Difficile d’exclure qu’une crise financière majeure comme celle de 2008 recommence un de ces jours. Difficile d’exclure qu’elle mette les banques en difficulté. Et difficile d’exclure que les contribuables et l’économie en général n’en pâtissent comme la dernière fois. C’est le sentiment général qui ressortait après avoir entendu Christophe Nijdam, Secrétaire Général de Finance Watch, qui s’exprimait le 13 juin 2016 devant le club des Vigilants.
Ancien banquier, ancien analyste financier spécialiste du secteur bancaire, Christophe Nijdam définit Finance Watch, jeune organisation née de la dernière crise, comme une sorte d’ONG de « contre lobbying ». Des parlementaires européens, puis Michel Barnier, à l’époque commissaire européen, avaient souhaité sa création pour contrebalancer un peu le très efficace lobbying des banques auprès de l’Union Européenne, lieu désormais central pour la supervision bancaire. Effet majeur de l’après crise de 2008, puis de la crise grecque, qui avaient vu les Etats membres tenter de résister en ordre dispersé, l’Europe, qui a bien été obligée d’être solidaire dans l’urgence, a pris en main la supervision bancaire.
Paradoxe de la situation actuelle, ce qui inquiète Christophe Nijdam est ce qui a permis de sortir de la crise et qui maintient l’économie européenne sous perfusion depuis : la politique de la Banque Centrale Européenne, qui arrose le marché de liquidités et maintient les taux d’intérêt tellement bas qu’ils deviennent même négatifs. Les taux à court terme sur lesquels la BCE exerce son pouvoir sont très bas. Mais les taux à long terme, qui traduisent plus les anticipations des marchés le sont aussi. Conséquence : « la courbe des taux est plate », comme disent les financiers. Plate à un niveau proche de zéro.
Dans cette situation il est beaucoup plus difficile pour les banques de gagner leur vie, explique Christophe Nijdam. Plusieurs activités sont touchées. Pour en rester au plus simple exemple, le vieux métier consistant à prêter à long terme en se refinançant à court terme n’est plus rémunérateur. Les risques n’en sont pas diminués pour autant. Une variation d’un quart de point du taux de rémunération des obligations a plus d’effet sur le prix des obligations détenues par un investisseur quand les taux sont à zéro que lorsqu’ils sont à 5% ou plus. D’où la nervosité des marchés dont les effets amplificateurs sont énormes. Les marchés de produits dérivés représentaient trois fois le PIB mondial en 1998, au moment de la crise de LTCM. On en est aujourd’hui à dix fois le PIB mondial. Et 80% de cette masse incontrôlée est sensible aux risques de taux, assure le secrétaire général de Finance Watch.
Si une nouvelle crise se déclenchait, la Banque Centrale Européenne « n’aurait plus de marge de manœuvre », estime-t-il, puisque ses taux sont déjà à zéro et qu’elle fournit déjà toutes les liquidités qu’on lui demande. Dit autrement, nous n’avons pas digéré la crise précédente. Il faudra 25 ans pour cela a dit Paul Tucker, ancien vice gouverneur de la banque d’Angleterre et professeur à Harvard au cours d’une conférence organisée à Bruxelles par Finance Watch (et disponible sur son site).
Rien n’oblige une crise boursière à dégénérer en crise bancaire, comme la dernière fois. Mais, nous rappelle Christophe Nijdam, en janvier et février, quand « les germes d’une nouvelle crise » se sont manifestés sur les marchés, « les banques ont été chahutées ». Pour Nijdam les marchés ont compris que les taux zéro et la courbe plate ne sont pas très bons pour la santé des banques.
C’est là qu’intervient, en principe, la régulation. De nouvelles règles ont été imposées aux banques pour leur éviter de sombrer dans la tourmente et nous éviter les conséquences de leurs déboires. On peut effectivement « avoir l’impression que le job est fait », dit Christophe Nijdam. Au niveau législatif les grands textes ont été adoptés. Et « l’opinion publique a l’impression que le travail a été fait »…Mais les banques reprennent la main au niveau réglementaire et au niveau des textes d’application (dix fois plus nombreux) qu’elles complexifient à l’extrême. La Commission actuelle, notamment sous l’influence du commissaire britannique à la stabilité financière, Jonathan Hill, qui a remplacé Michel Barnier, est beaucoup plus compréhensive à l’égard des banquiers « qui ont la mémoire courte », comme dit Michel Barnier. Du coup la législation fait deux pas en avant et les textes d’application un pas en arrière.
Christophe Nijdam craint même une franche remise en cause, au nom de cette économie européenne toujours languissante que les banques ne financeraient pas suffisamment parce que toutes ces contraintes les en empêcheraient (voir dans Les Echos du 14 juin la manière dont les banques essayent d’obtenir l’appui de Bruxelles contre un supposé renforcement des règles que leur impose le comité de Bâle). La régulation n’est pas achevée que l’on songe déjà à déréguler. La nouvelle Commission a inversé le credo de la précédente, estime l’orateur. Au lieu de dire que "la stabilité financière est le prix à payer pour la croissance et la création d'emplois" celle-ci pense que "la croissance économique et la création d'emplois sont les pré-requis à la stabilité financière"...
Résultat, les banques ne seraient pas donc pas suffisamment protégées contre une nouvelle crise. L’économie et les contribuables le seraient-ils ? Pas vraiment. Le monde compte toujours en effet 30 « banques systémiques » (dont BNP Paribas, BPCE, le Crédit Agricole et la Société Générale), liste très officiellement tenue à jour par le Conseil de stabilité financière, émanation du G20. Autrement dit 30 banques « too big to fail » qu’on estime ne pas pouvoir laisser tomber car elles pourraient entraîner tout le château de carte. Autrement dit 30 banques qui bénéficient d’une subvention implicite des contribuables.
L’objectif, estime Christophe Nijdam, devrait être de ne plus en avoir aucune. Une seule solution : avoir des banques plus petites et surtout appliquer la fameuse séparation des activités de marché et des activités de banque classique, chère à Jérôme Cazes, ancien président du club et Président du Comité de transparence de Finance Watch. En France elle avait été promise par François Hollande. Elle a été vidée de sa substance par Pierre Moscovici, alors ministre des Finances.
Ce n’est pas la disparition des banques que Christophe Nijdam appelle de ses vœux. Il aime son ancien métier et est convaincu de leur utilité pour financer l’économie et évaluer les risques. Maisn en attendantn son propre patrimoine n’est pas investi, a-t-il répondu à la question d’un des vigilants. Parce que les marchés ne lui inspirent pas confiance. Et il conseille de ne pas confier plus de 100 000 euros à chaque banque, ce qui est le plafond de la garantie publique.
Regardez des extraits vidéo de cette Matinale : D'une crise financière à l'autre, comment limiter la casse ? (extraits) from Club des Vigilants on Vimeo.
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Commentaires
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"Si la crise 2008 recommençait"
Vous écrivez que les "textes d'application" des directives et règlements européens relatifs à la régulation bancaire ont considérablement "assoupli" les mécanismes mis en place - notamment sous l'influence de l'ancien Commissaire Hill. Pourriez vous fournir quelques explications et exemples ? Faites vous allusion aux travaux des comités intergouvernementaux associés à l'adoption de ces textes d'application ? Merci JGGiraud
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