Emigration, intégrisme islamique, rapports avec le reste de l’Afrique, relations économiques et commerciales. Sur tous ces plans le royaume marocain propose une sorte de «modèle» qu’il estime être la bonne solution pour lui mais qu’il présente aussi, plus ou moins explicitement, comme une solution pour l’Europe et notamment pour la France dans ses relations avec les pays voisins du sud. Telle est, en substance, la perspective qu’a tracée le 4 juillet l'Ambassadeur du Maroc en France, invité du Club des Vigilants. La biographie de Chakib Benmoussa, formé à l’école Polytechnique et à l’école des Ponts et Chaussées, illustre l’intensité des liens entre les deux pays, et notamment au niveau de leurs élites.
Ce que le Maroc offre à l’Europe est relativement clair, même si tout n’est pas explicite. Ce vieux royaume est, jusqu’à preuve du contraire, un pays stable qui a résisté à la secousse des printemps islamiques, moyennant un savant mélange d’ouverture politique et de fermeté policière (Chakib Benmoussa a été Ministre de l’intérieur de 2006 à 2010). Rien à voir avec le « chaos libyen» évoqué plusieurs fois par l'Ambassadeur ou avec les inquiétudes qu’on peut avoir sur l’Algérie d'après Bouteflika, menacée par la baisse du prix des hydrocarbures.
Certes le PJD, à la tête du gouvernement, est un parti « à référentiel islamique », sans pour autant que cette référence n’apparaisse dans ses statuts, fait valoir l'Ambassadeur. Il n’a pas la majorité seul, mais dans le cadre d’une coalition et il ne prend pas de positions radicales. Le pourrait-il ? En réponse à une question, l’orateur rappelle qu’au Maroc tout prosélytisme religieux est interdit, même en faveur de branches de l’islam différentes de l’islam sunnite malékite traditionnel dans le pays. À l’extérieur, en Afrique ou en Europe, la « dimension spirituelle » de l’influence marocaine n’est pas absente, mais elle reste discrète (30 imams pour 1,5 million de Marocains en France).
L’autre « menace » qui inquiète l’Europe, chaque fois qu’il est question d’Afrique, est évidemment la pression migratoire. Au Maroc, 13 000 hommes sont consacrés à la « protection du littoral contre les réseaux ». Le Maroc contient les migrations vers l’Europe de sa propre population, mais aussi celle des africains qui tentent de passer vers l’Europe. Il a même régularisé une partie des familles « piégées au Maroc » en 2015 et 2016 (25 000 puis 20 000 personnes). Pour que cette politique soit bien acceptée par les Marocains il faut quand même qu’elle leur laisse des possibilités de visas et de circulation vers l’Europe, précise l'Ambassadeur en aparté.
Sur la plan économique le Maroc se voit en pays « de transition » entre l’Europe et le reste de l’Afrique. Pays moins développé que l’Europe, mais plus que l’Afrique subsaharienne, pays relais aussi entre l’Europe et le reste de l’Afrique. L’économie, très dépendante de l’agriculture, du tourisme et des phosphates, la grande ressource minière se diversifie à bonne allure. Après l’usine de montage Renault de Tanger, Peugeot arrive et le Maroc « attend » une troisième implantation. L’espoir est de passer de 400 000 à 1 million de véhicules/an. L’Ambassadeur souligne le développement d’un écosystème de sous-traitants autour de ces grandes usines automobiles.
Mais le Maroc ce sont aussi trois grandes banques, des assureurs, des sociétés de télécoms qui se développent aussi dans le reste de l’Afrique. L’actuel souverain, Mohammed VI, soutient depuis son accession au trône (1999) une politique de présence très active en Afrique subsaharienne. Il y a fait lui même plus de 50 visites qui sont souvent de longs séjours, au cours desquels il s’intéresse de près à des projets économiques. Au delà de l’économie il s’agit de raviver des liens très anciens, remontant à l’époque où le Maroc était un empire s’étendant jusqu’aux fleuves Sénégal et Niger, précise l'Ambassadeur.
Résultat : le Maroc est le premier investisseur africain en Afrique de l’Ouest et le deuxième investisseur africain dans l’ensemble de l’Afrique (après l’Afrique du Sud).
Un projet particulièrement spectaculaire est à l’étude : un gazoduc remontant du Nigeria vers le Maroc et ultérieurement peut-être vers l’Europe. Le Maroc est très dépendant sur le plan énergétique et aura besoin du gaz en complément du développement des énergies renouvelables.
Le Maroc « a ses racines en Afrique et respire par son feuillage qui est en Europe », disait le roi Hassan II, prédécesseur de l’actuel souverain, rapporte l'Ambassadeur. Illustrant les désirs d’ouverture et de progrès de la société marocaine cette formule englobe aussi la relation commerciale avec l’Europe qui est fondamentale pour le Maroc (50 à 60% de son commerce extérieur).
Un accord de libre-échange approfondi était envisagé. Il aurait ouvert le marché des services et supprimé des barrières normatives (un peu sur le même principe que l’accord avec le Canada et le projet tant controversé d’accord avec les Etats-Unis). Avec le Maroc la négociation achoppe sur un sujet qui n’a rien à voir avec les normes sanitaires ou la réglementation bancaire : c’est le Sahara.
La Cour de Justice européenne a en effet considéré que le Sahara occidental, considéré par le Maroc comme une de ses régions, est exclu de l’accord agricole avec l’Europe. Le conflit autour du Sahara occidental empoisonne la diplomatie marocaine, ses relations avec l’Algérie voisine et avec le reste de l’Afrique (le Maroc est resté plusieurs années en dehors de l’Union Africaine) depuis que l’Espagne a renoncé à ce territoire, en 1976. Un mouvement indépendantiste sahraoui revendique en effet l’indépendance.
L’autre problème régional qui montre depuis plusieurs mois les limites du modèle marocain est celui du Rif. Ce nord du Maroc, en ébullition depuis la mort d’un « contrebandier de poissons » broyé par la benne à ordure dans laquelle il cherchait à récupérer sa marchandise, a toujours été une région difficile, même pour les colonisateurs, rappelle l'Ambassadeur. Il explique le fort contraste entre les grandes villes côtières où se concentre le développement et le Rif central où les «activités informelles » (contrebande, drogue) tiennent une place importante. Le pouvoir cherche manifestement le bon dosage entre ouverture et fermeté pour mettre fin à l’incendie. Plusieurs personnes interpellées on été graciées (postérieurement à l’intervention de l’Ambassadeur).
Le problème du Rif illustre aussi sans doute une des limites du modèle marocain. Le Maroc reste un pays très inégalitaire qui a encore besoin de faire de sérieux progrès « d’inclusivité ». La classe moyenne se développe, mais pas assez vite. Cette persistance de fortes inégalités est sans doute un des plus sérieux points faibles du modèle marocain. Chakib Benmoussa, qui fut aussi Président du Conseil Economique et Social, y a d’ailleurs fait plusieurs fois allusion, comme un problème sérieux.
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