J’ai lu dans l’Agefi un excellent article d’Éric Buffandeau, mettant en garde contre le processus de monétisation massive entrepris par la Banque Centrale Européenne dans l’objectif , tout à fait légitime à ses yeux, d’éloigner le spectre de la déflation.
Il analyse les conséquences possibles de cette « drone money » (avatar de l’helicopter money de Milton Friedman).
A court terme, cette pluie sera bienfaisante : recul de l’euro, augmentation des exportations (notamment allemandes), reprise des investissements et hausse du pouvoir d’achat à travers un retour probable à l’accommodement budgétaire.
Il esquisse aussi les conséquences à moyen terme de cette opération, au cas où elle se prolongerait excessivement ou échapperait au contrôle de la BCE.
Si le bilan de la BCE s’enflait continûment d’une dette dont la qualité irait se dégradant (du fait du desserrement de la contrainte budgétaire), la confiance des investisseurs serait tôt ou tard entamée et l’euro finirait par leur brûler les doigts. Cette fuite devant la monnaie pourrait provoquer un violent krach obligataire et déclencher une forte inflation qui se nourrirait d’elle-même (l’auteur parle même d’hyper inflation, ce qui me parait exagéré). 1l note que le dollar, étant encore une monnaie de réserve universellement acceptée, n’encourt pas ce risque.
Finalement, indique Eric Buffandeau, la monétisation de la dette publique risque de faire naître des bulles d’actifs alimentant la spéculation. Autrefois (cela paraît un siècle alors qu’il ne s’agit pas même d’un lustre...), les banques centrales tentaient de gérer un dilemme « chômage-inflation », un peu plus d’inflation permettant d’acheter un peu plus d’emplois. Maintenant, elles seraient amenées à arbitrer entre le risque d’alimenter la spéculation et le risque de déflation. Après la courbe de Philips, la courbe de Greenspan ou de Draghi ?
Au-delà de la mise en garde d’un économiste talentueux, interrogeons-nous sur ce que ce laxisme monétaire imité de la Fed dit de notre économie et de notre société.
La déflation fait horreur car elle signale qu’une économie est entrée dans une spirale de décroissance cassant tous les ressorts économiques, psychologiques, financiers connus. C’est un mal absolu à combattre par tous les moyens, même potentiellement dangereux.
Est-ce à dire que le capitalisme anglo-saxon qui s’est imposé au monde après la chute de l’URSS ne peut s’alimenter que d’une croissance permanente, qui s’inscrive dans les bilans, les comptes de résultat et les rémunérations variables, fût-elle entretenue par les paradis artificiels de l’endettement et de la liquidité ?
Si c’est le cas, il n’est pas aussi robuste qu’on l’enseigne dans les business schools. Les trente glorieuses sont une courte parenthèse dans notre histoire. Nos parents, nos ancêtres imaginaient-ils qu’il n’y ait de croissance que marchande ? La valeur monétaire de Shakespeare, Dante, Mozart ou Debussy était certes dérisoire par rapport à celle d’Air B and B ou Huber aujourd’hui. Mais desquels pouvons- nous vraiment nous passer ?
Je laisse cette question à notre groupe de travail sur la croissance zéro car la réponse n’est pas aussi évidente qu’il ne parait.
Ajouter un commentaire