Une petite notation de Jacques Lanxade sur certains de ses amis tunisiens m’inspire une interrogation. À la fin du petit déjeuner du Club des vigilants au cours duquel il s’exprimait mercredi 13 février l’ancien ambassadeur de France à Tunis (1995-1999), auteur d’un livre sur ce pays, a dit avoir constaté que certains de ses amis tunisiens démocrates et ouverts sur le monde moderne étaient néanmoins devenus des musulmans plus pratiquants observant plus les préceptes religieux qu’il y a quelques années.
On entend évoquer des évolutions similaires de certaines familles juives ; moins chez des catholiques me semble-t-il. Pourquoi rapporter cela ?
On peut se demander si, l’analyse de l’islamisme s’intéresse suffisamment aux « besoins de religion » qui s’expriment dans le monde moderne. Nous analysons souvent l’islamisme comme une manifestation d’inadaptation du monde arabe à la civilisation technicienne occidentale et à la mondialisation ; nous en disséquons les racines historiques. Si nous le prenions au pied de la lettre comme l’expression d’un « besoin de religion ». Cela ne nous aiderait sans doute pas à comprendre le cheminement des extrémistes, fanatiques et autres terroristes. Mais cela nous aiderait peut-être à mieux cerner les motivations des sympathisants tièdes ou moins tièdes qui font la masse des électeurs de ces islamistes supposés modérés qui ont tant de mal à gouverner et de ceux qui, sans forcément aider directement des terroristes, sont suffisamment compréhensifs à leur égard pour que les extrémistes soient comme des « poissons dans l’eau ».
Commentaires
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Se relier à quelque chose de plus grand que soi... Peut-être.
Se relier les uns aux autres à travers une culture commune, une compréhension et une affinité nourries par une tradition. Certainement...
Il me semble restrictif d'envisager le sujet par le vocable "religion". Je serais tentée d'y substituer le terme de "spiritualité" et même - j'ose - laïque : spiritualité laïque.
Dépassionner les débats pour mettre en avant nos convergences plutôt que de s'attarder sur nos divergences.
Fondamentalement la plupart des 7 milliards d'habitants sur la terre, qui constituent l'humanité d'aujourd'hui, ont des aspirations proches : vivre paisiblement, satisfaire ses besoins les plus impérieux, habiter dans un environnement stable et approprié à son mode de vie. La spiritualité peut être cette passerelle entre l'épanouissement de l'individu et la stabilité de la société dans laquelle il vit.
Au-delà des confessions, des cultures, imaginons un chemin qui nous rapproche, la fraternité à l'échelle de l'humanité. Demain peut-être...
Combien sommes-nous à travers le monde à y oeuvrer dès aujourd'hui ?
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C'est aussi le cas dans de nombreux quartiers de nos villes françaises où l'on voit des familles parfaitement intégrées, et ce depuis plusieurs générations, revenir de manière surprenante à des attitudes religieuses oubliées. Pourquoi ? Pour certains, un voyage à la Mecques en est la raison, pour d'autres la construction récente d'une mosquée qui les obligent disent-ils à plus de respect, pour d'autres enfin il s'agit simplement de se mettre au diapason de leur communauté (avec un effet boule de neige évident).
Pou finir, les jeunes qui se sentent oubliés par une société qu'ils considèrent comme faible et permissives, utilisent ce levier pour signifier leur présence.
Ce n'est en effet pas en baissant sans arrêt le niveau scolaire qu'on favorise l'intégration !
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Je pense également que ce que tu appelles le "besoin de religion" est effectivement un marqueur d'identité du monde arabe, face à la civilisation occidentale.
Cette civilisation, la nôtre, est en crise, non seulement dans son économie, mais aussi et surtout dans des valeurs.
Face à ce "déclin" de l'Occident - c'est en tout cas comme cela que cette crise est vécue par bien des occidentaux eux-mêmes et, n'en doutons pas, par les non-occidentaux - les autres civilisations se sentent plus fortes, notamment l'islam.
Les musulmans, qu'ils soient tièdes, moins tièdes, et, naturellement, extrémistes se réfèrent à d'autres valeurs, celle de leur religion.
C'est André Malraux qui avait dit "Le 21ème siècle sera spirituel ou ne sera pas". Samuel Huntington, dans son fameux "Le choc des civilisations" ne dit pas autre chose...
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La lecture du billet de Jean-Claude Hazera m’a conduit à fouiller dans ma bibliothèque pour y rechercher un ancien ouvrage dont il m’est revenu le souvenir.
Intitulé « Pourquoi Dieu ne disparaîtra pas «, il a été écrit en 2003 par deux chercheurs de l’Université de Pennsylvanie, Andrew Newberg et Eugène d’Aquili, qui ont uni les disciplines de la psychiatrie clinique et de la radiologie nucléaire pour étudier les comportements religieux.
