Fascination française

Emmanuel Macron aux sujets de Sa Majesté : « Pour vous, c’est votre Reine. Pour nous, c’est la Reine »

La Reine n’est plus, la France est en deuil.

La palme revient aux médias. Des dizaines d’heures sur les chaines de TV et de radio, à la recherche du moindre détail sur Elisabeth et les Windsor. Gorbatchev, un acteur qui a changé le monde, a eu droit au centième du temps d’antenne consacré à la spectatrice discrète, mais royale, du déclin de ce qui fut un des grands empires du Monde. La performance médiatique est plus spectaculaire que les manifestations endeuillées de notre président de la République et de notre classe politique.

Ces hommages répétés sont appréciés du plus grand nombre des Français. Le spectacle suranné séduit : cadre, costumes, rite millénaire. L’intérêt pour les people couronnés est permanent. La sympathie et l’estime à l’égard d’une très vielle dame qui a traversé le siècle, a fait preuve de courage pendant la guerre et su tenir son rang sont réels. Nul doute que des Français ont dû s’abonner à Netflix pour regarder la série fort bien faite, parfois méchante, The Crown. Les Français ont été distraits quelques jours d’une actualité sinistre : guerre en Ukraine, inflation, crise écologique. On les comprend.

Le spectacle ne suffit pas à expliquer la fascination

Cette fascination a d’autres ressorts. Elle témoigne d’une admiration, teintée d’un peu de jalousie, à l’égard des institutions britanniques. Depuis la reine Victoria, la Couronne et la famille royale incarnent l’unité du peuple britannique, exception faite de l’épisode d’Edouard VIII, et la continuité, dans les succès comme dans les défaites. Elles renforcent le patriotisme et la conviction de la supériorité anglaise dans le monde. La Reine a mieux incarné son pays pendant soixante-dix ans que nos chefs d’Etat républicains durant la même période, alors que nos principes républicains perdaient de leur consistance. Les causes en sont la longévité du règne et des institutions royales, sa personnalité et son positionnement. Elle rassemble et protège, sans être partie prenante dans les conflits partisans et en restant silencieuse.

Cet état d’équilibre n’est pas le fruit du hasard elle résulte d’une suite de « révolutions ». Au moment du bicentenaire de la Révolution française, célébré avec pompe à Paris, Margaret Thatcher avait fait remarquer que là encore le Royaume Uni avait précédé la France avec la Glorious Revolution de 1688, qui retire à la monarchie l’essentiel de ses pouvoirs, notamment celui de lever l’impôt, au profit du Parlement. Elle avait été précédée par la décapitation d’un Roi, Charles Ier en 1649, par une République (Cromwell) dictatoriale de courte durée, il est vrai (là aussi le Royaume Uni avait précédé la France) et l’expropriation des biens du clergé par Henri VIII, accompagnée d’un schisme, un « Brexit religieux ». Viennent ensuite plusieurs réformes réduisant le pouvoir de l’aristocratie et retirant tout droit de véto à la Chambre des Lords après 1945. C’est la seule volonté majoritaire exprimée dans les urnes et la Chambre des communes qui décide et vote les lois.

Les luttes populaires conduites pendant des siècles ont accouché chez notre voisin d’une démocratie plus complète que la nôtre. Pas de Sénat pour ralentir, voire bloquer la loi adoptée par l’Assemblée nationale. Pas de confusion entre la fonction d’incarnation et de représentation du pays dans la durée avec celle de gouverner. Nos « monarques républicains » sont nécessairement beaucoup plus bavards et interventionnistes que les monarques anglais, puisqu’ils gouvernent. Ils sont aussi beaucoup moins populaires. Cette popularité, ils l’acquièrent parfois avec le temps lorsque leur gouvernance s’oublie au profit de l’incarnation et de la représentation de leur pays. C’est le cas du général de Gaulle, au comportement majestueux et royal, et dans une moindre mesure de François Mitterrand, au masque marmoréen. Sont reconnus, plus que leurs politiques, leur personnalité et leur image qui se confondent avec la France d’une époque.  Ce n’est évidemment pas le cas d’un Emmanuel Macron, en activité, qui est au cœur de la vie politique et non pas au-dessus, même s’il a réfléchi et écrit, sur la culture monarchique des Français et la légitimité d’un pouvoir « jupitérien »

Politique-Fiction

Rêvons un instant. Pour faire avancer la démocratie, rassembler un peuple français divisé et fragmenté et mieux prendre en charge le temps long, esquissons ce que pourrait être une monarchie à la française.

