Alain Chouet a passé 30 ans à la DGSE où il fut le chef du Service de renseignement de sécurité. Expert reconnu des questions de sécurité et de terrorisme dans le monde arabe et islamique, il est l’auteur de plusieurs livres dont « Sept pas vers l’enfer », qui vient de paraître, et « Au cœur des services spéciaux » publié en 2011. La publication de son dernier livre n’a pas été facile : il lui a fallu batailler pied à pied avec les avocats de son éditeur, puis les relecteurs, pour ne pas édulcorer le texte, ce qui témoigne de la difficulté à aller à contre-courant de la pensée pré formatée dominante. L’intelligentsia française, selon lui, témoigne de la sympathie aux entreprises de l’islam politique et militaire depuis une trentaine d’années.
En France selon lui 1514 quartiers, regroupant 4 millions de personnes, échappent à la loi de la République. Dire cela ne le transforme pas en un populiste de droite.
D’une part, il considère que les migrations font partie de l’histoire humaine et constituent un phénomène naturel. D’autre part, il a la conviction que la culture musulmane et l’islam sont tout à fait compatibles avec la démocratie et avec « l’esprit des Lumières ». Après l’affranchissement de la tutelle coloniale, tous les pays musulmans (exceptée l’Arabie saoudite) se sont dotés d’instances démocratiques ou « proto-démocratiques » non islamisées. Elles ont ensuite le plus souvent fait place pendant la guerre froide à des dictatures militaires qui n’étaient pas plus islamisées.
Pour lui, la première « alerte » quant à la diffusion du salafisme est intervenue au Bahreïn en 1971, lorsque la Grande Bretagne a levé sa tutelle sur l’émirat. La tentative de mettre en place des institutions démocratique a été brisée par l’Arabie Saoudite, intervenue pour que la minorité sunnite tienne en laisse la majorité chiite (70 %). Elle est également intervenue militairement en 2011 pour y tuer dans l’œuf la « révolution de la perle » (dans un relatif silence médiatique en France).
L’Arabie saoudite répand partout où elle le peut l’interprétation salafiste du coran. Celle-ci n’a eu cours que pendant les premières 50 années de l’hégire et... depuis ces cinquante dernières années. En 1970, la lecture salafiste de l’islam était dominantes dans 2 % du monde musulman. Aujourd’hui dans environ 30 %.
Si l’immigration est inscrite dans l’Histoire du monde, se pose cependant le problème de son rythme et de sa soutenabilité dans le pays hôte. L’immigration maghrébine s’est tournée presque exclusivement vers la Belgique et la France où elle a posé des difficultés d’intégration (dans le même temps, les descendants des 170 000 boat peoples vietnamiens arrivés en France en 1970 se sont parfaitement intégrés). Ceci ne doit pas dissimuler que la majorité des immigrés maghrébins est parfaitement à l’aise dans le tissu social, culturel et intellectuel français. Ils ne doivent pas être pris en otage par cette situation.
Alain Chouet précise ses positions au gré du jeu des questions réponses.
Quel est le rôle de la mauvaise connaissance de l’Islam par les élites dans la situation actuelle ?
Un récent intervenant au Club, Ghaleb Bencheikh, pointait la vision biaisée qu’ont les Français du monde musulman et la pauvreté des connaissances de la culture musulmane « éclairées » dans notre pays.
Alain Chouet confirme ce point : les experts français du monde arabe et musulman sont de moins en moins nombreux et ce déficit de connaissance se creuse. Les arabisants se raréfient au ministère des Affaires étrangères alors que la France était réputée pour le nombre et la qualité de ses islamologues.
Qu’est-ce qui a rendu possible cette diffusion de la vision salafiste ?
Historiquement, le salafisme renaît à la fin des années 70 en réaction à la révolution islamiste d’Iran, qui risquait de délégitimer l’Arabie Saoudite comme gardienne des lieux saints. Les Saoud ont pris peur et ont entrepris de contrôler l’islam mondial. Ils se sont aussi intéressés à l’Europe de peur que le mode de vie occidental ne contamine les immigrés musulmans. Ils en avaient les moyens financiers, mais pas les moyens techniques et humains, qui leur ont été fournis par les Frères musulmans, wahhabites et donc islamistes.
Ils ont été soutenus par les États-Unis qui prétendaient naïvement prendre le contrôle de la situation grâce à la martingale des 3 M : Money (acheter les islamistes), Mobilité (attirer des jeunes musulmans vers les institutions démocratiques occidentales), Market (l’économie de marché conduira inéluctablement à la démocratie). Ils ont totalement échoué. Il est impossible de prendre le contrôle des Frères musulmans. Les Saoudiens eux-mêmes n’y sont pas arrivés. Ainsi, Morsi, qui s’était constitué une clientèle avec l’argent saoudien, a réservé sa première visite officielle comme président de l’Égypte à l’ennemi juré des Saoud : l’Iran.
Comment éradiquer le salafisme. Combien de temps cela prendra-t-il ?
La première étape d’une reprise de contrôle en France est la récupération des territoires de non droit : sécuritaire, éducative, culturelle. Cela implique de remettre sur les rails notre système éducatif. Il faudra sans doute compter deux ou trois générations pour y arriver. Le quadrillage sécuritaire implique naturellement que les forces de l’ordre puissent y pénétrer.
Qu’est-ce qui pousse les Français descendants de musulmans modérés à se radicaliser ?
Nous devons prendre la mesure du soft power d’Etats comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar. Ce dernier a créé trois sites internet diffusant la vision salafiste qui ont délivré 300 000 fatwas depuis 20 ans. Ils ont une connaissance fine des codes et des comportements des jeunes et les manipulent facilement.
Les jeunes souffrant d’isolement dans leur quartier ou leur famille peuvent rechercher une identité sociale sur ces réseaux, un substitut à une figure d’autorité absente. C’est d’ailleurs le cas aussi pour des jeunes non issus de l’immigration.
Le Maroc n’est pas salafiste. Pourtant Hassan II ne souhaitait pas l’intégration des Marocains dans leur pays d’accueil. Le problème ne déborde-t-il pas le salafisme ?
De fait, les dirigeants marocains marchent sur une ligne de crête. D’un côté ils veulent éviter que les jeunes marocains émigrés tombent dans le salafisme et de l’autres ils veulent éviter qu’ils soient attirés par les valeurs occidentales. Ils naviguent donc plus ou moins à vue.
Quelles seraient les deux premières mesures à prendre contre la mainmise salafiste ?
En premier lieu reprendre le contrôle sécuritaire des zones de non droit (délinquance, trafic de drogue, …).
En second lieu redonner à l’école son rôle d’instruction publique en traitant tous les élèves de manière égalitaire, avec les mêmes droits et obligations pour tous. L’éducation a un rôle essentiel qu’elle ne remplit plus.
Le wahhabisme représente-t-il un danger en Russie ? Il est présent de Kaliningrad à Vladivostok et de Mourmansk à Orenbourg.
Staline avait imposé une migration de masse des Tchétchènes vers le Kazakhstan. La moitié d’entre eux sont morts en route. Ils y sont revenus sous Khrouchtchev et se sont soulevés contre la Russie sous Poutine. Les Russes ont écrasé cette révolution, soutenue par l’Arabie Saoudite.
En terminant, Alain Chouet salue les initiatives du Club des Vigilants qui ose poser les vraies questions sans se contenter des réponses stéréotypées qu’on fait souvent par refus de voir la réalité des choses.
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