Ils ont tenté de répondre avec une approche scientifique aux deux questions suivantes :
« Pourquoi les êtres humains ont-ils besoin de se relier à quelque chose de plus grand qu’eux ? «
« Pourquoi, malgré les progrès de la connaissance scientifique et du confort matériel, l’idée de Dieu est-elle toujours présente ? »
En fondant leurs conclusions des études approfondies du fonctionnement cérébral, incluant des recherches sur le cerveau de méditants bouddhistes et de nones franciscaines en prière, ils ont découvert que l’existence d’états de contemplation spirituelle reposent sur un changement de l’activité (détectable) du cerveau qui abolit la sensation naturelle et normale chez l'individu de séparation entre soi et le reste du monde.
Cette sensation de différence, par exemple, disparaît par moment lors de certains troubles psychiatriques du genre des schizophrénies...
Ils n’ont pas conclu que ces états étaient pathologiques mais plutôt la manifestation d’une sorte de « besoin » du cerveau humain évolué et complexe. Ce besoin naît de l’apparition d’une tension intérieure, d’une inquiétude liée à l’existence de certaines questions fondamentales et existentielles non solubles par la connaissance ni par la logique naturelle. Par exemple, la « création » du Monde, le concept du « Mal », la nécessité biologique de la « Mort », etc.
Le cerveau humain tend à résoudre en apparence cette inquiétude par la définition de paires de « concepts opposés » (ex. Yin, Yang pour les chinois...), tels que monstres et héros, dieux et humains, vie et mort, etc.
La résolution de ces tensions et la coexistence de ces opposés se fait au travers du « processus du mythe » qui crée un pont, qui « relie » ces opposés inconciliables.
L’idée de Dieu est, selon ces chercheurs, le mythe le plus générique pour faire le lien entre ces contraires et pour résoudre ces tensions intérieures, ces inquiétudes existentielles.
Cela rejoint le fait que nous avons tous, humains, deux voies d’accès à une « connaissance et une explication » du monde : la voie de la raison, du raisonnement, du logique, de l’analyse, du détail, de l’objectif dont on sait aujourd’hui que le siège de l’activité se situe préférentiellement dans le cerveau gauche et aussi la voie de l’émotion, de l’imagination, du subjectif, de la conscience du « je » et de la globalité du « reste » dont on localise l’activité dans le cerveau droit.
En partant de tels travaux, on pourrait se demander si, plus particulièrement, certaines populations (pour des raisons diverses dont des raisons historiques) n’auraient pas été conduites à développer plus telle ou telle partie de leur cerveau en privilégiant plus une voie ou une autre ...
Cela pourrait être intéressant de vérifier une telle hypothèse et, aussi, de constater de « Foi religieuse » et « Savoir logique » peuvent aussi coexister harmonieusement chez certaines personnes ?
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Nous sommes tous d'accord pour constater le développement important de certaines religions et plus particulièrement de l'islam.
Son influence dans le monde est importante et de plus elle semble recevoir un écho plus fort dans certaines régions et sociétés.
La question que je me pose, en s'appuyant sur la thèse des deux américains, est la suivante :
" Quels sont les paramètres communs (ou voisins) à tous les groupes humains qui sont sensibles aux messages qualifiés de "religieux" ou à l'utilisation "mythique" de certaines religions, plus particulièrement au plan mondial de l'Islam ? "
En répondant à cette question, j'entrevoie que nous aurions peut-être une esquisse d'explication ...
Je tente une première réponse qui vient facilement.
Les groupes sensibles au messages mythiques s'appuyant sur l'Islam ont tous à résoudre une tension, un questionnement entre des faits observables très contradictoires tels que :
Moi je vis dans une région difficile et peu propice à un développement économique alors que d'autres vivent dans des régions tempérées, où les ressources de vie sont depuis toujours plus faciles à trouver et à exploiter.
Pourquoi cette différence de situation à priori dont je ne suis pas coupable ?
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besoin de religion, ou besoin des valeurs prônées par les religions ?
notre civilisation matérielle et irriguée par la quête du profit laisse bien insatisfaits, voir inquiets ceux qui ont reçu une éducation fondée sur les valeurs de la religion de leur milieu.
ces valeurs sont malmenées, ridiculisées parfois par la tourmente des motivations actuelles.
je ne suis pas étonné que dans toutes les communautés, des personnes reviennent aux valeurs anciennes.
Le monde catholique a perdu beaucoup de pratiquants depuis un siècle, mais il a gagné en adeptes de qualité.
Le coran et l'islam comportent beaucoup d'aspects qui choquent certains occidentaux (la charia, le traitement des femmes, etc) mais ils comportent aussi beaucoup de valeurs humanistes et sociales.
Un inventaire lucide des valeurs de l'islam, à l'attention des non musulmans, serait un ouvrage bien utile aujourd'hui. Pour moi ce sont ces valeurs de l'islam qui expliquent probablement le retour d'une intelligentia musulmane à la pratique de leur religion, et certainement pas les excès des islamistes.
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