Facebook est-il responsable de ce qui se publie sur son réseau ? C’est la question à 50 milliards de dollars (le montant de ses recettes publicitaires).
Non, répond Facebook depuis toujours : je ne suis pas l’éditeur, chacun est libre de publier, et un contrôle entraverait la liberté d’expression et le Premier amendement. Une position reprise et gravée dans la législation américaine.
Certes, cette position semble en train d’évoluer : Marc Zuckerberg vient d’admettre une certaine responsabilité de son réseau devant les élus américains et il a décrit les outils d’intelligence artificielle (et des armées de modérateurs) qu’il met en place pour repérer les fake news ou des appels à la haine. Mais cette approche revient à déléguer à Facebook la police de son propre réseau : un remède qui peut être pire que le mal, du point de vue du risque de conditionnement collectif.
Une approche radicalement différente vient d’être prise devant la Haute Cour du Royaume-Uni : elle bouleverse complètement la façon de poser la question à 50 milliards.
Un journaliste financier britannique à succès, Martin Lewis, est très connu pour ses conseils au grand public. Du coup, de multiples officines douteuses font de la publicité sur Facebook en utilisant sa photo. Le malheureux Lewis a essayé de l’empêcher : les responsables de Facebook lui ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire préventivement (« pas de contrôle… »), que Lewis devait leur signaler les publicités mensongères et qu’ils feraient ce qu’ils pourraient. Lewis en a signalé 50. Puis il a porté plainte pour diffamation devant la Haute Cour, en voyant que rien ne se passait.
Du coup, Facebook a pris le problème à bras-le-corps pour découvrir (et supprimer) non pas 50 mais des milliers de ses publicités représentant Lewis. Glissant au passage dans sa communication que Facebook arriverait mieux à nettoyer si on les laissait faire de la reconnaissance faciale : elle permet à Facebook d’associer automatiquement aux photos que vous chargez sur votre compte les noms des visages présents et de les indexer pour des recherches ultérieures, de vous… ou de n’importe qui. C’est un système orwellien interdit en Europe et que Facebook essaie de réintroduire. Facebook est donc bien toujours dans son modèle : « je serai le shérif de mon réseau… si bien sûr on ne m’en refuse pas les moyens ».
Mais Lewis remarque finement que la politique actuelle de Facebook (« dites-nous, et on enlève ») est une farce, puisque Facebook autorise aux annonceurs des publicités cachées (dark adds) : ces publicités ne sont publiées sur aucun compte public, mais ciblées sur des cibles définies. Elles sont donc indétectables et parfaitement intraçables par leurs victimes, qui ne peuvent donc pas demander leur retrait.
Sa plainte a de fortes chances de prospérer, comme le remarque un éditorial du Financial Times. On peut en effet débattre à l’infini de la liberté d’expression et du « contrôle » que doit avoir Facebook de ce que je publie sur mon compte, même si c’est faux et repris par 100 000 suiveurs. En revanche, on voit mal comment Facebook peut se dispenser de contrôler une publicité pour laquelle l’entreprise a accepté un paiement.
L’intelligence de cette approche est de distinguer enfin entre deux discours de Facebook : celui du « Dr » Zuckerberg devant les élus (« notre communauté rapproche l’humanité et va résoudre ses problèmes ») ; et celui de « Ms » Sheryl Sandberg, sa vice-présidente, devant les analystes financiers (« rien de tout cela ne remet en cause la rentabilité de notre business model »).
C’est donc le cœur même du modèle Dr Jekyll and Mr Hyde de Facebook qui est mis sur la sellette à Londres. Un modèle qui va peut-être exploser en vol ?
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