le problème de l’habitabilité de notre planète devenant dominant, les pays gros émetteurs de CO2, dans le passé ou le présent, sont jugés coupables et disqualifiés pour prétendre gouverner le monde.
Sans qu’on puisse parler d’échec, la place de la France dans le combat pour une planète habitable est modeste. Elle a participé activement aux négociations, elle a proposé mais les décisions significatives sont prises dans un cadre européen et mondial ou par les très grands pollueurs (Chine, Etats-Unis, Inde) De plus le hiatus entre le verbe et les mesures pratiques, très en retrait, ne font pas de la France un pays exemplaire.
Comme la plupart de nos dirigeants, Emmanuel Macron surestime les marges de manœuvre de la France et son volontarisme est rapidement mis à l’épreuve.
Le volontarisme à l’épreuve : Haftar et Poutine
En juillet 2017, il réunit à la Celle Saint Cloud deux dirigeants libyens, le président en titre Fayez et le maréchal Haftar. Un accord de cessez-le feu est signé, il ne sera pas appliqué. Les subtilités de deux renards du désert avaient échappé à l’énarque. La démarche solitaire n’est pas comprise à l’échelle internationale, en particulier par l’ex-pays colonisateur, l’Italie. La préférence donnée à Haftar, le militaire, jugé apte à réduire le désordre au Sahel se révèle une erreur. Le dissident de Tobrouk entreprend (2019) une marche sur Tripoli et échoue. La France, qui n’est pas sans responsabilité dans le chaos libyen, est hors-jeu.
En aout 2019, à Brégançon, il reçoit de façon inopinée Poutine et annonce le lancement d’un dialogue au sommet entre les deux pays pour régler les problèmes pendants. S’il est nécessaire de parler avec le chef d’un pays de l’importance de la Russie, un contresens est commis. Le Russe veut une Ukraine faible et dépendante, économiquement intégrée dans l’alliance russe et n’est nullement prête à passer des compromis. Il n’est pas plus décidé à lâcher Bachar El Assad, un allié qui renforce la présence russe en Syrie. Il utilise des milices dites « privées » pour affaiblir les positions occidentales et notamment celles de la France dans l’Afrique au sud du Sahara. Le dialogue sera mort-né. Il aura inquiété inutilement les pays de l’est européen.
L’usure au Mali et au Sahel
Au Mali, il persévère dans les erreurs de son prédécesseur qui croyait que cette guerre asymétrique pouvait être gagnée. Un temps il augmente les effectifs. Quelques succès tactiques, qui ne sont nullement la preuve que la victoire est en vue. Puis, il annonce la réduction de ces mêmes effectifs. Le soutien de plusieurs gouvernements africains devient de plus en plus épisodique et des manifestations se multiplient contre la présence de troupes de l’ex-puissance coloniale. A terme, les troupes au sol devront partir. Cela demandera des discussions et du temps, si l’on veut éviter un fiasco à la Kaboul.
Impuissance occidentale au Moyen Orient
Au Moyen Orient, l’impuissance de la France et de l’occident est antérieure à Emmanuel Macron. La France continue la politique de sanctions à l’égard de Bachar, qui devient de moins en moins efficace, alors que des pays arabes rétablissent des relations commerciales. Compte tenu des relations historiques et étroites avec le Liban, l’intervention du Président était fondée. La passivité devant le suicide de ce pays eut été plus condamnable que l’échec. Avec les pays arabes, des alliés dans la lutte contre Daesh, les préoccupations mercantiles l’emportent (armes, investissements, pétrole ou gaz) et passent avant toute autre considération (guerre du Yémen, répressions sanglantes, islamisme larvé). L’Emirat des Etats arabes unis est un partenaire privilégié et l’Egypte du dictateur Morsi bénéficie d’une complaisance extrême.
Dans la crise iranienne, notre diplomatie a été très active, en particulier durant les premières années de Trump. Elle n’est pas parvenue à dégager une solution acceptable par les Etats-Unis et l’Iran , qui estiment, de plus, n’avoir pas besoin d’intermédiaire.
