Réchauffement: marché ou long terme il faut choisir

Les récentes calamités météorologiques rappellent de façon concrète ce qu’une concentration de 400 ppm de CO² dans l’atmosphère veut dire. La question est connue et se pose de façon simple : pour contenir la concentration de CO² dans une limite acceptable (~450 ppm) il faut que 9/10e des énergies fossiles restent là où elles sont.

Le marché ne règlera pas ce problème, les politiques non plus. Ni les uns ni les autres n’ont d’intérêt dans le long terme, le court terme est consubstantiel à leur activité. Le marché fonctionne sur l’idée que la valeur d’une ressource est plus importante aujourd’hui que demain et que, pour cette raison, son exploitation privée est préférable à un bien public. Pour n’importe quel politique, exiger des électeurs des sacrifices au profit des générations futures équivaut à un suicide électoral. Les électeurs ne sont pas insensibles à la cause de l’écologie mais ils sont pris dans un faisceau d’intérêts, à commencer par l’activité ou la pension qui les font vivre, qui repose sur une exploitation rapide des ressources existantes. Défendre le long terme, c’est-à-dire considérer que la valeur des ressources sera supérieure dans, disons, 100 ans à ce qu’elle est aujourd’hui revient à prendre le parti de groupes humains ultra minoritaires tels les Aborigènes d’Australie ou les Inuits de l’Arctique qui, seuls, donnent une valeur existentielle à l’exploitation parcimonieuse des ressources.

Ces contradictions concernent tout le monde quand on les regarde sous l’angle du taux d’intérêt financier et du rendement perçu. Plus le taux d’intérêt financier est élevé plus la valeur donnée au futur est faible ; là est la contradiction fondamentale. Pour cette même raison un investissement dont le produit s’exprime en préservation de l’environnement sur le long terme aura, toujours, un rendement inférieur à un investissement dans le système productif tel que nous le connaissons aujourd’hui. Les intérêts financiers faibles, voire négatifs, ont provoqué la frustration d’électeurs vieillissant dont les revenus sont directement liés à la rémunération de l’épargne accumulée pendant leur activité. Un rendement capable de garantir le standard de vie attendu par ces électeurs-épargnants entraîne, nécessairement, une exploitation des ressources telle qu’elle s’est faite jusqu’à maintenant : un rendement différé dans le temps n’a aucun intérêt pour eux. L’Aborigène d’Australie et l’Inuit de l’Arctique sont des obstacles objectifs à leurs besoins qui, ne nous leurrons pas, sont aussi les nôtres.

Si l’on admet que le changement climatique induit, à long terme, un risque fondamental sur la soutenabilité de l’activité humaine on a un problème. Le système, tel qu’il existe ne permettra pas la révolution copernicienne qui consiste à donner une valeur immédiate à l’absence de consommation d’énergie, et d’autres ressources naturelles, dont le bénéfice s’exprimera sur le long terme. Les activités militantes corrigeront à la marge l’impact des décisions du marché. La science économique démontre que, globalement, les intérêts privés organisés en groupes restreints ont une efficacité dans la prise de décision publique toujours supérieure à celles des groupes militants représentant une population vaste mais dispersée. On peut être à peu près certain que la nouvelle mine géante à Carminael dans le Queensland australien sera exploitée ; la valeur de ses réserves est, aujourd’hui, de 300 Md de dollars*. Que celui qui est prêt à tirer un trait sur 300 milliards lève la main !

Gardons-nous de jugements moraux sur le marché, il a été une étape historique d’une remarquable efficacité pour maximiser le bien-être individuel. Aujourd’hui, le marché retarde la révolution écologique comme la scolastique retarda la révolution scientifique du 17e siècle : il est un langage qui ne fournit pas, et ne peut pas fournir, les outils et les concepts nécessaires. Ce n’est pas un problème de cupidité, c’est un problème de concepts. La scolastique avec ses jeux verbaux qui décrivaient l’apparence des phénomènes sans jamais rien expliquer des causes ne pouvait pas aboutir aux lois de la dynamique qui ont transformé le monde. C’est l’observation du réel et la progression de la langue mathématique qui ont fait la révolution ; à partir des lois de Newton, 300 ans ont suffi pour arriver sur la lune. La scolastique ne comprenait rien aux causes, le marché ne comprend rien aux conséquences et ne comprendra jamais; le long terme est dans l’angle mort de sa compréhension.

L’esprit médiéval se lézarda avant de se dissoudre dans la modernité. Nous en sommes probablement là. Les initiatives sont nombreuses, elles touchent à l’éthique, au droit, à la politique, à la gouvernance internationale ; de nombreuses expérimentations testent d’autres lois économiques. La révolution scientifique fut une catalyse où le génie de quelques-uns fut progressivement institutionnalisé par des princes visionnaires qui finançaient l’effort de recherche et des groupes sociaux dynamiques conscients des impasses et désireux de passer à l’étape suivante. Comme au 17e siècle, il faudra aller contre l’ordre établi qui perpétue des évidences parce qu’elles sont confortables et permettent, à court terme, une relative tranquillité. Comme l’on disait à l’époque, il faudra être téméraire.

Philippe BOIS

Club des Vigilants

 


* Valeur des quelques 3 Md de tonnes de charbon qui seront extraits de la nouvelle mine Carminael pendant 60 ans ; sur cette même durée les émissions de CO² seront de 4,7 Md de tonnes. Sur ce projet voir le compte rendu de la matinale avec Claude Henry.

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Commentaires

En tant que responsable de la veille stratégique et de la prospective dans un institut public de recherche, je suis impressionné par la qualité de l'argumentation de Philippe Bois et la pertinence de son diagnostic. Magistral (au sens de la scholastique)! Mais la vraie question à mes yeux est la suivante, car elle est de tous les jours: comment faire comprendre aux décideurs (publics et privés) que l'intérêt supérieur du collectif (électeurs, clients..) justifie d'intégrer progressivement le long terme. Beaucoup de citoyens le comprennent car ils vivent de plus en plus longtemps; pourquoi les décideurs ne le comprendraient-ils pas à leur tour? La question centrale est donc celle de la pédagogie de la prise de conscience. Depuis la maternelle...

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