Voilà qui peut paraître provocateur. Et pourtant ? Certes il y eut, par le passé, des périodes de forte émigration : après la révocation de l’Édit de Nantes à la fin du XVIIème siècle, pendant la Révolution de 1789, à la fin du XIXème siècle face à l’appel des « nouveaux » mondes (Argentine, États-Unis, Canada) …
Mais dans la période moderne, la France est un pays d’immigration. Au point d’inquiéter nos contemporains et d’en faire un thème favori de nos politiques.
Or de plus en plus de jeunes diplômés envisagent désormais leur avenir professionnel à l’étranger. Pas seulement pour y acquérir une première expérience professionnelle avant de revenir au pays pour y exercer leurs talents. Mais pour s’y installer sans projet de retour.
Difficile d’avoir des chiffres, peu de statistiques sont disponibles (ce qui confirme que ce n’est pas un objet d’étude !).
Car, officiellement, on ne quitte pas « le plus beau pays du monde ». Pourtant, selon le 2ème « baromètre Deloitte/Ifop de l’humeur des jeunes diplômés », 27% des jeunes diplômés envisagent de se tourner vers l’étranger pour leur avenir professionnel. Ils n’étaient que 13% un an plus tôt.
Ce qui se joue c’est que notre pays devient de moins en moins attractif. Et ce dans l’indifférence générale. Ou plutôt dans un débat largement faussé.
En effet, les projecteurs médiatiques sont braqués sur les cas spectaculaires (G. Depardieu, B. Arnaud, nos tennismen, etc.). Que ces hommes très nantis cherchent à protéger leur fortune en se réfugiant dans des paradis fiscaux n’est certes pas très glorieux, mais ce n’est pas mortifère.
Mais que nos étudiants (et, parmi eux, n’en doutons pas, beaucoup de nos futurs créateurs d’entreprise, peut-être nos futurs prix Nobel) ne voient plus leur avenir en France doit nous alerter.
Perdre ces chercheurs, ces entrepreneurs, c’est encourir une triple peine : 1) le pays a payé pour les former (et, vu leurs qualifications, il a payé très cher) 2) ils vont créer de la richesse ailleurs (alors que nous en avons tellement besoin ici), concurrencer nos propres entreprises 3) ils vont servir d’aimant pour les futures générations, éblouies par leur succès, ignorantes de leurs difficultés et échecs, et entretenir, voir accélérer, le mouvement.
Alors, quoi faire ?
Déjà en prendre conscience et mesurer le phénomène afin de l’objectiver. Car comment réagir si on n’en connaît pas l’ampleur ?
Ensuite, après avoir largement mobilisé les acteurs économiques et politiques, s’attaquer aux racines du mal. On ne peut se contenter d’explications partielles (la fiscalité « confiscatoire », l’administration « trop lourde », l’économie « en crise », etc.). Chacune fait probablement partie du problème, mais le mal est complexe et sa résorption nécessite des solutions globales.
Voulons-nous devenir un simple (et inépuisable) réservoir à talents ?
Commentaires
Permalien
Tout à fait d'accord avec Philippe : la France est (encore) un pays de rentiers. Mais comment faire cesser cela dès lors que ce sont justement ces "rentiers" qui font les lois ?
Faudra-t-il une nouvelle "nuit du 4 août" ? Ne rêvons pas (si tant est que la révolution puisse faire rêver !)
Je sais qu'on a tendance à magnifier la méthode "anglo-saxonne" mais sommes-nous si sûr qu'il n'y a pas de rentiers chez eux ? La gentry anglaise n'est-elle pas le modèle absolu de la rente ?
Notre ascenseur social est en panne. C'est à sa réparation qu'il faut s'attaquer sans délai. C'est moins facile qu'en période de croissance, mais pas impossible.
Permalien
très bon indicateur identifié par Bernard Bougel. les jeunes !
quelle st donc la racine du mal ?
la France est un pays où les rentes de situation sont toujours possibles. Ceux qui ont fait l'effort de réussir un concours s'installent dans un statut qui leur donne une rente de situation.
Dans les pays anglo saxons, le diplôme est un passeport pour travailler plus et réussir mieux. En France, c'est encore un passeport pour ne plus avoir d'efforts à faire.
Des réformes ? Faire en sorte qu'aucun statut n'assure de rente de situation. Les grands corps, les fonctionnaires, les dirigeants qui se cooptent, les héritiers qui reçoivent la part réservataire des successions...
Le système français décourage les talents et les entrepreneurs, il protège les rentes imméritées.
Les jeunes voient clair !
Permalien
Je répondrai simplement aux deux questions de Henri-Paul:
* un emploi donc de l'argent
* un avenir
* et la possibilité de faire sauter nos verrous sociétaux
Permalien
Je reformulerai ainsi les réponses de Jean-Luc :
- La fierté d'appartenance : nous ne sommes plus assez fiers d'être français. Peut-être faut-il partir à l'étranger pour retrouver cette fierté !
- Un avenir, en effet, qu'on puisse relier à un projet pour la France. Aujourd'hui, au delà de la réduction de nos déficits publics, qui peut comprendre où est le projet ?
Permalien
Je suggérerais que nous nous posions les deux questions complémentaires suivantes, pour tenter de nous construire une opinion et, pourquoi pas, des remèdes ?
1/ Que manque -t-il de si important à ces nouveaux émigrants en France, dans leur pays d’origine ?
2/ Que pensent-il trouver de plus important, ailleurs à l’étranger, dans leur terre d’immigration ?
Soit on a affaire dans chacun des cas d’émigration à des situations personnelles très particulières, pouvant expliquer leur choix (jadis, la grande pauvreté, le droit prioritaire d’aînesse pour l’héritage, par exemple),
Soit on peut identifier des sortes de « lois » un peu générales pour expliquer cela et alors l’action collective et politique reprendrait tout son sens…
Ajouter un commentaire