La Petite France dans l’immense Asie-Pacifique
Pour le Président, la France est une puissance mondiale et se doit d’être présente en Asie et dans le Pacifique. En Chine, il est trop tard pour exploiter le filon d’une reconnaissance précoce par le général de Gaulle et l’agressivité politique, commerciale et financière du nouvel Empereur est un frein à tout rapprochement. Avec réalisme, Emmanuel Macron constate que la Chine est devenue un rival systémique, et que la naïveté n’est plus de saison, sans mise en cause des relations entre les deux pays. Le rapport de forces ne le permet pas ; la France est devenue dépendante de la Chine, qui détient une bonne part de notre endettement extérieur, est un débouché de plus en plus important pour notre industrie de luxe et les alcools et un fournisseur parfois irremplaçable (minerais rares). La prudence est une nécessité.
Faute de Chine, l’inde a été choisie comme le partenaire privilégié. Les liens politiques, diplomatiques, militaires, commerciaux ont été resserrés. L’évolution de plus en plus dictatoriale et nationaliste du président indien, Modi, notamment à l’égard de la population musulmane (une centaine de millions d’habitants), de même que le besoin du soutien américain, principalement vis-à-vis de la Chine sont des freins à ce partenariat privilégié.
La dénonciation récente des contrats de sous-marins avec l’Australie et l’absence de la France dans l’alliance stratégique (Aukus) qui unit Etats-Unis, Australie et Grande Bretagne montre les limites du volontarisme macronien. La France n’est pas une puissance qui compte dans cette zone, les chiffres l’attestent (population, territoires, armée).
Une rupture inattendue : l’Algérie
Un échec beaucoup plus surprenant est la quasi- rupture (au moins au sommet) avec l’Algérie. Emmanuel Macron ne saurait être taxé de colonialiste attardé. Au contraire, avant même d’être élu, il avait dénoncé, en termes abrupts, les crimes de la décolonisation, ce qui avait failli lui coûter son élection. Son souci de parler vrai (assassinat d’Audin, massacre du 17 octobre 1961) et de réconcilier les mémoires, avec le concours de Benjamin Stora, était une initiative courageuse. Elle péchait par un excès d’optimisme. Aucune réconciliation interétatique n’est possible dans l’immédiat. La guerre contre la France est l’élément majeur de l’identité algérienne pour ses dirigeants et le gouvernement algérien, qui ne repose pas sur une base démocratique, aura longtemps besoin de l’ « ennemi français » pour compenser ses faiblesses et ses échecs. Cela ne veut pas dire qu’au niveau des sociétés, les échanges entre les hommes, les esprits, les marchandises et les services ne peuvent se développer dans l’intérêt des deux pays. Ce qui a cassé la relation, ce sont des propos présidentiels tenus devant des jeunes ayant des attaches avec l’Algérie. Au nom du refus de la « langue de bois » Emmanuel Macron prend des risques inconsidérés, surtout lorsqu’il s’agit de pays qui ont de bonnes raisons d’être susceptibles. Le risque devient de la provocation si les propos sont erronés ou dédaigneux. La comparaison entre le colonialisme ottoman (et non pas turc) et le colonialisme français n’est pas pertinente. La présence de l’état du Califat acceptée parce que protectrice des immixtions des « croisés », l’absence de spoliation de terres et de colonisation et de peuplement, l’autonomie interne (les beys) sont des différences majeures. L’Algérie, terra nullius en 1830, correspond à ce qu’on nous a enseigné à l’école alors que la réalité est beaucoup plus complexe. S’il n’y avait « rien », comment comprendre qu’il y ait eu des combats aussi sanglants et aussi longs (prise de Constantine) et qu’il ait fallu détruire les riches cultures de la Mitidja pour venir à bout des populations en les affamant ? Une nation, au sens européen, peut-être pas mais des structures et une organisation socioreligieuse, sûrement. Enfin dire, que la réduction drastique des visas gênerait surtout les dirigeant algériens venant pour des motifs futiles à Paris, alors qu’il existe une immense demande de visas non satisfaite est pour le moins une maladresse. Il faudra du temps avant que les deux chefs d’état se réconcilient.