Inutile de chercher l’éventuel monarque au sein des familles qui ont donné des rois ou des empereurs. Elles n’ont plus de légitimité et aucune personnalité n’émerge.
Le monarque ne peut être issu que du suffrage universel après des primaires. Chaque candidature serait proposée par plusieurs centaines de milliers d’électeurs. Ne pourraient se présenter que des hommes ou des femmes ayant au moins quarante ans. Ils ne gouverneront pas et un de leurs rôles sera de conseiller, de suggérer, de mettre en garde dans la discrétion, ce qui implique un minimum d’expérience et de maturité. La connaissance parfaite de l’anglais, résultant de diplômes et de la pratique (long séjour à l’étranger) sera exigée. Le monarque aura un rôle important de représentation à l’étranger. Aujourd’hui, malheureusement, la France doit se « vendre » en Anglais, c’est la seule façon de faire passer le message de la France. Pour l’instant, Emmanuel Macron est le seul président vraiment anglophone (à la rigueur, on peut ajouter Valéry Giscard d’Estaing). Sans être une condition stricte, l’usage d’autres langues est souhaitable. Rappelons-nous le général de Gaulle parlant en allemand aux Allemands. L’élu devra obtenir la majorité absolue des inscrits. Si cette majorité n'est pas atteinte, le projet est abandonné.  

La durée du mandat sera de trente ans. De même que le monarque ne peut être un jeune homme impétueux, il ne saurait être un vieillard cacochyme. Le cas d’Elisabeth, décédée brutalement à 96 ans, sans incapacité ni gâtisme préalable, est exceptionnel. Le vieillissement est physique, il abîme une image, qui pour un monarque a une grande importance, il peut aussi être mental ou moral. A l’issue de son mandat royal, le monarque propose un successeur, choisi librement, aux suffrages des Français. Si cette candidature est rejetée, il est procédé à une élection dans les mêmes conditions que trente ans plus tôt.

Une Déclaration des Droits et Devoirs est jointe au bulletin de vote. Courte, elle précise notamment les pouvoirs du monarque. L’expérience des monarchies où le souverain règne mais ne gouverne pas et des républiques où les présidents ont peu de pouvoir (Italie, Allemagne) pourra servir de référence. Elle explicite les relations entre le monarque et le Premier ministre et les conditions dans lesquelles il peut s’adresser à la Nation. Les conflits éventuels sont tranchés par le Conseil constitutionnel selon des règles à déterminer.

Le plus difficile à définir a priori, ce sont les rites, qui tiennent une grande place dans une monarchie. Il ne s’agit pas de pasticher une monarchie millénaire mais d’inventer, en tenant compte de nos traditions, de notre sensibilité, de notre histoire et en tentant de restaurer un certain sens du sacré. Certaines pratiques sont à exclure à priori, comme une famille royale pléthorique, une cour dispendieuse, des scandales permanents et des références explicitement religieuses, puisque la France est un état laïque. Utilisons un mot démodé, celui de vertu : le monarque et ses proches immédiats devront être vertueux, compte tenu des normes de l’époque. Les pratiques choisies devront rassembler le plus grand nombre des Français et résister aux lazzis du Canard enchaîné  

En revanche, il faut que la monarchie soit visible. Elle dispose de châteaux historiques comme Versailles ou Rambouillet. Elle peut susciter des fêtes. Ses ressources financières sont stables et ne dépendent pas du vote annuel du Parlement. Un monarque coutera probablement un peu plus cher qu’un président, même si personnellement son mode de vie est sobre. Sa visibilité sera assurée par son rôle éminent dans des manifestations publiques, la vie des Arts et des Lettres, dans les fêtes Nationales et lors de ses voyages à l’étranger. Garant du temps long, le monarque dispose de temps, laissant au Premier ministre plus de disponibilité pour gouverner.

Ce qui devrait être le plus important, son rôle de conseil et de mise en garde, en particulier dans le domaine international où son expérience acquise avec le temps peut être très utile, ne sera pas visible, ses interventions n’ayant pas un caractère public.

Une telle mutation peut échouer : inaptitude du monarque, conflits avec le gouvernement ou le Parlement, indifférence ou rejet par l’opinion. Il n’existe aucun mécanisme garantissant le succès.

De toute manière, ce scénario restera de la fiction
Les « vrais royalistes » diront qu’il s’agit d’un ersatz : une monarchie est héréditaire et à sa tête un prince, ou elle n’est pas. Le risque que le monarque soit inapte physiquement, intellectuellement ou moralement ne les préoccupe pas, surtout s’ils introduisent une dimension religieuse.
Les citoyens qui sont plus républicains que démocrates seront révulsés et en appelleront aux grands ancêtres. Beaucoup de Français seront franchement sceptiques. Un monarque relève d’un passé qui ne reviendra pas et le Premier dans l’Etat doit gouverner. Il nous faut un chef musclé.
Quant aux jeunes, les références à l’âge, à l’expérience et au temps long feront ricaner le plus grand nombre. Au Royaume Uni, une très forte minorité de la jeunesse ne se retrouve nullement dans les institutions monarchiques.

Ce qui est en revanche garanti, c’est que la confusion française, sous la Ve République, dans une même personne, entre gouverner et incarner continuera de nuire à l’unité et au rassemblement de la Nation.

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