Les poètes étant plus doués que les économistes pour décrire l'angoisse de lendemains incertains, Alfred de Musset a résumé, en quelques mots illustres, l'essentiel de ce que nous appelons « crise ». Au chapitre II de la « Confession d'un enfant du siècle », il écrit : « Ce qui était n'est plus ; ce qui sera n'est pas encore » et décèle, dans ce vide, « le secret de nos maux ».
On pourrait considérer les crises comme l'éternel retour de phénomènes analogues et ne voir, dans les dysfonctionnements actuels, que le énième épisode d'un feuilleton historique sur les divorces récurrents entre régulations collectives, aspirations individuelles et innovations scientifico-techniques.
Cette approche a l'avantage d'être opérationnelle puisqu'elle permet de déboucher sur des diagnostics précurseurs d'actions éventuellement utiles. Dans la mesure, cependant, où elle met l'accent sur l'inadéquation entre besoins et moyens, elle incite à raisonner à partir des moyens dont on dispose déjà dans le cadre d'une problématique préexistante : elle s'interdit tout saut qualitatif et se trouve menacée d'obsolescence.
Au fond, elle n'est valable que dans le cas de crises relativement mineures. A notre époque de chamboulements globalisés, elle peut se révéler inopportune.
L'Homme, pour la première fois dans l'Histoire, est capable de détruire la planète tant par la guerre que par l'environnement.
L'Homme, pour la première fois dans l'Histoire, est capable de modifier la nature des espèces et de contrôler leur reproduction.
L'Homme, pour la première fois dans l'Histoire, a colonisé l'ensemble des terres habitables. L'explosion simultanée de la démographie et de la consommation font peser sur les ressources, en particulier sur l'eau, de graves menaces de pénurie ainsi que des perspectives de migrations incontrôlables.
Face à l'ensemble de ces défis, les espoirs mis dans une vague coopération multipolaire sont plus qu'insuffisants. Il ne s'agit pas de limiter les dégâts mais bel et bien de préparer une métamorphose.
La rencontre, les 8 et 9 juin en Californie, entre les présidents Obama et Xi Jinping, souligne l'acuité du problème. Les leaders des deux principales puissances se sont efforcés d'établir un contact suffisant pour dissiper des malentendus susceptibles, dans l'avenir immédiat, de dégénérer en conflits évitables. C'est de l’excellent « damage control » et, à ce titre, un pas dans la bonne direction. L'essentiel, pourtant, est à chercher au fond des arrière-pensées collectives. La Chine, qui a été le centre du monde pendant deux millénaires et humiliée pendant deux siècles, peut-elle renoncer au ressentiment et se satisfaire d'harmonie ? Les Etats-Unis, qui ont largement contribué à l'élaboration d'un ordre commercial mondial que les Chinois ont eu l'habileté de retourner en leur faveur, peuvent-ils ne pas se sentir floués et vouloir une revanche ?
Cette première rencontre entre deux « Grands » n'est que prolégomènes. Elle est surtout illustrative d'un phénomène plus général. Partout et dans tous les domaines, les principes, les sentiments et les intérêts s'entrechoquent à un rythme croissant. Or, comme chacun sait, plus les véhicules vont vite, plus les accidents risquent d'être mortels.
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