La Start-Up Nation
En revanche, le volontarisme présidentiel a eu des effets positifs et, semble-t-il durables, dans le monde international des Affaires et de la Finance. Le style a plu, l’intérêt pour le numérique et l’intelligence artificielle a été apprécié et surtout sa politique fiscale a convaincu : suppression de l’ISF, taxation forfaitaire des revenus des valeurs mobilières et début d’une baisse des « impôts de production » L’attractivité de la France dans les classements internationaux a progressé de plusieurs points. Elle attire les investisseurs étrangers. La start-up nation prend forme.
La priorité à l’Europe
L’engagement majeur d’Emmanuel Macron sur le plan international est sans nul doute son engagement européen. Il ne s’est jamais démenti. Le candidat était un européen, le Président l’a été. Pour une fois, il a été servi par le contexte. Le début fut laborieux. Le discours de la Sorbonne (qui avait le tort de proposer trop peu de programmes précis) ne fut pas repris, notamment par la Chancelière allemande. Survint la « divine » catastrophe du COVID. La réaction de l’Union Européenne fut lente mais novatrice. La contribution française à l’élaboration d’un Plan de Relance financé par une dette commune fut essentielle. Son adoption (mai 2020) a été rendue possible par le ralliement de la chancelière Merkel. L’échec relatif des adversaires de l’Union Européenne aux élections et la mise en place d’une Commission beaucoup plus dynamique, en particulier dans le domaine industriel , font espérer que la construction européenne est entrée dans une nouvelle phase.
La présidence française, au premier semestre 2022, est l’occasion de renforcer la présence française au sein de l’Union et d’accomplir de nouveaux progrès. Le bilan international du Président sortant serait alors considéré comme un succès. Pour l’instant, le succès n’est nullement garanti. La proximité de l’élection présidentielle réduit les marges de manœuvre du candidat Macron, qui disposera néanmoins de deux mois, mai et juin, en cas de réélection, pour finaliser son action. La notion d’autonomie stratégique de l’Europe permettra-t-elle de nouvelles avancées, par exemple dans le domaine de la défense ? Comme consolation au camouflet australien, Emmanuel Macron semble avoir obtenu du président américain « l’autorisation » d’avancer dans cette voie.
Le mauvais état de nos finances publiques et notre endettement public, que le Covid avait fait oublier, affaiblit notre position de négociation. Les chiffres indiquent que la France se situe maintenant dans les « pays du Sud », laxistes, en opposition avec les « pays du Nord », vertueux. Le nouveau gouvernement allemand sera aussi orthodoxe que l’actuel et redoutera tout autant que l’Allemagne ait un jour à payer pour la France. Or, durant ce semestre, il faudra renégocier les règles financières (déficit des budgets publics, endettement) qui avaient été suspendues le temps de la crise Covid. Le Président va plaider en faveur de normes moins exigeantes et plus souples, tandis que l’Allemagne annonce qu’elle s’en tiendra à des simplifications. La France ne tiendra sa place en Europe que si elle maîtrise ses déficits, ce que nos dirigeants ne veulent pas comprendre. Emmanuel Macron ne nous a pas fait avancer sur cette voie.
Et Après ?
Dans la nouvelle mandature, le président français se situera dans un monde plus dangereux qu’il y a cinq ans.
Cinq états du Moyen Orient sont en voie de décomposition, plus ou moins avancée : Liban, Syrie, Yémen, Libye, Irak. Ils engendrent de graves risques : déplacements de population, famine, conflits internes sanglants, nouvelle poussée de djihadisme, dont les effets se feront sentir en Europe.
Des guerres, non nucléaires, sont possibles en Europe, Ukraine, Bosnie et l’Union Européenne n’y est nullement préparée.
En Afrique, au sud du Sahara, les conflits interethniques pourraient proliférer (Ethiopie) et les coups d’état militaires se multiplier au profit des mouvements djihadistes.
En Asie, la mer de Chine et surtout Taiwan peuvent être à l’origine de graves conflits. Pour l’instant, heureusement, l’Américain et le Chinois se parlent.
La guerre pourrait prendre de nouvelles formes, cybernétique, spatiale. On voit que le parapluie nucléaire nous protège de moins en moins.
Et notre planète continuera de se rapprocher d’une augmentation de température de 2,7 degrés pour la fin du siècle.
Il faudra beaucoup de discernement au Président durant les cinq prochaines années.
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